La prise en charge des cancers primitifs du foie en France

1 Registre des tumeurs de l’Hérault, Montpellier ; 2 Centre hospitalier universitaire de Montpellier ; 3 Registre digestif de la Côte-d’Or, Dijon 4 Registre digestif du Calvados, Caen ; 5 Registre des tumeurs de l’Isère, Meylan ; 6 Registre des tumeurs du Bas-Rhin, Strasbourg 7 Registre des cancers du Haut-Rhin, Mulhouse ; 8 Registre des tumeurs de la Somme, Amiens 9 Registre des tumeurs du Tarn, Albi ; 10 Registre des tumeurs de la Manche, Cherbourg

INVS, BEH 43/2004,19 octobre 2004

Brigitte Trétarre1 ; Frédéric Borie1,2 ; Anne-Marie Bouvier3 ; Jean Faivre3 ; Guy Launoy4 ; Patricia Delafosse5 ; Michel Velten6 Jacques Tissot7 ; Jun Peng8 ; Pascale Grosclaude9 ; Anne-Valérie Guizard10, Jean-Pierre Daurès1

1 Registre des tumeurs de l’Hérault, Montpellier ; 2 Centre hospitalier universitaire de Montpellier ; 3 Registre digestif de la Côte-d’Or, Dijon 4 Registre digestif du Calvados, Caen ; 5 Registre des tumeurs de l’Isère, Meylan ; 6 Registre des tumeurs du Bas-Rhin, Strasbourg 7 Registre des cancers du Haut-Rhin, Mulhouse ; 8 Registre des tumeurs de la Somme, Amiens 9 Registre des tumeurs du Tarn, Albi ; 10 Registre des tumeurs de la Manche, Cherbourg

INTRODUCTION

Le cancer du foie représentait 2,1 % de l’ensemble des cancers incidents en 2000 et se situait au 8ème rang chez l’homme et au 18e rang chez la femme [1;2]. Son incidence a considérablement augmenté en vingt ans. Ceci est lié d’une part à la meilleure prise en charge des cirrhoses éthyliques, ce qui leur laisse le temps de se transformer en cancer, et d’autre part à l’augmentation des cirrhoses d’origine virale. Par ailleurs, les examens paracliniques qui permettent le diagnostic de cancer primitif du foie ont beaucoup évolué au cours des vingt dernières années et les modalités thérapeutiques sont nombreuses, souvent peu ou pas validées. Leur place actuelle n’est pas connue. L’objectif de cette étude était de décrire la prise en charge et la survie des cancers primitifs du foie en France, à partir de neuf registres de cancers.

MéTHODOLOGIE

Cette étude a porté sur tous les cas de cancer primitif du foie diagnostiqués entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 1998 dans neuf départements français couverts par un registre de cancers : le Calvados, la Côte-d’Or, le Bas-Rhin, le Haut-Rhin, l’Hérault, l’Isère, la Saône-et-Loire, la Somme et le Tarn. Un questionnaire papier a été rempli à partir des dossiers médicaux, pour chaque patient. C’est une étude réalisée dans le cadre du réseau Francim (réseau des registres de cancers français) qui couvre 6 355 665 habitants, soit 11 % de la population française.

Critères d’inclusion

Le diagnostic de cancer primitif du foie a été retenu dans trois circonstances :

- diagnostic histologique ou cytologique;

-alphafoetoprotéine (AFP) > 200 ng/ml avec lésion tumorale à l’imagerie (pour les hépatocarcinomes) ;

-imagerie évocatrice de cancer primitif du foie avec un bilan négatif de recherche d’un primitif.

Structures de prise en charge

Sur les neuf départements étudiés, six sont pourvus d’un centre hospitalier universitaire (Calvados, Côte-d’Or, Hérault, Isère, Bas-Rhin et Somme) et cinq d’un centre de lutte contre le cancer (Calvados, Côte-d’Or, Hérault, Isère et Bas-Rhin). Tous les départements possèdent au moins un Centre Hospitalier et des cliniques privées.

Analyse statistique

Nous avons utilisé le test du Chi 2 pour étudier les relations entre les variables qualitatives et par Anova ou le test de Kruskal-Wallis pour étudier les relations entre variables quantitatives. Le seuil de significativité retenu était de 5 %.

Pour l’étude de la survie, la date de point était fixée au 31 décembre 2002. La survie observée a été calculée à partir de la date de diagnostic, par la méthode de Kaplan-Meier. La recherche de facteurs pronostiques a été effectuée au moyen du test du Log-Rank et du modèle de Cox. Les facteurs dont le seuil de significativité était inférieur à 15 % lors de l’étude univariée ont été retenus pour l’étude multivariée, après vérification de l’hypothèse de proportionnalité des risques.

RéSULTATS

Cette étude a concerné 1 100 cas de cancers primitifs du foie diagnostiqués en 1997 et 1998 dans les neuf départements français étudiés : 898 hommes (81,6 %) et 202 femmes (18,4 %).

