« Laissez-nous soigner en toute humanité ! », 125 médecins généralistes refusent le contrôle statistique déshumanisé de l’assurance maladie sur les arrêts de travail

« Laissez-nous soigner en toute humanité ! », 125 médecins généralistes refusent le contrôle statistique déshumanisé de l’assurance maladie sur les arrêts de travail Dans un appel vibrant publié dans Libération, 125 médecins s'insurgent contre les procédures de mises sous objectifs lancées par l’Assurance Maladie visant à limiter les arrêts de travail sur la base d’une analyse statistique faite en dehors de tout critère médical. Ils alertent sur les conséquences délétères de ces pressions pour les patients, la qualité des soins mais aussi sur l’attractivité du métier de médecin généraliste.

Bercy veut réduire les dépenses de santé

En France, les dépenses de santé ont connu une hausse significative de plus de 20 % sur les trois dernières années, s'élevant à environ 245 milliards d'euros. Cette augmentation est en grande partie due aux répercussions de la pandémie de Covid-19 et aux initiatives du Ségur de la Santé. Face à cette croissance soutenue, le gouvernement a établi des objectifs de modération, prévoyant une augmentation maximale des dépenses de 3,7 % pour 2023, suivie d'une limite de 2,7 % les années suivantes. Avec une valeur de 16 milliards d'euros et une augmentation de 8 % en 2023, les arrêts maladie font l'objet d'une attention particulière de la part de Bercy en tant que source potentielle d'économies.

Des médecins généralistes menacés de sanctions pécuniaires pour délit statistique

En juin dernier, la CNAM a initié une importante opération de vérification des arrêts de travail prescrits par les médecins généralistes. Elle dispose pour cela de deux armes dans son arsenal conventionnel et réglementaire : les procédures de mise sous objectif (MSO) et de mise sous accord préalable (MSAP).

La MSO implique un accord entre le médecin et l'Assurance maladie, par lequel le médecin s'engage à réduire ses prescriptions d'arrêts de travail d'un pourcentage déterminé. En cas d'échec, il risque une amende moyenne de 6 800 euros, renouvelable après chaque période d'évaluation. Le refus de la MSO conduit à l'application de la MSAP, nécessitant l'approbation du médecin-conseil de l'Assurance maladie pour chaque arrêt prescrit, plaçant ainsi le médecin dans une position de dépendance. Depuis 2004, cette pratique concerne de nombreux médecins, notamment ceux jugés comme "forts prescripteurs". En 2023, le nombre de médecins affectés par ces mesures a considérablement augmenté, touchant environ un quart des médecins traitants selon les signataires de la tribune.

Les syndicats à l’instar de l’UFMLS recommandent souvent aux médecins de privilégier la MSAP, qui bien qu’infantilisante et chronophage, leur permet de justifier les prescriptions auprès de la CPAM sur des critères purement médicaux et non plus statistiques.
« La MSO n’est pas une procédure judiciaire mais une proposition amiable pouvant faire l’objet d’un accord qui est "GAGNANT" pour la CPAM et "PERDANT" pour le médecin. » UFMLS

Des méthodes d’évaluations contestées, une «tambouille» pour MG France

Pour cibler les médecins qui délivreraient des arrêts de travail de complaisance, les CPAM utilisent des critères socio-économiques liés à leur lieu d'exercice, sans tenir compte des pathologies spécifiques de leurs patients. Cette méthode peut conduire à des incohérences, notamment pour les médecins dans les quartiers populaires, où les pathologies liées au travail manuel, comme les tendinites, sont plus fréquentes. Les médecins spécialisés en psychothérapie, traitant des patients avec des problèmes psychiatriques, font également face à des prescriptions d'arrêts de travail longs ou répétés. De plus, des erreurs dans les logiciels de l'Assurance maladie peuvent fausser ces comparaisons.

Dans un communiqué intitulé « La Cnam fait sa "tambouille" avec vos chiffres d’IJ », le syndicat des médecins généraliste MG France critique les méthodes des caisses d'assurance maladie, les accusant de poursuivre les médecins généralistes sur la base de « recettes statistiques opaques, non vérifiables et qui ne devraient pas être opposables ». MG France souligne en effet que puisque la loi impose à la CNAM de ne comparer que des "activités comparables", l'assurance maladie "redresse" les chiffres pour fabriquer une "pseudo activité comparable". Elle corrige donc selon "une tambouille" opaque des taux d'IJ en fonction de la démographie de la patientèle, augmentant les taux pour les patientèles jeunes ou majoritairement féminines et les diminuant pour celles plus âgées.

Des méthodes licites mais peu éthiques, impulsées par un exécutif hypocrite 

Si ces méthodes sont réglementaires, elles semblent particulièrement peu éthiques lorsqu’on les applique à la médecine générale et contreproductives pour la qualité des soins et l’organisation du système de santé.

Les signataires de la tribune rappellent les effets délétères d’une telle politique sur l’attractivité de leur profession. Ils soulignent que la France connaît une pénurie de médecins traitants, avec une diminution de plus de 10% des effectifs depuis 2010. Ils insistent sur le fait que cette spécialité, exigeante et peu rémunérée, souffre sous l'effet des pressions croissantes de l’Assurance maladie. Ces contraintes dissuadent les jeunes médecins de s'établir et poussent de nombreux praticiens déjà en exercice à se déconventionner ou à abandonner leur pratique, se sentant à la fois blessés et épuisés.

Le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp de la FMF a lancé une pétition dont l'objectif est de soutenir les médecins généralistes impliqués dans ces procédures perçues comme une forme de harcèlement et relevant de méthodes de management toxiques.

À l’heure où les négociations conventionnelles battent leur plein avec pour priorité de limiter les effets des déserts médicaux, ces pratiques mettent en lumière l’hypocrisie du gouvernement qui est prêt à mettre une pression comptable sur les médecins traitants pour limiter les dépenses de santé quitte à les décourager d’exercer.

Les médecins demandent à exercer leur métier sans la pression constante de la Sécurité sociale. Ils acceptent les contrôles basés sur des critères médicaux, mais rejettent les évaluations statistiques déshumanisées. Ils aspirent à un exercice de leur profession axé sur l'humanité, où chaque patient est traité comme un individu unique et non comme une statistique.

 

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