Vers des benzodiazépines dénuées d’effets indésirables

Des chercheurs suisses rapportent dans Nature que les benzodiazépines exercent leurs multiples effets, recherchés et indésirables, par l’intermédiaire de différents sous-types spécifiques du récepteur GABA. Ces résultats permettent pour la première fois d’envisager, par une approche rationnelle, des stratégies thérapeutiques plus ciblées potentiellement dépourvues de certains effets secondaires.

Il est désormais possible d’imaginer qu’une benzodiazépine spécialement conçue pour combattre l’anxiété n’entraîne plus de sédation et de troubles mnésiques. Ceci serait, à n’en pas douter, une avancée majeure en neuropharmacologie. Les résultats de l’équipe conduite par Hanns Möhler de l’Université de Zurich et l’Institut suisse de technologie (ETH), en collaboration avec la firme Hoffmann-LaRoche, montrent que l’on en n’est peut-être pas très loin.

Le diazépam et les benzodiazépines classiques utilisées comme anxiolytiques, hypnotiques, anticonvulsivants et myorelaxants ont pour effets secondaires une amnésie rétrograde, une altération de la coordination motrice et une potentialisation de l’action de l’alcool.

Par ailleurs, les multiples actions des benzodiazépines, qu’il s’agisse de la régulation de la vigilance, de l’anxiété, de la tension musculaire, de l’activité épileptogène, des fonctions mnésiques, s’exercent via les récepteurs GABA (acide gamma-aminobutyrique), qui sont des canaux chlore. Les benzodiazépines induisent un changement de forme du récepteur GABA (modulation allostérique) qui facilite le mouvement des ions chlore dans les neurones.

On sait que les benzodiazépines exercent leurs actions via les sous-types alpha-1, 2, 3 et 5 du récepteur GABA. Ces récepteurs ont en commun d’avoir une histidine en position conservée, au résidu 101 pour le sous-type alpha-1. A l’inverse, les sous-types alpha-4 et alpha-6 du récepteur GABA possèdent à cette même position une arginine et sont insensibles aux benzodiazépines.

Les chercheurs suisses ont créé, en utilisant la technique de recombinaison homologue, des souris porteuses d’une mutation spécifique dans le gène codant pour la sous-unité alpha-1 du récepteur GABA. Ce sous-type représente à lui seul 60% des récepteurs GABA présents dans le cerveau.

En introduisant une mutation visant à remplacer l’histidine par une arginine dans la sous-unité alpha-1, les chercheurs ont rendu ces récepteurs GABA insensibles à l’action des benzodiazépines. Le neuromédiateur inhibiteur peut cependant toujours se lier à ces récepteurs mutés qui conservent donc leur fonction physiologique.

L’action anxiolytique peut être séparée des effets sédatifs

Ces souris mutantes, dont les récepteurs alpha-1 GABA ont donc été rendus insensibles aux benzodiazépines, se sont montrées réfractaires à l’action sédative, amnésique et partiellement anticonvulsivante du diazépam.

A l’inverse, ces rongeurs étaient sensibles à l’action anxiolytique et myorelaxante du diazépam, mais également à ses effets sur la coordination motrice et en cas d’ingestion d’alcool. Les chercheurs attribuent ces effets à d’autres sous-types de récepteurs GABA : les alpha-2 et 5 du système limbique, l’alpha-3 des neurones monoaminergiques, et les alpha-2 et 5 des motoneurones.

Il apparaît donc que les effets anxiolytiques des benzodiazépines sont distinctes de leurs effets sédatifs qui, eux, dépendent des récepteurs GABA de sous-types alpha-2, 3 ou 5.

La démonstration que les réponses comportementales induites par les benzodiazépines dépendent de sous-types différents du récepteur GABA, et fassent donc intervenir des circuits neuronaux distincts, est une première. Elle permet d’envisager de nouvelles approches neuropharmacologiques basées sur la conception de molécules ayant des points d’impact très ciblés.

“Ainsi, on peut s’attendre à ce que des agonistes agissant sur les récepteurs GABA alpha-2, alpha-3 et alpha-5, mais pas sur le récepteur alpha-1, soient des anxiolytiques dépourvus d’action sédative et amnésique”, écrivent les chercheurs.

Nul doute que des souris inactivées pour les récepteurs GABA alpha2, alpha-3 et alpha-5 devraient rapidement suivre.

Ces souris dont les récepteurs GABA alpha-1 ont été rendus insensibles aux benzodiazépines constituent un modèle très utile pour déterminer si le développement de phénomènes de tolérance et de dépendance est spécifique de sous-type. Enfin, dans la mesure où les effets inhibiteurs du GABA sont augmentés par les benzodiazépines, ces animaux devraient également permettre de mieux appréhender le rôle physiologique du récepteur alpha-1.

Source : Nature, 21 octobre 1999, Vol. 401, 796-800.

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