Le point sur la Maladie de Charcot ou Sclérose Latérale Amyotrophique

Interview du Professeur Vincent Meininger
Centre S.L.A. de Paris - Hôpital de la Salpêtrière

Propos recueillis par Dr Françoise Girard
6 septembre 2001



Caducee : Quels sont les éléments cliniques orientant vers un tel diagnostic ?


Pr V.M : Bien des choses considérées comme classiques sont fausses : il s'agit d'une maladie neuro dégénérative, avec mort cellulaire de certains contingents neuronaux, dont on peut comparer le mécanisme à celui de l'Alzheimer (l'atteinte est alors cérébrale) ou du Parkinson (atteinte des cellules dopaminergiques).
Dans la SLA, on assiste à une atteinte des neurones moteurs ou motoneurones, dont certains sont dits périphériques et se rendant de la moelle épinière ou du tronc cérébral vers les muscles des membres et de la face, mais respectant les nerfs oculomoteurs et le sphincter strié de l'urètre. Sont également atteints les motoneurones corticaux, d'où des troubles de la commande et de l'organisation du mouvement. Deux types de symptomatologies peuvent alors être associées, une périphérique avec paralysies variées et atrophie musculaire et une centrale, de la commande, sans atrophie musculaire, mais avec une augmentation du degré de contracture musculaire (ou hypertonie).

Caducee : Quelles sont vos conclusions épidémiologiques, au travers de votre cohorte de 4 000 malades ?

Pr V. M. : Il s'agit d'une maladie majoritairement sporadique, mais on retrouve 8% de formes familiales et les antécédents d'intense activité physique sont indiscutablement un facteur de risque. L'âge moyen de survenue est de 58 ans, mais deux grands groupes peuvent être individualisés. Dans les deux tiers des cas, il s'agit d'une forme débutant par les membres, chez un homme de 55 ans, avec paralysie, crampes et fasciculations. Dans l'autre tiers des cas, on se trouve face à une forme bulbaire avec troubles de la phonation et de la déglutition, survenant plus volontiers vers 65 ans. Les deux formes se complètent progressivement, atteignant les deux membres supérieurs, les deux inférieurs, la parole et la déglutition.
L'atteinte respiratoire s'installe progressivement, 90% des patients décéderont, mais 10% resteront stables. Les causes des décès ne sont pas simples, 50% par mort subite (arrêt respiratoire nocturne, IM, E Pulmonaire) et 50% par insuffisance respiratoire progressive compliquée de surinfections pulmonaires.
Certains cas seront plus périphériques que d'autres. La majoration des signes centraux offre un tableau clinique de rigidité, contracture importante, sans que cela permettre d'intégrer un caractère évolutif prédictif.

Caducee : Est-il toujours exact que ces patients décèdent dans les 36 mois ?

Pr V.M. : En fait, il n'y a pas de profil évolutif type, mais on peut individualiser 4 groupes de patients :
- 25% d'hyper évolutifs dont la médiane de survie est de 9 mois
- 25% de très évolutifs , avec une médiane de survie de 18 mois
- 25% de beaucoup moins évolutifs, dont la médiane se situe entre 5 et 8 ans
- 25% de peu évolutifs qui survivent plus de10 ans

Il est certain que malgré les nombreux paramètres cliniques ou biologiques, on ne peut à l'heure actuelle, être prédictifs, on retrouve des formes rapides qui se stabilisent et des formes lentes qui s'accélèrent et l'on ne peut avoir d'à priori quant à l'évolutivité de la maladie et ce à aucun moment de son évolution. On peut néanmoins retenir comme critères de mauvais pronostic : une perte de poids rapide, une extrême fatigabilité et un déclin rapide de la capacité vitale&mais l'âge interfère et les pathologies annexes également.

Caducee : Quels types de troubles fonctionnels associés retrouve-t-on ?

PrV.M. : Ils sont multiples, là aussi, il ne faut pas avoir d'à priori, il faut clairement identifier le symptôme, le comprendre et le traiter. La constipation devra être traitée régulièrement, les syndromes douloureux calmés (ce sont des patients qui souffrent). L'étiologie des troubles du sommeil est fondamentale, on ne prendra pas en charge de la même manière un anxieux qu'un sujet qui souffre ou celui qui ne dort pas du fait d'une désaturation nocturne. De même, une perte de poids ne doit pas être considérée comme normale et liée à la diminution de la masse musculaire. On retrouve fréquemment un syndrome anxieux, une labilité émotionnelle, des mycoses, une hypersalivation, une production importante de glaires, tous ces signes justifient identification.

