Localisation primitive d'un LMNH au niveau orbitaire chez une femme enceinte

Nous rapportons le cas d’une femme enceinte de 5 mois, âgée de 40 ans, présentant une exophtalmie unilatérale gauche, d’évolution d’environ 2mois ; et révélant un lymphome malin non hodgkinien de type diffus à petites cellules (LMNH). La chimiothérapie a permis une rémission complète de la tumeur. La discussion se porte sur l’aspect épidémio-clinique et thérapeutique du LMNH primitif au niveau orbitaire au cours d’une grossesse. Une investigation complète devrait être faite devant une exophtalmie pour ne pas passer à coté du diagnostic.  

INTRODUCTION

Les lymphomes sont des tumeurs malignes qui se développent à partir des cellules lymphoïdes. On distingue les lymphomes hodgkiniens et les lymphomes non hodgkiniens, de type malin ou bénin (1). Les lymphomes malins non hodgkiniens (LMNH) font partie des syndromes lympho-prolifératifs et peuvent appartenir aux lignes B ou lignes T. Les LMNH de type lympho-plasmocytaire peuvent avoir un foyer néoplasique unique hors des nodules lymphatiques.

Parmi ces sites extra ganglionnaires, la localisation orbitaire est une des éventualités rare des LMNH, encore moins chez une femme enceinte. Nous rapportons une observation de LMNH orbitaire primitif chez une femme enceinte. A notre connaissance, il s’agit d’un premier cas décrit à Madagascar.

OBSERVATION MEDICALE

Il s’agit d’une femme âgée de 40ans, enceinte de 5mois, hospitalisée dans le service d’ophtalmologie HJRA pour une exophtalmie de l’œil gauche. L’histoire remonte 3mois avant son hospitalisation par une notion de douleur oculaire gauche très importante accompagnée de céphalée, cédant sans médication, suivi deux semaines après cet épisode douloureuse d’une protrusion du globe oculaire gauche et baisse progressive de la vision.

Dans ses antécédents personnels, on ne note rien de particulier : Médical : sans notion de sinusite, sans caries dentaires Chirurgical : sans notion d’opération antérieure Gynécologique : G4P3A0, CPN bien faite pour la grossesse en cours et vaccination antitétanique faite. A l’examen, la vision est évaluée à 10/10e avec correction. La paupière est normale, il n’y a pas d’exophtalmie, le segment antérieur est normal, ainsi que le fond d’œil. Pour l’œil gauche, l’acuité visuelle a été chiffrée à 1/20e. L’inspection a montré un œdème inflammatoire des paupières, un proptosis, une exophtalmie indolore, non axile, déviée vers le bas, non réductible, mais le globe est complètement mobile, sans limitation de mouvement. La palpation révèle une tuméfaction ferme, bien limitée, le long du fornix supérieur et inférieur.

L’examen à la lampe à fente a objectivé des chémosis très importants, une cornée claire, une chambre antérieure calme et une tension oculaire égale à 14mmhg. Le fond d’œil a montré un œdème papillaire avec un aspect fibreux des fibres nerveux péri-papillaires, avec dilatations des veines rétiniennes, il n’y a pas d’hémorragies.

L’examen général appareil par appareil n’a montré rien de particulier : Signes généraux : T° = 37°5C ; FC = 85/mn ; TA = 11/8 Toutes les aires ganglionnaires sont libres et il n’y a pas d’hépato-splénomégalie. Les résultats du bilan biologiques : CRP de 50 umol/l, la NFS a objectivé une anémie microcytaire hypochrome assez sévère. Le taux de fibrinogène a été normal. Les taux de T3, T4, et TSH sont normaux. Il s’agit alors selon ces examens biologiques d’une exophtalmie d’origine inflammatoire.

Le scanner cérébral avec coupes axiales étagées et jointives sans et avec injection de produit de contraste a évoqué un processus intra et extra conique orbitaire gauche de plage hétérogène mal circonscrit envahissant le paquet vasculo nerveux et le muscle droit latéral externe respectant la paroi osseuse et le globe oculaire. Une biopsie par voie trans conjonctivale dans le fornix de la paupière supérieure a été pratiquée après une consultation en oncologie suivi d’un transfert immédiat de la patiente dans ce service pour une chimiothérapie adjuvante vue l’absence de l’examen anatomo pathologique extemporané.

