Le saturnisme

Définition

Le saturnisme est une intoxication aiguë ou chronique, professionnelle ou domestique, par le plomb, ses vapeurs ou ses sels, qui pénètrent dans l'organisme par voie digestive ou respiratoire. La toxicité est essentiellement hématologique, neurologique et rénale (1er tableau des maladies professionnelles).
Le saturnisme fut la première maladie professionnelle indemnisée en France.
Les manifestations aiguës sont exceptionnelles, et on s'attache surtout au dépistage précoce des intoxications chroniques.

Sources de contamination par le plomb

- L'essence plombée
Avec l'abandon progressif de l'essence plombée, l'émission de plomb dans l'atmosphère a considérablement diminué. En 20 ans, le taux de plomb dans le sang a en moyenne diminué de 50 % dans la population française. Le taux de plomb est aujourd'hui de 65 µg/l (aux Etats-unis, la plombémie moyenne de la population est de 23 µg/l).

- L'eau
Dans certaines régions, l'eau de distribution peut-être une source de contamination. Une eau "agressive" peut en effet dissoudre le plomb présent dans les canalisations anciennes. Une campagne de déminéralisation des eaux et d'élimination des conduits en plomb ainsi que l'application des normes européennes (taux en plomb de 25 µg/l dans un premier temps puis 10 µg/l en 2023) devrait conduire à faire disparaître cette source de contamination.

- Les aliments
La contamination des aliments par le plomb est principalement due aux retombées de la pollution atmosphérique et à la contamination des sols qui touchent en priorité les végétaux. Les valeurs moyennes de plomb retrouvées dans les aliments ne dépassent généralement pas les valeurs limites admises. Néanmoins, l'alimentation représente la moitié des apports journaliers en plomb chez l'homme vivant dans un environnement peu exposé.

- L'habitat ancien non-réhabilité et certains sites industriels
>les pigments en plomb, utilisés dans les peintures jusqu'en 1948 constituent encore une source de contamination dans certaines habitations. Pour présenter un risque réel, le plomb doit être accessible : revêtements dégradés, écailles, poussières.
>les sites pollués par une industrie traitant le plomb peuvent être une source de contamination pour les jeunes enfants

Physiopathologie

1 - métabolisme du plomb

Le plomb n'a aucun rôle physiologique connu chez l'homme, sa présence dans l'organisme témoigne donc toujours d'une contamination. A l'état normal, le milieu biologique de l'homme contient une quantité faible mais non négligeable de plomb. Cette présence provient des conditions d'environnement et de l'ubiquité de ce métal.

Le plomb pénètre dans l'organisme par :
-voie cutanée
-voie digestive essentiellement via les aliments et l'eau de boisson
-voie aérienne (inhalation des poussières atmosphériques contaminées). C'est la voie la plus dangereuse car le plomb atteint directement la circulation sanguine.

Le plomb se diffuse rapidement via la circulation sanguine dans les différents organes comme le cerveau, les tissus fortement calcifiés (dents et os). Si la demie-vie du plomb dans les tissus mous et dans le sang est d'environ 30 jours, sa demie-vie dans l'os est très longue, de l'ordre de 1 an dans l'os trabéculaire et de 10 à 20 ans dans l'os compact.

2 - Toxicité

La toxicité du plomb dans l'organisme ne se manifeste qu'au delà d'un certain seuil.
Les cibles essentielles sont :

- les enzymes
Le plomb modifie les propriétés de nombreuses protéines cytosoliques et membranaires en se liant de façon réversible avec les groupements thiol. Il inhibe ainsi des enzymes et particulièrement celles de la voie de biosynthèse de l'hème comme l'acide aminolévulinique déshydratase (ALAD) et la ferrochélatase.
>l'inhibition de l'ALAD entraîne une augmentation de l'excrétion urinaire d'acide aminolévulinique (ALA)
>l'inhibition de la ferrochélatase entraîne l'accumulation de protoporphyrine érythrocytaire libre
Il en résulte une carence en hème, carence qui affecte la synthèse de l'hémoglobine et aussi celle des processus cellulaires comme l'activité respiratoire mitochondriale ou le métabolisme oxydatif.

- le calcium
Le plomb libre ionisé perturbe l'homéostasie calcique. Il interagit avec le calcium à différents niveaux cellulaires et inhibe les systèmes de transport membranaire comme les pompes ioniques (ATPase Na / K ) et certains canaux calciques. Il peut donc indirectement altérer les réactions intracellulaires dépendant des concentrations de calcium.

- les acides nucléiques
Il est possible qu'existe une interaction plomb / ARN cytoplasmique mais on manque encore de preuve.