Caducee : Quels sont les diagnostics différentiels ?

Pr V.M. : Il s'agit d'un tableau typique et la question se pose peu aujourd'hui. On pourrait hésiter face à des affections du motoneurone périphérique d'origine endocrinienne, ou immunitaire, mais l'EMG (seul examen complémentaire référent) et les examens complémentaires tranchent en général facilement. On pourrait également citer les amyotrophies spinales héréditaires type syndrome de Kennedy et surtout, il ne faut pas se laisser piéger par certaines affections notamment le canal cervical étroit.

Caducee : Qui doit, à votre sens, suivre ces patients ?

Pr V.M. : La prise en charge repose sur un trépied, médecin de ville, neurologue de ville et centre expert. Une dizaine sont actuellement fonctionnels, il serait souhaitable qu'il y en ait un à deux par région, ils ont vocation triple : l'élaboration des stratégies de prise en charge, la recherche clinique, la mise en place de programmes de recherche fondamentale et les essais cliniques. La prise en charge se fait par des experts dont les réflexes cliniques leur permettent de répondre rapidement et de façon adaptée à des questions bien spécifiques d'une pathologie rare.

Caducee : Quels sont les chiffres de la SLA ?

Pr V.M. : L'incidence est de 2 pour cent mille, incidence qui double tous les 40 ans pour des raisons obscures. Elle est légèrement supérieure à celle de la SEP, et représente un malade diagnostiqué toutes les 7 heures en France. La prévalence est faible, de l'ordre de 6 000 et liée à un taux de décès important. On peut retenir qu'un malade décède toutes les 11 heures.

Caducee : Quel type de prise en charge faut-il proposer ?

Pr V.M. : Il faut envisager un traitement symptomatique, un traitement correcteur avec rééducation non active et une prise en charge du handicap adaptée. Différents moyens d'aide au handicap seront mis en place, notamment il est recommandé de mettre en place une gastrotomie chez un patient ayant des troubles bulbaires et qui perd du poids. Par contre, ce geste ne présente pas d'intérêt chez les patients qui perdent du poids mais qui ne présente pas de troubles de la déglutition.

Caducee : Et sur le plan thérapeutique curatif ?

Pr V.M. : Jusque dans les années 90, la connaissance physiopathologique était très floue et les essais thérapeutiques ont été volontiers "sauvages". La période 90 - 2000 est celle du glutamate et des facteurs de croissance.
Il a été remarqué que le glutamate était mal métabolisé au niveau de la fente synaptique, ce qui entraînait une pénétration intracellulaire de calcium anormale. Ceci a amené à la mise sur le marché du Rilutek, un anti glutamate non spécifique. Il ralentit l'évolution de la maladie de 30%, tous les patients étant répondeurs, sans facteur prédictif , avec une efficacité d'autant plus importante qu'il est introduit précocement.
A la même période, les travaux ont commencé avec les facteurs de croissance. Les facteurs de croissance purifiés se sont révélés inefficaces aussi bien en sous-cutané qu'en intrathécal (directement dans le liquide céphalorachidien). Par contre, le Xaliprodène, substance chimique capable de stimuler les facteurs de croissance endogènes a bien un effet thérapeutique fonctionnel car il ralentit la vitesse de dégradation de la capacité vitale.
Depuis l'année 2000, la mise en en évidence d'une mutation dans 12% des formes familiales sur le gène codant la superoxyde dismutase a permis d'importants progrès notamment la mise au point de modèles animaux de la maladie. Ces modèles ont notamment permis de reconnaître les mécanismes et le rôle du stress oxydatif, de l'apoptose et de l'agrégation protéique. Il s'agit donc d'une nouvelle période thérapeutique dans laquelle il apparaît encore peu probable que la thérapie génique ait un rôle à jouer, mais dans laquelle les cellules souches ont peut-être un rôle à jouer.

Caducee : Quels sont les espoirs ?

Pr V.M. : Il est probable, possible et souhaité, que d'ici 10 ans , on soit capable de stopper l'évolution de la maladie dans 50% des cas.
 
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