L’examen anatomo pathologique différé a révélé le LMNH de type diffus à petites cellules sans différenciation de lymphocytes. Une première cure de chimiothérapie, composée de CHOP, a permis une régression de moitié de l’exophtalmie et une amélioration de la vision à 6/10e. La seconde chimiothérapie a été intercalée de quelques mois vue qu’elle devait accoucher. L’accouchement s’est bien passé et le bébé va bien malgré la chimiothérapie.

COMMENTAIRE

Les LMNH sont les plus fréquents des hémopathies malignes (7/100000 habitants par an)La répartition selon le sexe est variable selon les auteurs. Les LMNH peuvent se voir à tout âge (2), mais ils sont plus fréquents chez les sujets âgés à partir de 60ans, avec une médiane d’âge de 55ans. L’étiologie des lymphomes est encore obscure.

Selon la littérature, les lymphomes sont secondaires à des défauts de régulation du système immunitaire devant une excitation persistante des polyclones de lymphomes (3).

D’autres auteurs évoquent une origine génétique d’un défaut ou d’un dysfonctionnement lymphocytaire. La classification est difficile vue la multiplicité des formes cliniques et anatomopathologiques. Dans les formes localisées, le traitement consiste en une radiothérapie et dans les formes avec atteinte systémique, une chimiothérapie d’emblée est nécessaire dont le protocole le plus utilisé est le CHOP (cyclophosphamide, doxurubicin ou adriamycin, vincristine ou oncovin, prednisone). L’évolution après le traitement est fonction du stade histologique et de l’âge du sujet. Le LMNH de forte malignité du sujet jeune guérit dans 2/3 des cas. Les LMNH de faible malignité, quelque soit l’âge guérissent difficilement même s’ils ont une survie médiane de plusieurs années.

Les LMNH de forte malignité du sujet âgé est de mauvais pronostic (médiane de survie inférieure à 1 an) car la tolérance des traitements potentiellement curateurs est trop souvent incompatible avec l’âge. Les LMNH orbitaires sont des manifestations extra nodales d’affection lympho-proliférative maligne (4). Les LMNH orbitaires constituent les 10% de l’ensemble des tumeurs orbitaires  et moins de 1% de tous les lymphomes (5). 75% des atteintes orbitaires sont des atteintes systématiques dans la majorité des cas, contre 25% d’atteinte orbitaire localisée (4).

Les LMNH orbitaires peuvent se voir à tout âge, il constitue la deuxième tumeur maligne oculo orbitaire de l’enfant après le rétinoblastome en Afrique (6).

Notre patient est une femme de 40 ans, présentant une localisation primitive de LMNH orbitaire donc c’est un rare cas. Cliniquement, le LMNH orbitaire primitif se manifeste par une diplopie binoculaire, diminution de la motilité oculaire, exophtalmie, proptosis et ptosis (7).

La tumeur augmente de volume de façon progressive et il n’y a pas de douleur. Souvent le seul signe clinique palpable est la masse orbitaire. Le diagnostic est suspecté devant une exophtalmie par une échographie oculaire, une masse orbitaire au scanner, mais le diagnostic étiologique (7). Du point de vue histologique, la forme la plus fréquente est la présence de cellules Béta de bas grade de malignité, souvent associée aux cellules mucoïdes donnant le MALT (low grade mucosa associated lymphoid tumor). La différenciation des lymphocytes permet de classer la tumeur et d’en évaluer le pronostic vital. Ainsi, pour Knowless et Jakobieck, 25% des lymphomes bien différenciés font une maladie généralisée contre 68% pour les non différenciés (8). Notre cas est donc de bas grade de malignité.