Signes cliniques

1 - Saturnisme aiguë

Le saturnisme aiguë est une intoxication rare qui s'accompagne de violentes douleurs intestinales (coliques de plomb) avec constipation et des troubles neuropsychiques. Il peut se rencontrer après absorption volontaire d'un sel de plomb ou lors d'une intoxication accidentelle.

2 - Saturnisme chronique

Les signes cliniques d'un intoxication chronique par le plomb sont peu spécifiques : symptômes pour la plupart du temps discret, insidieux.

-La colique de plomb constitue souvent la première manifestation spectaculaire dans la phase clinique de l'intoxication chronique
-Le liseré saturnin ou liseré de Burton
C'est un liseré gingival noirâtre s'accompagnant souvent de plaques pigmentées jugales ou plaques de Gubler qui témoignent de la formation d'un dépôt de sulfure de plomb au contact du SH2 buccal.
-Des lésions rétiniennes sous forme de taches grisâtres siégeant au pourtour de la macula peuvent apparaître
-Manifestations rénales : diminution de la filtration glomérulaire, goutte saturnine, néphropathies tubulo-interstitielles dans les intoxications graves
-Manifestations digestives : troubles de la motricité (constipation, douleurs abdomidales)
-Le syndrome urinaire comprend une protéinurie discrète, une hématurie et une leucocyturie microscopiques, un abaissement des clairances de l'urée et de la créatinine.
-Le syndrome vasculaire : hypertension artérielle et à-coups hypertensifs au cours de coliques de plomb, parfois une sclérose artérielle au fond de l'oeil.
-Le système nerveux est très sensible à l'action du toxique :
>Les manifestations centrales sont en général transitoires : troubles du comportement et du sommeil, diminution des acquisitions et des performances cognitives, encéphalopathies saturnines marquées par une amaurose, une surdité ou une aphasie de quelques jours. Dans les intoxications graves, de violents accès convulsifs peuvent avoir lieu parfois accompagnés d'une composante psychique.
>Les manifestations périphériques sont plus tardives; ce sont des atteintes névritiques motrices pures.La forme habituelle est la paralysie pseudo-radiale avec atteinte élective de l'extenseur commun. A sa phase d'état, elle est bilatérale et symétrique. L'atteinte des membres inférieurs est beaucoup plus rare.
-Effets possibles sur la croissance foetale, la durée de gestation et l'apparition de malformations
- Une étude sur le risque de diminution de QI dans la population française d'enfants exposés à de faibles doses de plomb a été réalisée et extrapolée à la population d'enfants de 1 à 6 ans vivant en France. La distribution des plombémies dans la tranche d'âge 1-6 ans dans cette étude montre que 98 % des valeurs se situent entre 0 et 100 m g/l. Pour cet intervalle, on ne peut pas quantifier la relation entre l'exposition au plomb et la valeur du QI dans l'état actuel des connaissances. Pour des plombémies d'au moins 100 m g/l : une augmentation de 100 m g/l de la plombémie est associée à une perte moyenne de 2 points de QI.
- Mais aussi par interférence à plusieurs niveaux de la synthèse de l'hème :
>augmentation de l'ALA sérique et de la protoporphyrine intra-érythrocytaire (porphyrie secondaire)
>anémie normochrome normocytaire
- Etudes en cours sur les potentialités cancérigènes du plomb quand celui-ci associé à d'autres métaux

3 - Personnes à risque

Le saturnisme touche principalement les enfants habitant dans des logements anciens et dégradés.
Ce sont en général des enfants jeunes car ils ont :

> une ingestion importante
> une absorption digestive élevée
> une inhalation importante
> une capacité d'élimination rénale faible
> un cerveau en croissance plus sensible au toxique

Diagnostic

-Interrogatoire pour reconnaître les facteurs de risque et rechercher les sources possibles de contamination

-Examen clinique : il est assez souvent négatif. Il permet de découvrir une pâleur cutanéomuqueuse, un ballonement abdomidal, une corde colique gauche, des troubles du comportement et un retard dans les acquisitions psychomotrices.

-La plombémie qui correspond au taux de plomb dans le sang. C'est le marqueur essentiel de l'intoxication par le plomb. Son dosage permet de confirmer une exposition récente au plomb et de la classer dans l'une des 6 classes de la classification du Center for Diseases Control (CDC). La limite se situe entre 60 et
80 µg / 100 ml . Au delà, on considère qu'il y'a imprégnation pathologique ou exposition dangereuse.
Le dosage de la plombémie nécessite un prélèvement veineux et requiert une technique basée sur la spectrophotométrie d'absorption atomique. Des techniques non invasives par fluorescence X mesurent au niveau du tibia ou des phalanges l'accumulation du plomb dans le tissu osseux. De même, les taux de plomb dans les dents ou les cheveux sont des marqueurs rétrospectifs d'exposition réelle.

