RESISTANCE BACTERIENNE ET ECHECS THERAPEUTIQUES:

La consommation inappropriée d'antibiotiques, en médecine de ville comme à l'hôpital, a accéléré un phénomène inhérent à leur utilisation: la sélection de bactéries résistantes, de moins en moins sensibles aux antibiotiques. Longtemps négligé, ce mécanisme a aujourd'hui deux manifestions tangibles: le réservoir de bactéries résistantes augmente et l'absence d’antibiotiques actifs, dans certaines situations, n'est plus exceptionnelle. Les conséquences collectives et individuelles sont sérieuses: la plupart des infections, qu'elles soient bénignes ou graves, sont plus difficiles à traiter lorsqu'elles sont dues aux espèces résistantes.

La France est championne d'Europe de la consommation d’antibiotiques : en ville, on évalue en 2002 à 75 millions le nombre de prescriptions dont les trois quarts concernaient des infections respiratoires pour la plupart virales, sur lesquelles les antibiotiques n'ont aucun effet 2 . Corollaire de cette situation, l'hexagone est le pays européen où le phénomène de résistance bactérienne aux antibiotiques est le plus développé, comme en témoigne la multi-résistance des pneumocoques 3 : la résistance à la pénicilline G y atteint 53% (1 er rang) et aux macrolides 58% (2 ème rang) 4 .

Deux nouvelles études font le point sur la situation actuelle et donnent des perspectives pour le futur: la première porte sur la proportion croissante d'échecs thérapeutiques dus aux bactéries résistantes chez les enfants. La seconde, encore inédite, démontre les progrès potentiels que peut apporter la baisse de consommation d'antibiotiques combinée à la vaccination.

  • Dans le cas des otites, le nombre de pneumocoques résistants a connu une telle croissance qu'on estime de 5 à 10% le risque d'échec thérapeutique, même avec les antibiotiques les plus actifs.
  • Chez des enfants atteints d'angine, on a observé que le nombre de streptocoques A résistants à l'érythromycine est passé de 6 à 22% entre 2000 et 2003.
  • On a constaté, auprès d’un panel d’enfants de moins de trois ans vaccinés et ayant consommé moins d'antibiotiques, que le taux de pneumocoques très résistants aux pénicillines a diminué de 21 à 11% en trois ans.

UNE CONSOMMATION PROPICE AU DEVELOPPEMENT DES RESISTANCES

L'enfance est une période de la vie où l'organisme contracte beaucoup d'infections bénignes : en moyenne, les 0-6 ans en attrapent 7 à 10 par an. Leur système immunitaire étant encore immature, ils apprennent à lutter contre les micro-organismes grâce à ces petites infections dites "d'adaptation", pour la plupart respiratoires et ORL (rhinopharyngites, bronchites, otites).

Par ailleurs, de la crèche à l'école, les enfants passent beaucoup plus de temps en collectivité que les adultes: la transmission de maladies et de germes est bien plus importante dans l'environnement direct des jeunes enfants.

Une consommation record

Les enfants de moins de 6 ans représentent encore aujourd’hui plus d'1/6 ème de la consommation totale en France, soit 17,6% des prescriptions. Or 80% des motifs de consultation dans la tranche des 0-6 ans concerne les maladies respiratoires et ORL, en grande majorité virales.

La réputation des antibiotiques, médicaments qui guérissent tout, vite et éliminent la contagion est pourtant fausse. Ils ne sont d'aucune utilité contre les virus, n'agissent pas directement sur les symptômes, qui durent parfois jusqu'à deux semaines et ne réduisent pas le risque de contagion 5 . Celui qui retourne en crèche avec des antibiotiques peut contaminer ses petits camarades.

La vie en collectivité, facteur aggravant

Le niveau très élevé de consommation chez les enfants n'est pas la seule condition favorable au développement des résistances. Si la consommation d'antibiotiques est le moteur des résistances, la vie en collectivité en est le turbo.

