Vision artificielle : une caméra connectée au cortex visuel d’un aveugle

Un chercheur américain annonce avoir conçu un dispositif de vision artificielle pour aveugles dans lequel des électrodes appliquées sur le cerveau de la personne sont reliées, via des ordinateurs, à une caméra montée sur des lunettes.

Ces électrodes produisent dans le champ visuel de la personne non voyante une série de sensations lumineuses, un peu comme " des étoiles dans le ciel ". Ces phosphènes lui permettent de reconnaître des lettres de 5 cm de haut à une distance de 1,5 m, mais également de se déplacer dans une pièce sans buter sur des mannequins placés par les expérimentateurs.

Le système a été conçu par le Dr William Dobelle et son équipe : The Dobelle Institute Inc. du Columbia-Presbyterian Medical Center de New York (Etats-Unis) et l’Institut Dobelle de Zurich (Suisse). Il s’écarte donc d’autres techniques de stimulation actuellment à l'étude et qui reposent sur une stimulation rétinienne.

Il a été testé chez un homme de 62 ans qui avait perdu la vision d’un œil à l’âge de 22 ans suite à un traumatisme et qui est devenu totalement aveugle à 36 ans après un second accident. Les résultats de cette expérimentation sont publiés dans l’ASAIO Journal (Journal of the American Society of Artificial Internal Organs). Le Dr William Dobelle est l’unique auteur de l’article.

Une caméra noir et blanc, montée sur une paire de lunettes et munie d’un " iris " artificiel pour un contrôle automatique de l’exposition, est alimentée par une batterie de 9V et connectée par câble à un ordinateur. Elle ne couvre qu'un angle de 69 degrés.

Gros comme un dictionnaire, l’ordinateur porté par une ceinture à la taille utilise un processeur de 233 MHz, 32 MB de RAM et un disque dur de 4 GB. Il utilise des algorithmes sophistiqués pour traiter les images qui lui arrivent. Il détecte notamment les contours des objets qui se présentent devant la personne.

Cette ceinture, qui pèse environ 5 kg avec les câbles et les batteries, est bourrée d’électronique. Elle contient en effet un second ordinateur qui envoie des trains d’impulsion qui parviennent à un petit socle implanté dans la peau en regard du crâne et auquel sont reliées 68 électrodes en platine qui reposent sur la surface de lobe occipital de la personne aveugle.

Phosphènes

Lorsqu’elles sont stimulées, ces électrodes produisent un à quatre phosphènes espacés. De plus, ces phosphènes non colorés apparaissent dans une vision " en tunnel " pour l’aveugle. Ils se distribuent en effet sur une zone limitée du champ visuel, qui correspond à la surface d’un rectangle d’environ 20 cm de haut sur 8 cm de large tenu à l’extrémité d’un bras.

Jerry, le patient aveugle s’est entraîné, à raison de 3 ou 4 heures par jour pendant deux à trois jours par semaine, à utiliser ce dispositif. Ce dernier a fait l’objet de multiples améliorations techniques au cours de ces vingt dernières années. En effet, les électrodes avaient été implantées à ce volontaire en 1978. Il avait alors 42 ans.

Le Dr Dobelle précise que ce volontaire est aujourd’hui en mesure de reconnaître en routine des lettres noires sur fond blanc de 5 cm de haut à une distance de 1,50 m, ce qui correspond à une acuité visuelle d’environ 20/400. Cela dit, sa vision en tunnel ne lui permet pas de voir de plus grosses lettres.

Intégrer la notion de distance

La délimitation des contours par les algorithmes de traitement des images reçues par la caméra ne renseigne pas le patient sur la proximité des objets qui se trouvent devant lui. Aussi les chercheurs ont-ils récemment décidé de placer un capteur de distance par ultrasons sur une branche des lunettes afin de déterminer s’il est possible d’intégrer cette nouvelle information et de la coder pour le patient sous forme de phosphènes de brillance différente ou d’impressions lumineuses facilement identifiables.

Grâce à ce système de vision artificielle, "le volontaire aveugle est capable de naviguer autour de trois mannequins disposés au hasard dans une pièce, représentant un homme debout, une femme assise et un enfant debout, et cela sans les heurter. Il peut marcher vers un mur sur lequel un chapeau est accroché à un endroit quelconque, se saisir du chapeau, se diriger dans la direction opposée d’où il venait, reconnaître chacun des trois mannequins, et poser le chapeau sur la tête du mannequin choisi par l’expérimentateur".

Ce système de stimulation corticale reposant sur un matériel étranger à demeure présente un grand risque : celui de l'infection. De plus, il ne saurait être utile à des patients dont la cécité complète est survenue après un accident vasculaire cérébral ou un accident traumatique ayant endommagé le cerveau.

Selon le Dr Dobelle, son système pourrait être amélioré dans l’avenir en utilisant des ordinateurs plus puissants et des algorithmes plus sophistiqués, mais également en augmentant le nombre des électrodes. Il envisage d’utiliser jusqu’à 256 électrodes sur chaque cortex visuel primaire (aire 17), soit au total 512 électrodes sur les deux lobes.

Il estime que les enfants aveugles, qui apprennent vite, sont de bons candidats pour ce nouveau système de vision artificielle à condition cependant ne pas attendre trop longtemps. Il cite le cas d’un autre volontaire aveugle depuis l'âge de 5 ans et implanté à 62 ans la même année (1978) que le patient précédent. Contrairement à ce dernier, il n’a jamais vu de phosphènes.

Chercheur mais également entrepreneur, le Dr Dobelle indique dans un communiqué que son système sera commercialisé en dehors des Etats-Unis, à une échelle limitée, dans quelques mois.

Source : ASAIO Journal, 2000. Photo : http://www.msnbc.com/news/358275.asp <i>

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