-Un hémogramme est souhaitable à la recherche d'une anémie hypochrome microcytaire

-Dosage de la protoporphyrine-zinc sanguine, de l'ALA urinaire et de la plomburie spontanée ne sont pas indispensables

Après confirmation biologique du diagnostic il convient d'apprécier l'ancienneté et les conséquences de l'intoxication chez l'enfant : bilan biologique sanguin (ferritinémie), rénal (créatininémie, protéinurie par bandelette), radiographie des genoux à la recherche de bandes claires métaphysaires témoignant de l'accumulation de plomb au niveau des cartilages de conjugaison, évaluation du développement psychomoteur.

Traitement

Il doit comporter d'une part l'élimination du plomb sous une forme non toxique et d'autre part un traitement symptomatique destiné à atténuer ou à guérir les accidents déclarés.

-Traitement spécifique : il est fondé sur le principe de la fixation du plomb sous une forme non toxique et à son élimination sous contrôle méthodique. Pour celà, on dispose de chélateurs capables de mobiliser le plomb fixé dans les tissus. Actuellement, il y'a trois agents chélateurs efficaces dans le traitement du saturnisme :
>le BAL (British anti-Lewisite) ou Dimercaprol administré par voie intramusculaire stricte et mobilisant de préférence le plomb des tissus mous.
Posologie: 3mg/Kg et par injection - 6 fois/jour pendant 2 jours - 4 fois/jour le 3ème jour puis 2 fois/jour pendant 10 jours.
>l'EDTA calcique administré par perfusion lente en une heure, actif sur le plomb osseux.
Posologie: 1 gramme dilué dans 250 ml de soluté isotonique glucosé ou salé - 1 à 2 fois/24 heures (cure de 3 à 5 jours à répéter après une intervalle de 7 jours).
> le DMSA (acide dimercaptosuccinique) qui est un chélateur oral. Il est depuis peu sur le marché français et favorise préférentiellement comme le BAL l'excrétion du plomb à partir des tissus mous.

-Traitement symptomatique : pour les douleurs abdomidales, on peut utiliser l'injection intra-veineuse lente d'atropine ou de la chlorpromazine par voie intra-musculaire ou une perfusion de soluté glucosé isotonique. Pour les accidents neurologiques, rénaux, on utilise des méthodes classiques non particulières au saturnisme.

Législation

- Avril 1993 : création du Comité technique Plomb par le Ministère de la Santé.
- Circulaire du 1er décembre 1993 (circulaire DGS/VS3.SP2/93/N°73) : la Direction Générale de la Santé préconise l'extension à tous les départements français du dépistage des enfants intoxiqués au plomb, et débloque une enveloppe de 14 millions de francs pour développer au niveau départemental des politiques de lutte contre le saturnisme infantile. En 1994, vingt-trois programmes départementaux débutent
- Circulaire du 6 décembre 1993 complètant la circulaire DGS/VS3.SP2/93/N°73 de la DGS : rappelle les modalités d'une mise en oeuvre d'un programme de rénovation de l'habitat.
- Janvier 1995 : mise en place d'un système national de surveillance du saturnisme par la DGS
- Avril 1995 : interdiction de l'utilisation du plomb au niveau des canalisations
- Août 1997 : interdiction de l'utilisation du plomb au niveau des brasures
- 13 janvier 1999 : Allocution de Bernard Kouchner qui annonce pour l'habitat que la loi d'orientation contre les exclusions prévoit de nouvelles mesures pour lutter contre le saturnisme à savoir la mise en place d'un plan de prévention du saturnisme dans chaque département (plan intégré dans le cadre des programmes régionaux pour l'accès à la prévention et aux soins prévus par la loi d'orientation contre les exclusions du 29 juillet 1998). Elaborés sous la responsabilité des préfets, ces plans associeront obligatoirement les collectivités locales, les représentants du corps médical, les organismes d'assurance sociale et les associations travaillant auprès des personnes défavorisées. La mise en place du dossier médical de liaison entre les services départementaux de PMI et les services de promotion en faveur des élèves favorisera un meilleur suivi des enfants.Tout médecin dépistant un cas de saturnisme devra en informer le médecin de la DDASS ou le médecin responsable de PMI.
D'autre part, les critères déterminant le risque d'intoxication au plomb seront fixés par décret en Conseil d'Etat en application de la loi d'orientation contre les exclusions.Un seuil de 150 µg/l est instauré par arrêté comme seuil de déclenchement des mesures d'urgence. Dans les zones à risque arrêtées par le préfet, après consultation du Conseil Départemental d'Hygiène et du Conseil Municipal,un état des risques d'accessibilité au plomb sera réalisé à l'occasion de toute transaction immobilière portant sur les immeubles ou parties d'immeubles construits avant 1948.
- Décret n° 99-363 du 6 mai 1999 : la liste des "maladies faisant l'objet d'une transmission obligatoire de données individuelles à l'autorité sanitaire" est élargieà : infection aiguë symptomatique par le virus de l'hépatite B, infection par le virus de l'immunodéficience humaine,quelque soit le stade, suspicion de Creutzfeldt-Jakob et saturnisme chez les enfants mineurs.

