Accidents vasculaires cérébraux : Une urgence

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Les accidents vasculaires cérébraux, un fléau mondial

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) constituent la deuxième cause de mort dans le monde et la troisième cause de handicap (1, 2). Bien que la mortalité par AVC ait diminué en 20 ans (1990-2010) plusieurs constatations montrent que la bataille contre les AVC est loin d’être gagnée (3,4). 1) L’incidence des AVC a certes diminué (de 12 %) dans les pays à revenu élevé mais d’une part cette baisse est en train de se stabiliser (5), d’autre part elle n’est pas observée dans les pays à revenu moyen ou faible où elle a même augmenté (de 12 %) en vingt ans. 2) La prévalence des AVC et le handicap qu’ils induisent (jugé par le nombre d’années de vie perdues sans handicap) ont augmenté partout mais surtout dans les pays à revenu moyen ou faible. 3) Alors que l’incidence des AVC augmente avec l’âge, les AVC ne sont pas l’apanage des sujets âgés : en 2010, 1/3 étaient survenus chez l’enfant ou chez des adultes de moins de 65 ans et de 1990 à 2010, une augmentation d’incidence a été observée chez les adultes âgés de 20 à 64 ans, probablement en raison de l’augmentation du tabagisme, du diabète, de l’obésité, de l’alcoolisme… (6). 

Les trois volets de la lutte contre les AVC sont la prévention, seule à même de diminuer l’incidence, le traitement aigu dont l’objectif est de diminuer à la fois la mortalité et le risque de séquelles, et enfin la réadaptation qui vise, chez les survivants, à diminuer le handicap et à améliorer la qualité de vie. Dans ces trois domaines existent des approches d’efficacité démontrées mais qui ne sont souvent que peu ou pas appliquées notamment dans les pays à faible revenu qui n’ont pas les ressources nécessaires pour les mettre en œuvre (4). L’exemple le plus frappant est celui de l’hypertension artérielle, premier facteur de risque de tous les types d’AVC, responsable à elle seule de la moitié des AVC (7), et qui est de moins en moins bien contrôlée alors que les traitements sont de plus en plus efficaces (8). 

Les accidents vasculaires cérébraux, une urgence mais quels AVC ?

La définition apparemment simple de l’AVC : « Déficit neurologique par lésion cérébrale focale aigue d’origine vasculaire » masque une extraordinaire diversité tant dans les lésions cérébrales que dans les vaisseaux impliqués ou dans les mécanismes étiopathogéniques en cause. Cette situation déjà complexe est aggravée par l’utilisation de termes qui sont souvent à la fois non consensuels et non compris par les malades. Ainsi en est-il des termes habituellement utilisés dans notre pays tels que AVC ischémique ou AVC hémorragique. L’AVC ischémique désigne-t-il seulement l’infarctus cérébral ou inclut-il l’accident ischémique transitoire  dont d’ailleurs la durée de 1 heure ou de 24 heures demeure débattue (10).  Quant à l’AVC hémorragique, fait-il référence à l’hémorragie cérébrale primitive, l’hémorragie sous-arachnoïdienne, l’infarctus artériel secondairement hémorragique, ou l’infarctus hémorragique veineux ? (9,10).

L’Académie Nationale de Médecine a choisi de consacrer une séance aux trois principales variétés d’AVC, l’ischémie cérébrale aigue, l’hémorragie cérébrale au sens d’hémorragie cérébrale primitive, et l’hémorragie sous-arachnoïdienne. Le terme d’ischémie cérébrale aigue a été choisi, de préférence à celui d’infarctus cérébral et par analogie à l’ischémie coronaire aigue, pour souligner que le but du traitement d’urgence est précisément de tenter d’éviter l’infarctus cérébral, c’est-à-dire la nécrose tissulaire.

Les grands essais thérapeutiques randomisés consacrés au traitement d’urgence de ces trois variétés d’AVC se sont multipliés dans les 20 dernières années. Un changement total de paradigme s’est produit en 1995 avec l’étude du NINDS (11) qui a montré qu’un traitement, l’activateur tissulaire du plasminogène (rtPA), administré dans les 3 heures du début des symptômes améliorait significativement le pronostic des patients ayant une ischémie cérébrale aigue. Cette étude a constitué une double révolution : pour la première fois le critère principal de jugement de l’efficacité d’un traitement à la phase aigüe d’un AVC était non plus la mort ou la dépendance, comme dans toutes les études antérieures, mais la récupération sans séquelles ou avec séquelles minimes. Pour la première fois il était montré, chez l’homme, que plus un traitement thrombolytique était administré tôt, plus il était efficace. Les très nombreuses études ultérieures, aussi bien de la thrombolyse intraveineuse que des désobstructions intra artérielles in situ, n’ont fait que confirmer la relation étroite entre précocité du traitement et récupération clinique (12) : le nombre de patients à traiter pour obtenir une excellente récupération, passe de 4.5 si le traitement est effectué dans les premières 90 minutes après le début des symptômes à 9 entre 91 et 180 minutes et à 14 entre 181 et 270 minutes (13). Ceci a conduit au développement des « MSU, MobilE Stroke Unit », ambulances munies de scanner permettant de raccourcir le délai d’administration de la thrombolyse à moins d’1 H et d’augmenter le nombre de patients thrombolysés sans augmentation du risque d’hémorragie cérébrale (14, 15). 

