Déserts médicaux : les incitations financières ne suffisent pas

Déserts médicaux : les incitations financières ne suffisent pas La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) publie un état des lieux, à partir d’une analyse de la littérature internationale, des stratégies déployées au cours des dernières décennies pour remédier aux difficultés d’accès aux soins dans les « déserts médicaux ». Si la seule mise en place d’incitations financières a des résultats plutôt décevants, des formes limitées et ciblées de restriction de la liberté d’installation peuvent avoir des effets à court terme. A moyen et long terme, le déploiement d’une stratégie globale permettant de proposer des conditions de vie et de travail épanouissantes apparait comme le seul levier efficace pour attirer et fidéliser les médecins sur un territoire.

Depuis une vingtaine d’années, la référence de plus en plus fréquente aux « déserts médicaux » dans les médias et le débat public traduit la préoccupation croissante de la population concernant l’accessibilité géographique aux soins de médecins. Dans les prochaines années, alors que le vieillissement de la population entraînera une augmentation des besoins de soins, les projections laissent augurer une diminution de l’offre médicale en médecine de ville, surtout en soins primaires. Ces tendances risquent de dégrader encore l’accessibilité dans les zones les moins attractives. La situation de la France n’est pas unique. La répartition géographique des effectifs médicaux est inégale dans tous les pays, à des degrés divers. Partout, l’accès aux services de santé est plus difficile à assurer dans certains territoires, tels que les zones rurales, éloignées ou isolées, ou les zones urbaines défavorisées.

Un certain nombre d’enseignements peuvent cependant être dégagés des expériences d’autres pays, même si elles s’inscrivent dans des contextes spécifiques différents du nôtre. L’objectif de ce Dossier de la DREES est, à partir d’une analyse de la littérature internationale, de décrire les politiques visant à remédier à ces difficultés, de rassembler les éléments d’évaluation de leurs impacts et de dégager quelques réflexions pour alimenter le débat sur la situation française.

Densités régionales de médecins (anciennes régions) au 1ᵉʳ janvier 2021 ̶ Ensemble des médecins [Anguis, et al, 2021]

Déserts médicaux : les incitations financières ne suffisent pas

 

Projection d'effectifs de médecins

La DREES a publié récemment des projections d’effectifs de professionnels de santé à l’horizon 2050. Le scénario tendanciel, fondé sur des hypothèses de prolongement des comportements constatés actuellement et d’entrées en formation à hauteur de 8 700 étudiants par an, projette une diminution des effectifs jusqu’en 2024. À cette date, le nombre de médecins atteindrait un point bas de 209 000 médecins en activité, soit 2,7 % de moins qu’en 2020. Ce recul est le reflet des numerus clausus faibles des années 1990 et des cessations d’activité de générations nombreuses, entrées avant ce resserrement. Les effectifs projetés retrouvent le niveau actuel à l’horizon 2030.

La diminution des effectifs projetés de médecins se cumulant à l’augmentation et au vieillissement de la population, la densité standardisée baisserait de façon plus prononcée et ne retrouverait son niveau de 2021 qu’en 2035. La baisse la plus marquée concerne les médecins généralistes.

Graphique 1 • Effectifs, densité et densité standardisée pour les médecins généralistes et les médecins spécialistes, projetés entre 2021 et 2050 (Anguis, et al., 2021)

Déserts médicaux : les incitations financières ne suffisent pas

 

L’analyse de l’expérience internationale permet de dégager quatre grands registres d’intervention pour attirer et garder des médecins dans les zones mal pourvues :

  • les incitations financières,
  • la formation initiale,
  • la régulation (contraintes sur le choix de localisation),
  • le soutien professionnel et personnel.

Les incitations financières, souvent mises en œuvre, ont plutôt des résultats décevants. Ces incitations ont été souvent les premières mesures mises en œuvre pour corriger les déséquilibres géographiques. S’il n’y a pas d’évaluations précises, l’expérience commune d’un certain nombre de pays ou provinces qui ont initié très tôt des politiques reposant sur des incitations financières est que celles-ci n’ont pas eu les résultats escomptés.


Selon des études sur les préférences des médecins, les aspects financiers sont moins importants que d’autres aspects du métier de médecin comme le lieu d’exercice. 

Déserts médicaux : les incitations financières ne suffisent pas

Influer sur leurs choix par le biais d’incitations financières nécessiterait des augmentations de revenu très élevées pour compenser des conditions d’exercice considérées comme désavantageuses (nombre d’heures élevé, permanences nombreuses, localisation dans une zone peu dense…). Les politiques visant l’amélioration de la répartition territoriale ne peuvent donc pas se fonder sur le seul levier des incitations financières, mais doivent agir sur l’ensemble des conditions d’exercice des médecins.


La formation initiale est un levier puissant, mais à long terme. Le raisonnement est simple : en formant de plus en plus de médecins, les zones urbaines favorisées finiront par être saturées. Ils iront combler les besoins non couverts dans les zones mal desservies. Ce raisonnement est néanmoins contredit par la réalité des évolutions constatées. En revanche, les résultats convergents des études sur l’influence de l’origine des médecins sur les choix d’installation ainsi que le succès de plusieurs expériences, menées notamment aux États-Unis, ont conduit plusieurs pays à augmenter la part d’étudiants en médecine qui sont issus de communautés défavorisées en termes d’accès aux soins.