Un enfant sous antibiotiques n'est porteur et ne pourra être contaminé que par des bactéries résistantes, les germes sensibles ayant été éliminés par le traitement. Les crèches, garderies et écoles sont donc de puissants réservoirs de résistances, qui, se transmettant d'un enfant à un autre, augmentent en nombre et se diversifient.

L’enjeu de la bonne observance

Dernier facteur à prendre en compte : le bon suivi de la prescription, qui n'est pas souvent assuré. Des études ont montré que le respect de la durée du traitement, des doses prescrites et du rythme de prise du médicament est essentiel pour réduire le risque de résistances.

Bien que l'enfant ne présente plus de symptômes, l'antibiotique doit être pris jusqu'au bout et a contrario, il ne doit pas être prolongé sans avis médical même si le petit malade ne semble pas guéri. L’efficacité du traitement est en jeu. De plus, il est important de ne pas diminuer ou augmenter les doses au gré des évolutions apparentes de l'infection. Enfin, si un antibiotique doit être donné en deux ou trois prises, ce rythme doit être suivi scrupuleusement.

DES SITUATIONS D'ECHECS THERAPEUTIQUES CONFIRMEES

Cette consommation excessive et la vie en collectivité ont des effets tangibles: les enfants sont les premiers porteurs de bactéries résistantes. En conséquence, les médecins sont susceptibles d'éprouver de plus grandes difficultés à trouver des traitements adéquats et doivent faire face à un risque plus important d'impasse thérapeutique.

Outre le risque d'échec, la résistance entretient la résistance: les bactéries résistantes limitent le choix des antibiotiques disponibles et contraignent à augmenter les dosages… ce qui favorise le développement général du phénomène.

Deux cas documentés : les otites à pneumocoques et les angines à streptocoques A

En 2001, le taux de pneumocoques résistants à la pénicilline était de 60 % chez les enfants, contre seulement 0,5 % en 1984. Dans le cas des otites, on estime à 10% le risque d'échecs thérapeutiques : ils sont dans la grande majorité des cas dus aux pneumocoques résistants.

Lorsque l'on recherche les causes de l'inefficacité d'un traitement donné en première intention à des enfants, il s'agit, plus d'une fois sur deux, d'un germe résistant à la famille des pénicillines, la plupart du temps à la molécule d'amoxicilline. 6 Aujourd'hui, seules deux molécules antibiotiques permettent de traiter avec succès les otites à pneumocoques chez les enfants . Cette situation peut devenir problématique en cas d'allergie à l'une des molécules, voire les deux: ne reste plus comme solution que l'hospitalisation.

Une autre source d'inquiétude est le streptocoque A 7 , qui est devenu en quelques années résistant à la famille des macrolides. Or les infections au streptocoque A ne sont soignées que grâce à deux familles d'antibiotiques: les pénicillines et les macrolides, dont fait partie l'érythromycine.

322 prélèvements de gorge ont été effectués entre 2002 et 2003 sur des enfants de 2 à 16 ans atteints de rhinopharyngites. On a constaté que le nombre de streptocoques résistants à l'érythromycine est passé de 6 à 22%. Dans le traitement des angines et des rhinopharyngites, on a observé que l'inefficacité de l'érythromycine pouvait concerner près de la moitié des patients qui sont porteurs d'un streptocoque résistant. 8

LES RESISTANCES : UN PHENOMENE REVERSIBLE

La situation peut-elle être encore enrayée ? Bien que des études globales sur l'évolution des résistances ne soient pas encore disponibles, des premières données 9 prouvent que dans certaines conditions, les niveaux de résistances bactériennes chez les enfants on une croissance ralentie, voire même se réduisent. Phénomènes concomitants, la baisse de consommation inappropriée d'antibiotiques et le développement de la vaccination anti-pneumococcique semblent compter parmi les facteurs qui jouent un rôle dans cette évolution.