Textes de loi

Code de la santé publique - Mesures d'urgence contre le saturnisme
Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 art. 123 2° Journal Officiel du 31 juillet 1998

Code de la santé publique - Salubrité des immeubles
Dispositions générales art. 26 à art. 32

Mesures d'urgence contre le saturnisme prévues aux articles L. 32-1 à L. 32-4 du code de la santé publique et modifiant le code de la santé publique (deuxième partie : Décrets en Conseil d'Etat)
Décret no 99-483 du 9 juin 1999
J.O. Numéro 133 du 11 Juin 1999 page 8544

Mesures d'urgence contre le saturnisme prévues à l'article L. 32-5 du code de la santé publique et modifiant le code de la santé publique (deuxième partie : Décrets en Conseil d'Etat)
Décret no 99-484 du 9 juin 1999
J.O. Numéro 133 du 11 Juin 1999 page 8545

Pour en savoir plus

Le saturnisme infantile
Définition - Quelques repères historiques - Bibliographie très dense (rappel des définitions et des effets du plomb sur la santé, épidémiologie, populations exposées, dépistage, prévention et éducation sanitaire, amélioration de l'habitat, l'expérience américaine).
Dossier bibliographique réalisé par Chantal Lheureux - Centre de documentation en Santé Publique de la faculté Saint-Antoine, Paris.

Saturne Sud
Le Réseau Saturne Sud est un réseau de dépistage et de prévention du saturnisme chronique de l'enfant. Il a pour mission d'aider les professionnels de santé à repérer, diagnostiquer et prendre en charge les enfants atteints de saturnisme infantile.

Lutte contre le saturnisme
Les mesures d'urgence visant à répondre à un risque d'intoxication par le plomb, les travaux, la délimitation des zones à risque, textes de loi et adresses utiles.

Surveillance du saturnisme infantile en France - Bilan des activités de dépistage
L'intoxication par le plomb, risque connu depuis longtemps, en particulier en médecine du travail, a vu un regain d'actualité ces vingt dernières années, suite à la découverte de cette pathologie chez l'enfant et parce que les niveaux d'exposition reconnus comme dangereux pour la santé sont de plus en plus bas.
Document réalisé par Martine LEDRANS (Réseau National de Santé Publique) et Jocelyne BOUDOT (Direction Générale de la Santé).

Saturnisme chronique de l'enfant
Introduction, les effets pathogènes, les sources de contamination, les enfants à risque, signes d'alerte, démarche diagnostique, prise en charge
Par les Pr Jean-Louis BERNARD, pédiatre à Marseille et Pr Pierre COCHAT, pédiatre à Lyon - 1997.

Intoxication professionnelle par le plomb
Conditions et circonstances d'apparition, physiopathologie, description clinique, traitement, aspect médico-légal. Par l'Institut Universitaire de Médecine du Travail de Rennes, 1997.

Enquête sur le saturnisme infantile dans les logements anciens des Yvelines
Le saturnisme est un problème ancien redécouvert en 1985 à Paris; quelques cas d'enfants hospitalisés, sérieusement atteints, ont attiré l'attention. Les recherches effectuées à Paris ont mis en évidence des cas d'enfants intoxiqués par les anciennes peintures au plomb dans leurs logements.
Bulletin épidémiologique hebdomadaire N° 8 / 1999 du 23 février 1999.

Intoxication par le plomb
Introduction, étiologies, métabolisme, physiopathologie, toxicité aiguë, toxicité chronique, diagnostic biologique, traitement des intoxications, réglementation - réparation.
Consultation du Corpus medical. Par le Dr Anne Maître - 1999.

Saturnisme infantile
Définition, quelques dates, liens utiles, sources du plomb, population à risque, effets pathogènes, traitements, dépistage et quelques chiffres en Ile de France, pour en savoir plus.
Par le centre régional d'éducation pour la santé d'Ile de France.

#COVID-19 : le point de situation épidémiologique sur le coronavirus SARS-CoV-2

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