Trastuzumab deruxtecan (Enhertu) en première ligne pour le cancer du sein HER2 positif métastatique : que retenir des résultats de Destiny-Breast09 ?
Résumé
L’essai de phase III Destiny-Breast09, présenté à l’ASCO 2025, évalue le trastuzumab deruxtecan (Enhertu) associé au pertuzumab en première ligne pour le cancer du sein HER2-positif métastatique ou localement avancé. Les résultats intermédiaires, portant sur 770 patientes, montrent une amélioration de la survie sans progression (SSP) par rapport au traitement standard (taxane trastuzumab pertuzumab, THP). Cependant, les données de survie globale (SG) restent immatures, et des défis comme le coût élevé, la toxicité et l’accès aux tests HER2 limitent les conclusions définitives. Cet article analyse les résultats, les implications cliniques et les incertitudes, en adoptant une perspective critique sur les données et leur contexte.
Introduction
Les cancers du sein HER2-positifs, représentant 15 à 20 % des cas, se caractérisent par une surexpression du récepteur HER2, favorisant une prolifération tumorale agressive. Le traitement standard de première intention associe une chimiothérapie à base de taxanes (docétaxel ou paclitaxel) aux anticorps anti-HER2 trastuzumab (Herceptin) et pertuzumab (Perjeta). Malgré ce protocole, environ 1000 à 2000 patientes en France rechutent dans les deux ans, soulignant la nécessité d’options plus efficaces (Le Monde, 2 juin 2025).
Enhertu (trastuzumab deruxtecan), un conjugué anticorps-médicament (ADC) développé par Daiichi Sankyo et AstraZeneca, combine le trastuzumab à une charge cytotoxique (deruxtecan). Approuvé en Europe depuis 2021 pour la deuxième ligne, son utilisation en première ligne est testée dans l’essai Destiny-Breast09, une étude randomisée en ouvert incluant 1 134 patientes. Les résultats intermédiaires, présentés à l’ASCO 2025, suggèrent un bénéfice en SSP, mais des incertitudes persistent, notamment sur la SG, la qualité de vie et l’accès au traitement. Cet article examine ces données de manière critique, en tenant compte des alternatives thérapeutiques et des défis économiques.
Méthodologie de l’essai
L’essai Destiny-Breast09 a inclus 1 134 patientes atteintes d’un cancer du sein HER2-positif métastatique ou localement avancé, sans traitement préalable par chimiothérapie ou thérapie anti-HER2 pour la maladie métastatique (ECOG 0-1). La population était majoritairement âgée de moins de 65 ans (âge médian non précisé), avec une répartition équilibrée des statuts hormonaux (environ 60 % HR-positifs) et des métastases viscérales ou cérébrales (ASCO 2025). Les patientes ont été randomisées en trois bras (1:1:1) :
- Bras A (n=383) : Enhertu (5,4 mg/kg toutes les 3 semaines) pertuzumab.
- Bras B : Enhertu en monothérapie placebo (reste en aveugle).
- Bras C (n=387) : Traitement standard (taxane trastuzumab pertuzumab, THP).
Les résultats intermédiaires, portant sur 770 patientes des bras A et C, ont été présentés à l’ASCO 2025. Le critère principal était la SSP, évaluée par revue centralisée indépendante. Les critères secondaires incluaient le taux de réponse objective (TRO), la SG, les résultats rapportés par les patientes (PRO) via EORTC QLQ-C30, et la tolérance. Le suivi médian était de 24 mois, avec une complétion principale estimée en juillet 2025 (ClinicalTrials.gov, NCT04784715).
Résultats
- Survie sans progression (SSP) :
- Bras Enhertu pertuzumab : SSP médiane de 40,7 mois.
- Bras THP : SSP médiane de 26,9 mois (HR 0,56, p < 0,05, IC 95 % non rapporté).
- Gain : 14 mois, avec des bénéfices observés dans tous les sous-groupes (statut HR, mutation PIK3CA, métastases cérébrales) (ASCO 2025).
- À 24 mois, 70 % des patientes du bras Enhertu n’avaient pas de progression tumorale contre 52 % dans le bras THP.
- Taux de réponse objective (TRO) :
Le TRO était supérieur dans le bras Enhertu (données exactes non rapportées, mais statistiquement significatives) (ASCO 2025).