Pour atteindre cet objectif, une démarche de décentralisation des lieux de formation a été mise en œuvre, complétée par des démarches proactives vis-à-vis des élèves du secondaire et des processus de sélection adaptés pour donner la priorité, à performance égale, aux étudiants issus de zones moins favorisées ou qui souhaitent y exercer. Cette stratégie de sélection est combinée avec des programmes et des modalités de formation qui mettent l’accent sur les situations d’exercice propres à la médecine rurale.

La régulation de l’installation permet une distribution plus équilibrée, mais n’évite pas les pénuries locales. Un certain nombre de pays recourent à une forme de régulation de ce type, selon des modalités variables que l’on peut classer en deux grandes catégories :

  • Un passage obligé d’exercice dans des zones déficitaires fléchées, pendant une durée déterminée, pour certaines catégories de médecins ;
  • Une restriction plus globale de la liberté d’installation, les médecins exerçant leur choix dans le cadre d’un nombre limitatif de places (ou de postes, ou de contrats) défini par zone géographique.

Les exemples internationaux vont globalement, dans le sens d’un impact positif d’une politique de régulation des installations sur l’équité de la distribution géographique, celle-ci étant appréciée à un niveau assez agrégé, le niveau régional en général. S’agissant de savoir si, en tout point du territoire (à un niveau infrarégional), l’accès au médecin est assuré de façon satisfaisante, et si la régulation des installations permet d’éviter les pénuries localisées dans les zones peu attractives, la réponse est moins affirmative.

Des mesures de soutien aux professionnels ont également été déployées et pourraient inspirer certaines collectivités sachant que peu d'entre elles ont été évaluées.

– L’organisation et le financement de remplacements pour permettre aux praticiens de s’absenter, comme c’est le cas en, Australie ;

– l’accompagnement en début de carrière (exemple du programme Flying Start NHS en Écosse). Flying Start NHS est un programme de développement national destiné à tous les infirmiers, sages-femmes et professionnels de la santé nouvellement diplômés conçus pour faciliter la transition entre le statut d’étudiant préinscrit et celui de professionnel de santé confiant et compétent.

 le soutien en fin de carrière, avec des aménagements des conditions de travail pour que les médecins seniors puissent continuer à travailler dans de bonnes conditions.

Le programme national de maintien des médecins généralistes (National GP Retention Scheme) propose en Angleterre un ensemble d’aides financières et éducatives destinées à aider les médecins, qui risqueraient autrement de quitter la profession. Il s’adresse aux médecins qui envisagent sérieusement de quitter ou ont quitté la médecine générale pour des raisons personnelles (responsabilités familiales ou maladie), qui approchent de la retraite ou qui ont besoin d’une plus grande flexibilité. Leur temps de travail est alors limité à 16 h 40 par semaine.

– des facilités pour la formation, le développement professionnel continu et l’acquisition de compétences nouvelles ;

– des congés de longue durée au bout d’un certain nombre d’années d’exercice dans des zones difficiles ;

– des actions pour améliorer la santé et le bien-être psychologique des médecins et de leur famille ;

– des marques de reconnaissance pour les professionnels qui exercent dans les zones défavorisées…

En France, de nombreuses incitations sont déjà mises en œuvre, mais quelques améliorations sont suggérées par l’analyse de la littérature internationale.

  • L’origine territoriale et sociale des étudiants en médecine pourrait être plus diversifiée pour équilibrer à terme leur répartition sur les territoires. Quelques démarches ponctuelles de délocalisation de lieux de formation ont été mises en œuvre. Toutefois, elles peuvent entrer en contradiction avec les orientations nationales qui poussent fortement les établissements d’enseignement et de recherche, au contraire, à se rapprocher et à concentrer leurs moyens. En amont de l’entrée en formation médicale, des démarches plus proactives pourraient également être développées en direction des élèves du secondaire, à l’instar des initiatives prises par quelques collectivités territoriales.
  • L’effort pour proposer des conditions de vie et de travail épanouissantes pourrait être accru. La politique de promotion des structures d’exercice collectif mise en place en France depuis une dizaine d’années est un pilier majeur de la stratégie d’attractivité des territoires. L’expérience montre cependant que, s’il est facile de rejoindre une équipe déjà existante, la création d’une structure reste compliquée. L’accompagnement des professionnels sur le terrain, par des mesures de soutien visant à améliorer leur cadre de vie et de travail, pourrait certainement être encore développé. Il serait sans doute utile, de ce point de vue, d’analyser de manière plus approfondie le contenu et les modalités de mise en œuvre des démarches décrites dans la littérature internationale, mais aussi des nombreuses initiatives mises en œuvre localement en France.
  • Globalement, l’expérience internationale montre l’efficacité limitée de mesures isolées, et l’on constate dans plusieurs pays une évolution vers des stratégies plus globales,combinant différents leviers.

 

 

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