Dans le cadre du programme de surveillance en charge d'évaluer, depuis septembre 2001, les résultats du vaccin anti-pneumococcique, une étude a été conduite avec la collaboration de 90 pédiatres de ville dans toute la France sur un panel de 730 enfants de moins 3 ans.

Chaque année, de 2001 à 2003, 730 prélèvements dans le nez et la gorge ont été effectués sur des enfants de 6 à 24 mois, souffrant de fièvre élevée et d'otalgie et n'ayant pas reçu d'antibiotiques moins de 7 jours avant le prélèvement. Le suivi antibiotique de chaque enfant sur les 3 mois précédant le prélèvement a été renseigné à cette occasion.

Une baisse du nombre d'enfants recevant des antibiotiques a été constatée entre 2001 et 2003, ainsi qu'une réduction du nombre d'antibiotiques par enfant. L'utilisation d'antibiotiques sur une période de trois mois précédant le prélèvement passe de 51,5% à 42%. Le pourcentage d'enfants vaccinés contre le pneumocoque a, quant à lui, augmenté de 8,5% à 59%.

 

2001

2002

2003

Evolution

       

2001-2003

Enfants vaccinés

8,5%

20%

59%

ï 50,5

Consommation d'antibiotiques

51,5%

44,5%

42%

Ó - 9,5

Taux de pneumocoques très résistants aux pénicillines

21%

15%

11%

Ó - 10

Portage de toutes les souches de pneumocoque

72%

70%

60%

Ó - 12

Portage des sérotypes contre lequel le vaccin est actif

62%

60%

48%

Ó - 14

 

2001

2002

2003

Evolution

 

 

 

 

2001-2003

Enfants vaccinés

8,5%

20%

59%

ï 50,5

Consommation d'antibiotiques

51,5%

44,5%

42%

Ó - 9,5

Taux de pneumocoques très résistants aux pénicillines

21%

15%

11%

Ó - 10

Portage de toutes les souches de pneumocoque

72%

70%

60%

Ó - 12

Portage des sérotypes contre lequel le vaccin est actif

62%

60%

48%

Ó - 14

On observe dans le même temps que les enfants sont moins porteurs des catégories de pneumocoque contre lesquelles le vaccin est actif: 48% aujourd'hui au lieu de 62%. Mieux encore,

le taux de pneumocoques très résistants aux pénicillines a diminué de manière significative: il est passé de 21% à 11% en trois ans.

COHEN (R.), LEVY (C.), DE LA ROCQUE (F.), FRITZELL (B.), COTTARD (M.), TETELBOUM (R.), REINERT (P.), BOUCHERAT (M.), VARON (E.). French National Survey of Nasopharyngeal (NP) Carriage of Streptococcus pneumoniae (Sp) among Infants and Toddlers Suffering from Acute Otitis Media (AOM): Third Year after 7-Valent Pneumococcal Conjugated Vaccine (7-VPnC) Launch.Cette étude fera l'objet d'une communication à la 24 ème Réunion Interdisciplinaire de Chimiothérapie Anti-Infectieuse (RICAI), qui se tiendra du 1er au 3 décembre 2004 à Paris.

3 Le pneumocoque est responsable de la plupart des maladies ORL (pneumonies, otites) et de 80% des méningites.

4 Source: rapport EARSS 2002.

5 Sauf dans le cas de la coqueluche et, chez les grands enfants, du streptocoque A, responsable des angines et des scarlatines.

6 Données du Centre National de référence des Pneumocoques (L. Gutmann, E. Varon).

7 Le streptocoque A est à l'origine d'angines, de rhinopharyngites, d'otites et des scarlatines.

8 BINGEN (E.), BIDET (P.), MIHAILA-AMROUCHE (L.), DOIT (C.), BRAHIMI (N.), FORCET (S.), BOUVET (A.), COHEN (R.).

Emergence of Macrolide-Resistant Streptococcus pyogenes strains in French Children. Antimicrobial Agents Chemotherapy,

septembre 2004.

par le Docteur Robert COHEN Pédiatre, Service de Microbiologie, CHI de Créteil

Source

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