Aliments fonctionnels et microflore digestive

 

La plupart des aliments fonctionnels résistent à la dégradation par les enzymes digestives et parviennent intacts dans le côlon. Là, ils deviennent soit un substrat (ex : fibres), soit un partenaire (ex : probiotiques) pour les bactéries autochtones. Les composés fonctionnels ne représentent qu’une faible part de l’aliment ingéré mais, après la digestion, ils constituent la fraction majeure du bol intestinal parvenant au côlon.

INTERACTIONS ALIMENT - FLORE

On peut distinguer 3 groupes d’aliments fonctionnels, selon leurs interactions avec la microflore colique :

1. les microconstituants sans valeur nutritionnelle. Ils peuvent être transformés par la flore en de petites molécules appelées métabolites, qui, en dépit de leur faible concentration, peuvent avoir une influence considérable sur la physiologie de l’hôte.

2. les fibres et les prébiotiques. Ces glucides non digestibles dégradés dans le côlon modifient les proportions et la quantité des différentes molécules résultant de la fermentation, comme l’acide lactique et les gaz. Les métabolites fermentaires produits quotidiennement dans le gros intestin peuvent être très importants ; la production de gaz, par exemple, varie de 0,2 à 2 litres par jour (principalement hydrogène, gaz carbonique et méthane) ! Les métabolites sont impliqués dans plusieurs fonctions intestinales qui participent au maintien de la santé ou à l’apparition de pathologies. Ainsi, l’acide butyrique, un acide gras volatil, joue un rôle majeur dans la préservation de l’intégrité de la muqueuse colique ou, au contraire, dans le développement de pathologies de cette muqueuse.

3. les probiotiques. Ces bactéries apportent leurs activités enzymatiques ou induisent celles des bactéries autochtones.

Il est maintenant bien établi que le métabolisme de la microflore colique fait partie intégrante du métabolisme général. Les aliments fonctionnels ont, via la flore digestive, un effet sur la physiologie et donc sur la santé de l’hôte. C’est ce que notre équipe "Métabolites Bactériens et Santé" essaie de mieux comprendre chez l’Homme. Pour cela nous comparons des rats sans flore à des rats hébergeant une flore fécale humaine et nourris avec des régimes mimant une alimentation humaine. Les métabolites sont recherchés dans le caecum, une partie terminale de l’intestin où la fermentation est très active. Chez l'homme, cette fonction est remplie par la partie proximale du côlon.

.GLUCOSINOLATES ET MICROFLORE

Les glucosinolates sont des microconstituants des crucifères.
 Selon l’espèce végétale (chou, radis, navet…), les crucifères peuvent contenir jusqu’à 15 glucosinolates différents ; leur concentration dans l’aliment est très faible (inférieure à 200 mg/kg). Toxiques potentiels à forte concentration (goitre hypothyroïdien, hypertrophie du foie et des reins, troubles de la croissance,...), on démontre aujourd’hui que les produits de dégradation des glucosinolates (isothiocyanates,...) ont, à faible dose, un effet protecteur vis-à-vis de certains cancers.

Nous avons montré que la microflore colique est capable de produire ces dérivés. Malheureusement, leur nature et les facteurs influençant leur production sont encore mal connus. Nos travaux in vitro ont permis d’isoler des souches bactériennes humaines impliquées dans la dégradation de ces microconstituants.

. FIBRES ET FERMENTATION INTESTINALE

Parmi les fibres, la pectine et les gommes sont connues pour ralentir la vidange gastrique, soulager la constipation, ou faciliter la régulation de la glycémie (taux de glucose dans le sang) lors de diabète ; d’autres fibres comme la cellulose ou la lignine accélèrent le transit colique, diminuent le cholestérol sanguin et réduiraient la formation de tumeurs de la muqueuse colique.

On a démontré que l'origine botanique, la structure physico-chimique et la quantité de fibres influencent considérablement le pH caecal, les activités glycolytiques bactériennes, l'excrétion de gaz de fermentation et le profil des acides gras volatils. Par exemple l'inuline, fibre totalement soluble, augmente la production de butyrate ; la carotte et le cacao, fibres partiellement solubles, favorisent la production de propionate ; les fibres de pois et d'avoine, totalement insolubles, modifient le profil des acides gras volatils en faveur des acides ramifiés. On a aussi observé, avec la fibre de betterave, que plus la granulométrie est fine et/ou le taux d'incorporation élevé, plus la production de gaz est forte.