La forme sans extension systémique pourrait s’expliquer par l’absence de drainage lymphatique au niveau orbitaire. Un cas de LMNH orbitaire chez un enfant malgache a été signalé en 2005. Une association de LMNH orbitaire à d’autres localisations n’a pas été encore rapportée jusqu’ici à notre connaissance pour Madagascar. Notre patient a été traité par une chimiothérapie malgré la localisation isolée et primitive de la tumeur vue son état physiologique qui est la grossesse. L’évolution sous chimiothérapie est d’emblée bonne avec réduction considérable de la tumeur, récupération de l’acuité visuelle antérieure (5), mais la radiothérapie entraine souvent une cataracte secondaire et des sécheresses oculaires. Le lymphome occupe la quatrième place des tumeurs malignes rencontrées au cours d’une grossesse. Le pronostic de la maladie ne semble pas modifié par rapport à la population générale. Les lymphomes non hodgkiniens sont extrêmement rares pendant la grossesse. Le pic d’incidence se situe à l’adolescence (9). L’état immunitaire d’une femme enceinte peut présenter une dysfonction, cependant il n’y a pas de corrélation entre grossesse et lymphome.

Selon la littérature (10), chez une femme enceinte au second trimestre comme notre patiente, et en cas de maladie avancée, un traitement par polychimiothérapie sera proposé, les risques sont principalement un retard de croissance in utéro, un retard mental. Les malformations étant plus rares. Pour certaines maladies très localisées ou indolentes comme durant le premier trimestre, le traitement peut être postposé. En cas de lymphome de bas grade comme le cas de notre patiente, dans la majorité des cas, étant donné l’évolution indolente, le traitement pourra être postposé en fin de grossesse ou après l’accouchement. Notre patiente a reçu une première cure au cours de la grossesse mais elle s’en sorti indemne ainsi que le bébé. CONCLUSION Les LMNH sont extrêmement rares chez une femme enceinte, la localisation orbitaire est encore plus rare. Une investigation complète est nécessaire pour pouvoir bien prendre en charge et traiter une exophtalmie. Une amélioration des techniques d’investigation et de prise en charge devrait être apportée dans notre pays.

BIBLIOGRAPHIES

(1)  :Ellis JH, Banks PM, Campbell RJ, Liesganj JJ. Lymphoid tumor of the ocular adnexa : clinical correlation with the working classification and immune-peroxydase saining of paraffin section. Ophthalmology. 1985 ; 92 : 1311-24
(2) : Antonela G, Antunica et al. Primary orbital non hodgkin’s lymphoma : case report. Acta clin groat, 2007 ; 46 : 113-6
(3) : Coupland SE. lymphoproliférative lasionen der okularen adnexe-differenzial-diagnostische-leitlinsen. Ophthalmologe, 2004 ; 101 (2) : 197-215
(4) : Valassori GE et al. Imaging of orbital lymphoproliferative disorders. Radiol Clin North Am, 1999, 37 (1) : 135-50
(5) : Coupland SE, Hummel M, Stein H. Ocular adnexal lymphomas, five case presentation and a review of literature. Surv Ophthalmol, 2002 ; 47 : 470-90
(6) : Discamps G, Doury JC, Chovet M. Contribution à l’étude statistique des cancers oculo orbitaires en Afrique. A propos de 460 observations. Med Trop, 1972 ; 32 : 385-401
(7)  : Katowitz JA, Cahill KV, Gonnering RS et al. Basic and clinical science course : orbit and lachrymal system. San Francisco : Am acad of ophthalmology, 1990
(8)  : Knowless DM, Jakobiec F. Orbital lymphoid neoplasm. A clinic pathologic study of 60 patients. Cancer 1980, 46 : 576-89 (9) : Meulemen N, Bron D. Lymphome et grossesse. Journal du réseau cancer de l’Université libre de Bruxelles, N°2, Mai 2005 (10) Jakobiec FA, Knowless DM, Mc Nally C, Burke JS. Lymphoid hyperplasia and malignant lymphoma occurring in ocular adnexa : a prospective multiparametric analysis of 108 cases during 1977 to 1987. Hum Patol 1990 ; 21: 953-76

 

 

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