Chez l’homme, les taux bruts d’incidence étaient de 14,9 pour 100 000 (minimum = 9,5 ; maximum = 21,8) et les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale de 9,5 pour 100 000. Chez la femme, ces taux étaient respectivement de 3,1 (minimum = 1,8 ; maximum = 5,4) et de 1,7 pour 100 000.

L’âge moyen au moment du diagnostic était de 67,3 ans chez les hommes et de 68,8 ans chez les femmes. L’âge n’était pas significativement différent d’un département à l’autre (p = 0,21).

Mode de diagnostic

Le diagnostic a été confirmé par une histologie dans 56,5 % des cas (n = 620) et par autopsie (avec diagnostic histologique) dans 0,5 % des cas (n = 6). Pour 217 tumeurs (19 %) le diagnostic a reposé sur l’association de la biologie (AFP > 200 ng/ml) et de la radiologie. L’imagerie isolée (sans preuve histologique et avec des AFP < 200 ng/ml ou non dosées) a permis de porter le diagnostic de cancer primitif du foie chez 23,2 % des patients (n = 265). Le mode de diagnostic est resté inconnu pour neuf malades (0,8 %) (Tableau 1).

La répartition des différents modes de diagnostic était statistiquement différente entre les neuf départements (p < 10-4).

Histologie

Les tumeurs confirmées par l’histologie se répartissaient ainsi : 553 hépatocarcinomes, 2 hépatocholangiocarcinomes, 46 cholangiocarcinomes, 3 hépatoblastomes, 8 lymphomes, 6 sarcomes et 8 cancers dont l’origine histologique primitive ou secondaire est restée indéterminée.

Bilan diagnostique

Lors du bilan diagnostique, l’échographie hépatique était l’examen radiologique le plus prescrit (88,5 %). Elle était suivie du scanner hépatique (70,8 %), de l’IRM (21,5 %) et de l’artériographie (6,3 %). Une ponction biopsie hépatique a été réalisée dans 48,8 % des cas, et le dosage des AFP demandé chez 77,5 % des patients. La répartition de ces examens à visée diagnostique variait significativement selon les départements d’étude, mais n’était ni liée à l’âge, ni à l’existence d’une cirrhose (seuls le dosage des AFP et la sérologie virale étaient significativement plus prescrits s’il existait une cirrhose).

Lieu de la première prise en charge thérapeutique (Tableau 2) Dans six départements, plus de la moitié des patients étaient traités dans un CHU. Ce sont les six départements de notre étude qui possèdent de telles structures. Dans les trois autres départements, dépourvus de CHU, la prise en charge s’effectuait en majorité dans un Centre hospitalier. Vingt personnes n’ont pas été hospitalisées (1,8 %). Pour 49 malades (4,5 %), le lieu de première prise en charge est resté inconnu.

Les hépatocarcinomes

Les hépatocarcinomes représentaient 91,5 % des cancers primitifs du foie (n = 1 007 cas), soit 845 cas chez les hommes et 162 cas chez les femmes.

Une cirrhose était présente chez 795 patients (78,9 %) et 157 personnes avaient un foie sain (15,6 %). L’information est restée inconnue pour 55 patients (5,5 %).

La cirrhose était d’origine alcoolique dans 61,4 % des cas (n = 488), virale dans 21,3 % des cas (n = 169), due à l’association alcool-virus pour 3,9 % des malades (n = 31), hémochromatosique dans 2,4 % des cas (n = 19) et d’une autre origine pour six patients (0,7 %). L’information est inconnue pour 82 personnes cirrhotiques (10,3 %).

L’origine de la cirrhose variait beaucoup d’un département à l’autre (p < 10-4). Il existait, à l’évidence, un gradient nord-sud. Les deux départements les plus au sud (le Tarn et l’Hérault) avaient des proportions importantes de cirrhoses d’origine virale (42,7 à 43,6 %), au contraire des autres départements où l’on observait plus de cirrhoses alcooliques.

Seulement 19,8 % des hépatocarcinomes ont été découverts au décours de la surveillance d’une hépatopathie préexistante (n = 199). Pour 61,3 % des patients, la maladie était déjà symptomatique au moment du diagnostic (n = 617) et 13,6 % ont eu une découverte fortuite (n = 137). L’information est inconnue chez 54 personnes (5,4 %).

Le diagnostic a été confirmé par une histologie dans 55,1 % des cas (n = 555). Les 452 tumeurs restantes ont été classées dans le groupe des hépatocarcinomes sur la base d’un dosage des AFP > 200 ng/ml associé à une lésion tumorale à l’imagerie (205) ou par imagerie seule (247).

Le taux des AFP était connu chez 636 personnes (63,2 %). Il était normal (< 10 ng/ml) pour 180 patients (28,3 %) et supérieur ou égal à 200 ng/ml dans 48,7 % des cas (n = 310).