La fermentation des fibres dépend également de la nature de la microflore qui peut être méthanogène ou non (dans l'espèce humaine, 50 % de la population excrète du méthane). Ainsi, pour une même ingestion de fibre, l'excrétion d'hydrogène et la concentration caecale d'acide lactique sont plus fortes chez des rats non méthanogènes que chez des rats méthanogènes ; chez ces derniers, on observe au contraire une augmentation de l'excrétion de méthane et de la production d'acides gras volatils.

Notons enfin qu'une fibre peu ou pas fermentée peut exercer des effets sur le métabolisme de la flore colique et donc sur la santé. Ainsi chez des rats méthanogènes, l’ingestion de l’algue Ulva lactuca réduit la concentration caecale d’acide lactique, ce qui entraîne une alcalinisation du pH colique et modifie le profildes acides gras volatils.

. PREBIOTIQUES ET FERMENTATION INTESTINALE

A l’origine, ces glucides indigestibles à courte chaîne ont été utilisés dans les régimes amaigrissants ou diététiques pour éviter une consommation excessive de sucre (saccharose). On sait maintenant qu’ils peuvent aussi améliorer la digestion en augmentant le nombre de bifides à connotation positive et en diminuant celui des bactéries putréfiantes. Celles-ci dégradent les protéines et les acides aminés en des produits toxiques pour la paroi intestinale ou le système nerveux (ammoniac, amines, phénol, crésol, skatol).

Nous avons testé les effets de 3 types de sucre (incorporés à 4 % dans l’alimentation) sur des rats à flore humaine méthanogène : le FOS (b-fructo-oligosaccharide), le TOS (b-galacto-oligosaccharide), le GOS (a-gluco-oligosaccharide). Quel que soit l’oligosaccharide utilisé, il y a une acidification du pH caecal ; cette acidification s’opposerait aux activités protéolytiques.

Par ailleurs, l’ingestion des sucres de synthèse modifie l’activité des enzymes intervenant dans leur dégradation : le TOS induit spécifiquement la b-galactosidase, alors que le GOS induit à la fois la b-galactosidase, la b-glucosidase, et l’a-glucosidase ; mais surtout il réprime la b-glucuronidase. Cette diminution de l’activité de la b-glucuronidase pourrait favoriser l’élimination de molécules cancérigènes.

De plus, le FOS et le TOS favorisent la croissance des bifides, réputés favorables pour la santé. Enfin, le FOS et le TOS provoquent une légère augmentation de l’excrétion de méthane et d’hydrogène, alors que le GOS ne favorise que l’excrétion de méthane. Si l’augmentation d’hydrogène témoigne d’une acidification bénéfique pour la digestion, on ignore encore les effets produits par l’excrétion du méthane.

. PROBIOTIQUES ET BACTERIES AUTOCHTONES

On prête à ces micro-organismes ingérés vivants une aptitude à améliorer puis à maintenir l’écosystème microbien digestif de l’homme dans un état d’équilibre favorable à la santé.

Nous avons testé sur nos rats à flore humaine 3 types de laits fermentés incorporés à 30 % dans l’aliment : le yaourt (lait fermenté par Streptoccocus thermophilus et Lactobacillus bulgaricus), un lait fermenté par une souche de Lactobacillus casei (DN 114.001) et l’association de ces deux laits.
- Le yaourt diminue l’activité de la b-glucuronidase et favorise donc l'élimination de cancérigènes chimiques ; 
- le lait fermenté diminue en plus la production de gaz, acidifie le pH caecal et augmente la population de bifides ; 
- l’association des deux laits fermentés accroit les activités glycolytiques bénéfiques, ce qui augmente la fermentation des glucides et donc la concentration caecale d’acides gras à chaîne courte.

On s’attend à ce que cette association yaourt-Lactobacillus casei puisse réduire l’intolérance au lactose.

TOUT N’EST PAS SI SIMPLE.IDENTIFIER LES VRAIS RESPONSABLES

Les produits terminaux du métabolisme bactérien sont très complexes. Nos études sur la dégradation des glucides révèlent les variations subtiles des concentrations d’acides gras à chaîne courte, d'acide lactique et de gaz en fonction des caractéristiques de l'aliment, du consommateur et de sa flore colique.

De plus, la liste des métabolites bactériens est loin d’être exhaustive car de nombreuses souches bactériennes, agissant en coopération ou en compétition, sont impliquées dans les processus d'hydrolyse et de fermentation. Jusqu'à présent, les chercheurs ont trop souvent négligé d'élargir le champ d'investigation de nouveaux métabolites bactériens. L'intérêt croissant que nous portons au métabolisme des micro-constituants végétaux dépourvus de valeur nutritionnelle est une opportunité unique d'identifier des molécules encore inconnues et, in fine, de découvrir les véritables acteurs responsables des effets physiologiques exercés par les aliments fonctionnels.