Les accidents vasculaires cérébraux, partie émergée de l’iceberg

La pathologie vasculaire cérébrale est loin de se réduire aux seuls AVC et à leurs conséquences physiques. Elle concerne au plus haut point les fonctions cognitives qui, certes peuvent être altérées en cas d’AVC multiples ou d’AVC en zone cérébrale stratégique (9) mais qui peuvent l’être également en l’absence d’AVC clinique. En effet, l’IRM a montré l’existence et la fréquence de lésions ischémiques et hémorragiques de petite taille souvent qualifiées de « silencieuses » puisque précisément sans contrepartie clinique patente. La fréquence des infarctus silencieux, en population générale, va de 8 à 28 % et celle des microsaignements (micro bleeds) est de l’ordre de 6 % (10). Ces lésions témoignent d’une atteinte intrinsèque de la paroi des petites artères et artérioles intra cérébrales et leur fréquence augmente avec l’âge et les chiffres de pression artérielle. Leur présence et leur fréquence est corrélée non seulement au risque d’AVC, mais aussi à un risque de déclin cognitif qui peut aller jusqu’à la démence (9, 10). Il ne s’agit cependant là que de l’une des nombreuses variétés de démence vasculaire, vaste cadre hétérogène mais qui constitue néanmoins la deuxième cause de démence après la maladie d’Alzheimer. La prévention et le traitement des AVC constituent donc un volet essentiel de la prévention du déclin cognitif non seulement en diminuant le risque de démence vasculaire, mais aussi en retardant l’apparition des signes cliniques de la maladie d’Alzheimer (16).  

Il est donc crucial que les efforts visant à améliorer la prise en charge d’urgence des AVC à la phase aigüe aillent de pair avec la mise en place d’une stratégie efficace de prévention qui doit être adaptée à l’environnement socio-culturel et économique concerné et qui doit s’adresser en priorité aux facteurs majeurs de risque que sont l’hypertension artérielle, le tabagisme, l’absence d’activité physique régulière et le diabète (7).

Références Bibliographiques

1.      Lozano R, Naghavi M, Foreman K et al. Global and regional mortality from 235 causes of death for 20 age groups in 1990 and 2010 : a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2010. Lancet 2012 ; 380 : 2095-2128.

2.      Murray CJL, Vos T, Lozano R et al. Disability-adjusted life-years (DALYs) for 291 diseases and injuries in 21 regions, 1990-2010 : a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2010. Lancet 2012 ; 380 : 2197-2223.

3.      Feigin VL, Lawes CM, Bennett DA, Barker-Collo SL, Parag V. Worldwide stroke incidence and early case fatality reported in 56 population-based studies : a systemiatic review. Lancet Neurol 2009 ; 8 : 355-369.

4.      Feigin VL, Forouzanfar MH, Krishnamurthi R et al. Global and regional burden of stroke during 1990-2010 : findings from the Global Burden of Disease Study 2010. Lancet 2014 ; 383 : 245-255.

5.      Vaartjes I, O’Flaherty M, Capewell S, Kappelle J, Bots M. Remarkable decline in ischemic stroke mortality is not matched by changes in incidence. Stroke 2013 ; 44 : 591-597.

6.      Giroud M, Jacquin A, Béjot Y. The worldwide landscape of stroke in the 21st century. Lancet 2014 ; 383 : 195-196.

7.      O’Donnell MJ, Xavier D, Liu L et al. Risk factors for ischaemic and intracerebral haemorrhagic stroke in 22 countries (The INTERSTROKE study) : a case-control study. Lancet 2010 ; 376 : 112-123.

8.      Chobanian AV. The hypertension paradox – More uncontrolled disease despite improved therapy. N Engl J Med 2009 ; 361 : 878-887.

9.      Bousser MG, Mas JL. Accidents vasculaires cérébraux. 1 Vol. Rueil-Malmaison : Doin ; 2009.

10.  Sacco RL, Kasner SE, Broderick JP et al. An updated definition of stroke for the 21st century. Stroke 2013 ; 44 : 2064-2089.

11.  Tissue plasminogen activator for acute ischemic stroke. The National Institute of Neurological Disorders and Stroke rt-PA stroke study group. N Engl J Med 1995 ; 333 : 1581-1587.

12.  Meretoja A, Keshtkaran M, Saver JL et al. Stroke thrombolysis. Save a minute, save a day. Stroke 2014 ; 45 : 1053-1058.

13.  Lees KR, Bluhmki E, Von Kummer R et al. ECASS, ATLANTIS, NINDS and EPITHET rt-PA study group. Time to treatment with intravenous alteplase and outcome in stroke : an updated pooled analysis of ECASS, ATLANTIS, NINDS and EPITHET trials. Lancet 2010 ; 375 : 1695-1703.

14.  Weber JE, Ebinger M, Rozanski M et al. STEMO-Consortium. Prehospital thrombolysis in acute stroke : results of the PHANTOM-S pilot study. Neurology 2013 ; 80 : 163-168.

15.  Ebinger M, Winter B, Wendt M et al. Effect of the use of ambulance-based thrombolysis on time to thrombolysis in acute ischemic stroke. A randomized clinical trail. JAMA 2014 ; 311 : 1622-1631.

16.  Bousser MG, Chabriat H. Les démences vasculaires. Bull.Acad.Natle Med 2012 ; 196 : 409-130.

Pour en savoir plus

Ce texte sera présenté mardi 18 novembre à l'académie de Médecine

 

 

Déclaration de lien d’intérêts. L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en relation avec le contenu de cet article.

Professeur Marie-Germaine BOUSSER

Chef de service honoraire

Hôpital Lariboisière

Service de Neurologie

2 rue Ambroise Paré

75010 PARIS 

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