La tumeur était diffuse à tout le foie chez 216 personnes (21,4 %). Des métastases à distance existaient chez 131 patients (13 %), mais l’information est inconnue pour 317 personnes (31,5 %), que ce soit par manque d’information dans les dossiers ou par l’absence de réalisation d’un bilan d’extension.

Il existait une grande différence dans la prise en charge de ces

cancers entre les neuf départements étudiés (Tableau 3). Un traitement à visée curative a été réalisé chez 174 personnes (17,3 %) : 24 transplantations hépatiques, 107 hépatectomies partielles et 43 alcoolisations (41 sur une tumeur de diamètre inférieur à cinq centimètres et 2 sur moins de trois tumeurs de diamètre inférieur à trois centimètres). Chez les 82,7 % personnes restantes, le traitement a été palliatif.

Survie

La survie observée à cinq ans des cholangiocarcinomes était de 7,4 % avec une survie médiane de 7 mois (IC : 5,4-8,6) La survie globale observée à cinq ans des hépatocarcinomes était de 7,5 % avec une survie médiane de 6 mois (IC : 5,4-6,6). Lors de l’analyse multivariée, six variables jouaient un rôle pronostique indépendant et péjoratif : un taux d’AFP > 200 ng/ml, une taille tumorale supérieure à trois centimètres, un nombre de tumeurs supérieur à trois, un stade 2 ou 3 d’Okuda (cette classification prend en compte à la fois la tumeur et l’hépathopathie), l’existence de métastase(s), une forme symptomatique au moment du diagnostic. La survie ne dépendait ni du département, ni de l’âge.

CONCLUSION

Cette étude a montré une grande disparité entre les différents départements en ce qui concerne les taux d’incidence, le bilan diagnostique, l’étiologie de la cirrhose, la prise en charge thérapeutique et les lieux de prise en charge. Et pourtant, la survie observée à 5 ans était la même quel que soit le département. Ceci est d û au fait que plus de 80 % des patients atteints d’un cancer du foie ne reçoivent que des traitements palliatifs. Afin d’améliorer le pronostic de ces cancers, en l’absence de nouveaux traitements, il convient d’agir sur la prévention (réduction du nombre de cirrhoses et d’hépatites virales par des campagnes anti-alcool et drogues et par la vaccination contre l’hépatite B, meilleur suivi des patients porteurs d’une cirrhose) et de faciliter la transplantation hépatique par des campagnes en faveur des dons d’organe.

REMERCIEMENTS

Cette étude a été financée par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et la

Fondation de France. Nous remercions, pour leur collaboration, tous les médecins (pathologistes, chirurgiens, oncologues, gastro-entérologues et autres spécialistes ou généralistes) qui permettent aux registres de réaliser de telles études.

RéFéRENCES

[1] Remontet L ; Esteve J ; Bouvier AM ; Grosclaude P ; Launoy G ; Menegoz F ; Exbrayat C ; Tretarre B ; Carli PM ; Guizard AV ; Troussard X ; Bercelli P ; Colonna M ; Halna JM ; Hedelin G ; Mace-Lesec’h J ; Peng J ; Buemi A ; Velten M ; Jougla E ; Arveux P ; Le Bodic L ; Michel E ; Sauvage M ; Schvartz C ; Faivre J : Cancer incidence and mortality in France over the period 1978-2000. Rev Epidemiol Sante Publique 2003 ; 51 : 3-30.

[2] Remontet L ; Buemi A ; Velten M ; Jougla E ; Esteve J : Evolution de l’incidence et de la mortalité par cancer en France de 1978 à 2000. Publié par les registres des cancers français (Francim), l’Institut de Veille Sanitaire et l’Inserm. Paris. Actis-ao ût 2003 (217 pages).

Directeur de la publication : Pr Gilles Brücker, directeur général de l’InVS Rédactrice en chef : Florence Rossollin, InVS, f.rossollin@invs.sante.fr Présidente du comité de lecture : Pr Elisabeth Bouvet, Hôpital Bichat, CClin Paris-Nord -Comité de rédaction : Dr Thierry Ancelle, Faculté de médecine Paris V ; Dr Rosemary Ancelle-Park, InVS ; Dr Pierre Arwidson, Inpes ; Dr Jean-Pierre Aubert, médecin généraliste ; Isabelle Gremy, ORS Ile-de-France ; Eugénia Gomes do Esperito Santo, InVS ; Dr Catherine Ha, InVS ; Dr Magid Herida, InVS ; Dr Loïc Josseran, InVS ; Eric Jougla, Inserm CépiDc ; Dr Agnès Lepoutre, InVS ; Laurence Mandereau-Bruno, InVS.

N°CPP : 0206 B 02015 - N°INPI : 00 300 1836 -ISSN 0245-7466 Institut de veille sanitaire - Site internet : www.invs.sante.fr

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