.ON EVOLUE, NOS BACTERIES AUSSI 

Les paramètres physiologiques et nutritionnels évoluent de la naissance à la vieillesse, ce qui conduit à l’existence probable de profils métaboliques bactériens différents.

Le besoin en fibres chez les enfants commence à être étudié et des probiotiques sont testés chez les nouveau-nés prématurés. Néanmoins, les connaissances sur les fermentations coliques et la compréhension de leurs répercussions chez le jeune restent rares. Dans ce domaine, des recherches faisant appel à de jeunes mammifères nés sans germes, placés en isolateur et inoculés avec la flore fécale de jeunes enfants ou de nouveau-nés, sont un formidable moyen d'étudier l'influence des fermentations sur le métabolisme endogène et l'intégrité de la muqueuse colique.

.A CHACUN SON PROFIL

Nous avons montré l'importance d'être ou ne pas être méthanogène, mais il existe de nombreux autres paramètres différenciant les potentialités métaboliques de la microflore colique. Citons par exemple la présence éventuelle de bactéries sulfato-réductrices, la capacité de la microflore à convertir ou non le cholestérol et les acides biliaires en des composés intervenant dans des pathologies coliques, le niveau d’implantation des bifides.

Ces particularités individuelles font clairement apparaître que les avantages à consommer un aliment fonctionnel donné varient selon le sujet
On ne classe pas encore les individus en fonction de leur profil fermentaire colique ! Cependant on pourrait essayer de mieux le caractériser puisque la plupart des métabolites bactériens sont, au moins partiellement, excrétés dans les fèces, l'urine et les gaz expirés, et donc s'identifient sans méthodes invasives.

.SAVANT MELANGE ET AFFAIRE DE DOSE

Nous avons illustré par quelques exemples l'influence des caractéristiques physico-chimiques et de la dose des aliments fonctionnels sur les concentrations de différents métabolites bactériens

D’autres facteurs pourraient moduler les conclusions de ces recherches. Selon ses habitudes alimentaires, chacun consomme quotidiennement une association complexe d'aliments fonctionnels. Dans la mesure où l'alimentation occidentale est connue pour être déficiente en fibres par rapport aux recommandations de l'OMS, on peut considérer que l'addition de fibres est généralement favorable.

La situation pourrait être différente avec les prébiotiques ou les micro-constituants végétaux. Les prébiotiques naturellement présents dans de nombreuses plantes comestibles sont maintenant ajoutés aux boissons sucrées et aux produits laitiers. Le seuil de leur tolérance digestive, avec une consommation répartie au cours de la journée, se situe entre 20 et 30 g, une consommation excessive conduisant à des flatulences, des borborygmes, une distension et des crampes abdominales, voire de la diarrhée.

Par ailleurs, une intolérance au lactose ou une déficience en d'autres enzymes endogènes entraînent une surcharge colique en glucides habituellement digestibles. Ne doit-on pas alors considérer ceux-ci comme des "aliments fonctionnels négatifs" qui pourraient interférer gravement avec les "vrais aliments fonctionnels" ajoutés au régime ? De la même façon, les micro-constituants végétaux tels que les glucosinolates possèdent des propriétés potentiellement toxiques telles que des effets mutagènes. Où se trouve alors la limite entre les risques et les bénéfices apportés par une consommation croissante de ces composés ?

En combinant les probiotiques et les prébiotiques n'obtiendrait-on pas de "supers ingrédients" d'aliments fonctionnels ? Les effets des symbiotiques doivent cependant être examinés avec attention. En effet, nous avons montré dans des expériences sur les laits fermentés que l’effet de l'association de deux probiotiques ne correspond pas simplement à l’addition des effets de chacun. Il en est de même pour les micro-constituants. Par exemple les effets biologiques des glucosinolates varient en fonction de la nature des fibres présentes dans le régime.

EN CONCLUSION, çA PEUT NE PAS ETRE BON POUR VOUS !

Les nutritionnistes et les spécialistes de la technologie alimentaire doivent garder à l'esprit qu'une analyse des propriétés physico-chimiques des aliments fonctionnels ne suffit pas à prévoir leurs effets physiologiques.

De notre point de vue, les aliments fonctionnels ne devraient pas être tous confondus dans une appellation unique telle que "C'est bon pour vous!" mais différenciés en classes répondant à l’une des appellations suivantes "C’est bon pour vous car vous faites partie d’un groupe particulier", "Si cela ne vous fait pas de bien, de toute façon, cela ne vous fera pas de mal" ou, dans certains cas, "N'en prenez pas !".

Odette Szylit et Sylvie Rabot, Laboratoire d'Ecologie et de Physiologie du Système Digestif. Equipe Métabolites Bactériens et Santé.

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