- Survie globale (SG) :
Les données de SG restent immatures, avec une tendance précoce favorisant Enhertu pertuzumab, mais sans signification statistique à ce stade (ASCO 2025).
- Résultats rapportés par les patientes (PRO) :
Les données préliminaires montrent une stabilité de la qualité de vie dans le bras Enhertu, malgré la toxicité, contre une légère détérioration dans le bras THP liée à la chimiothérapie systémique. Les données à long terme sont attendues (ASCO 2025).
- Tolérance :
- Pneumopathie interstitielle (PID) : Observée chez 12 % des patientes du bras Enhertu (principalement grades 1-3, rares grades 5 dans des études antérieures). Une surveillance par TDM tous les 3-6 mois et l’utilisation de corticostéroïdes pour les cas symptomatiques sont recommandées (Daiichi Sankyo).
- Autres toxicités : Nausées (30 %), fatigue (25 %), neutropénie (15 %) étaient fréquentes mais moins sévères que dans le bras THP grâce à la vectorisation (ASCO 2025).
Discussion
Efficacité et mécanisme : Enhertu bénéficie d’un effet bystander, permettant de cibler les cellules tumorales voisines, même à faible expression HER2, contrairement au trastuzumab emtansine (T-DM1), un ADC utilisé en deuxième ligne. Ce mécanisme explique le gain de SSP (40,7 vs 26,9 mois). Cependant, d’autres options thérapeutiques, comme les inhibiteurs de tyrosine kinase (tucatinib, neratinib) ou les inhibiteurs de CDK4/6 (palbociclib, ribociclib) pour les cancers HR-positifs, ont également amélioré les outcomes récemment, nuançant l’affirmation d’absence d’innovation depuis une décennie (ASCO 2024).
Limites cliniques :
- Données intermédiaires : L’immaturité des données de SG et des PRO à long terme limite les conclusions sur l’impact global d’Enhertu. Les autorités sanitaires (EMA, HAS) attendront probablement les résultats finaux avant de recommander un changement de pratique.
- Toxicité : La PID, bien que gérable, reste un défi clinique. Les oncologues doivent être formés à sa détection précoce et à sa prise en charge.
- Contrôle prolongé vs guérison : Le taux de non-progression de 70 % à deux ans suggère un contrôle prolongé, mais la notion de « guérison » reste spéculative.
Etienne Brain a souligné : « Classiquement, on considère qu’on ne peut pas réellement guérir d’un cancer du sein métastatique, mais le soigner, le maintenir sous un contrôle prolongé » (Le Monde, 2 juin 2025).
Des études de désescalade sont nécessaires pour évaluer un éventuel arrêt du traitement après 3-4 ans.
Défis économiques et d’accès : Le coût élevé d’Enhertu (lié à un paiement d’étape de 175 M$ pour son approbation) pose des questions de coût-efficacité, particulièrement dans les systèmes de santé à ressources limitées. Les seuils d’acceptabilité (par exemple, coût par QALY) varient selon les pays, et l’absence de remboursement systématique des tests HER2 limite l’identification des patientes éligibles, comme noté par
Fabrice André : « L’absence de remboursement systématique est un frein à la prescription des tests » (Le Monde, 2 juin 2025).
Conclusion
Les résultats intermédiaires de Destiny-Breast09 montrent un bénéfice significatif en SSP (40,7 vs 26,9 mois) pour Enhertu pertuzumab, mais l’immaturité des données de SG et des PRO, combinée aux défis de toxicité (PID), de coût et d’accès, limite les conclusions définitives. Comparé aux alternatives comme le tucatinib ou T-DM1, Enhertu offre une option prometteuse, mais son adoption nécessitera une évaluation rigoureuse par les autorités sanitaires et une gestion proactive des toxicités. Une perspective critique sur les biais industriels et les disparités d’accès est essentielle pour une application équitable.
Références
- Tolaney S, et al. Destiny-Breast09: Trastuzumab deruxtecan pertuzumab in first-line HER2-positive metastatic breast cancer. ASCO 2025.
- André F, Brain E. Le Monde, 2 juin 2025.
- AstraZeneca, Daiichi Sankyo. Communiqués de presse, ASCO 2025.
- ClinicalTrials.gov, NCT04784715.
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