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imgLe risque médical, ou l'aléa médical

Rédigé par Me DURRIEU-DIEBOLT, Avocat à la Cour

Sommaire
Avant la loi du 4 mars 2002
Définition
Principe: la responsabilité pour faute
Evolution jurisprudentielle récente
Une solution jurisprudentielle insatisfaisante 
La loi du 4 mars 2002
Création d'un dispositif de règlement amiable et dindemnisation
Conditions daccès à ce nouveau droit à indemnisation
Les insuffisances


imgAvant la loi du 4 mars 2002

  • Le problème du risque médical qui se posait, en l'absence de loi, était celui de lindemnisation des victimes daccidents médicaux sans faute du médecin : Qui devait assumer ces accidents ? La victime ou le médecin ?

  • La terminologie pour désigner le risque médical varie. On parle "daléa" , ou "de risque" , tantôt "médical"  ou "thérapeutique". 
    • Tout acte médical comporte inévitablement une part de risque pouvant aboutir à la non guérison ou à des effets indésirables. Le risque est consubstantiel à lacte médical.

    • Ainsi les accidents médicaux ont toujours existé. Il nen reste pas moins que la technicité croissante des thérapeutiques saccompagne dune progression de leur dangerosité. Selon linstitut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), 2.289 personnes seraient décédées au cours de lannée 1995 " daccidents et de complications au cours et suite dactes médicaux et chirurgicaux ".

    • Toutefois, il faut se garder dêtre excessif : laccident médical demeure exceptionnel en proportion du nombre dactes médicaux croissants.

    • De là, il serait injuste de mettre à la charge du médecin une obligation de résultat qui lobligerait au succès de son intervention, ce alors même que ce succès ne dépend pas entièrement de sa compétence.

  • Le principe : la responsabilité pour faute :

    • Cest pourquoi, le droit commun a mis à la charge du médecin une obligation de moyens ; il nest tenu de faire que ce qui est en son pouvoir pour soigner au mieux le patient.

    • La responsabilité du médecin ne sera engagée que si son patient rapporte la preuve dune faute de sa part dimprudence, de négligence, voire dinsuffisance (hormis de rares cas où le médecin a une obligation de résultat : fourniture de produits et de matériel, actes courants...).

    • Le principe en matière médicale est donc la responsabilité pour faute.

  • Lévolution jurisprudentielle récente : vers une responsabilité sans faute :
    • Mais dans la plupart des interventions médicales, un risque de dommages est possible, même sans faute du médecin. On peut citer par exemple lanesthésie qui, même pratiquée pour une intervention bénigne et sur une personne en très bon état général, peut avoir des conséquences fatales.

    • Le risque médical que lon envisage ici sentend de laccident non fautif exceptionnel, survenu à loccasion dun acte médical, et ayant causé au patient un préjudice particulièrement grave. Il ne sagit pas de laléa de la médecine qui tient à létat du patient ou à son affection et qui justifie lobligation de moyens. On vise le risque anormal.

    • Faut-il dans ce cas (daccident médical), indemniser les victimes, même en labsence de faute ?
    • Dun côté, il est moralement et socialement impossible de laisser la victime supporter seule le poids de la malchance. De lautre côté, il serait injuste de mettre en cause la responsabilité du médecin, alors quil na commis aucune faute.

    • Actuellement, ce dilemme nest pas résolu.

    • La jurisprudence récente tend vers une responsabilité sans faute, afin dindemniser les victimes, sachant que les médecins sont couverts par leur assurance.

    Ainsi, par exemple :

    • Dabord, la jurisprudence administrative en matière de responsabilité médicale des hôpitaux publics :
      • Dans un premier temps, la Cour administrative dappel de Lyon le 21 décembre 1990 (arrêt GOMEZ) a admis lindemnisation dune victime en cas de thérapeutique nouvelle et à condition que le dommage soit anormalement grave : " Considérant que lutilisation dune thérapeutique nouvelle, crée lorsque ses conséquences ne sont pas entièrement connues, un risque spécial pour les malades qui en sont lobjet ; que lorsque le recours à une telle thérapeutique ne simpose pas pour des raisons vitales, les complications exceptionnelles et anormalement graves, qui en sont la conséquence directe, engagent même en labsence de faute la responsabilité du service public hospitalier ... " 
      • Ensuite, par décision dAssemblée du 9 avril 1993 (arrêt BIANCHI), le Conseil dEtat a étendu la responsabilité sans faute de lhôpital public " lorsquun acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont lexistence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si lexécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec létat initial du patient comme avec lévolution prévisible de cet état, et présentant un caractère dextrême gravité ".
      • En loccurrence, Monsieur BIANCHI avait subi une artériographie vertébrale sous anesthésie et à son réveil il était tétraplégique. Aucune faute na pu être établie, la cause la plus vraisemblable étant une occlusion secondaire à lartériographie, phénomène rare.
      • Nous sommes dans le cas type de laléa thérapeutique : un accident médical, sans faute, qui provoque des dommages graves indépendamment de laffection que présentait la victime. Par cet arrêt, le Conseil détat a admis lindemnisation du risque thérapeutique.
      • Précisons que la jurisprudence administrative a été de la sorte longtemps plus favorable aux victimes que la jurisprudence judiciaire. Ainsi, si laccident avait lieu dans un hôpital public, la victime était indemnisée, alors que sil avait lieu dans un établissement privé, la victime nobtenait rien.
        Par ailleurs, par trois décisions du 26 mai 1995, lAssemblée du Conseil dEtat sest prononcée en faveur dun régime de responsabilité sans faute des centres publics de transfusion sanguine.

    • En matière dinfections nosocomiales :

      • des arrêts du Conseil dEtat ont développé le recours à la notion de présomption de faute (CE, 9 décembre 1988, COHEN ; 14 juin 1991, MAALEM) ;
      • plus récemment, des arrêts de la Cour de cassation du 29 juin 1999 ont imposé aux médecins et aux établissements de soins une obligation de sécurité de résultat.
    • Des décisions en matière dobligation dinformation font peser sur le médecin la charge de la preuve de son exécution (1re chambre civile de la Cour de cassation, 25 février 1997), ce qui permet une indemnisation plus large des patients qui ont du mal à trouver une véritable faute médicale. Lobligation dinformation servant en ce cas de prétexte à lindemnisation.
    • Une jurisprudence très importante de la Cour de cassation du 8 novembre 2000 a tempèré cette extension de responsabilité des médecins. La cour de cassation a en effet énoncé que : " La réparation des conséquences de l'aléa thérapeutique n'entre pas dans le champ des obligations dont le médecin est contractuellement tenu à l'égard son patient. " Il sagit dune restauration de la faute dans la responsabilité contractuelle, qui sest inscrite comme un tournant de lévolution jurisprudentielle relative aux dommages corporels. Cet arrêt a rompu avec la jurisprudence récente tendant à une indemnisation sans faute prouvée du praticien afin de réparer le préjudice des victimes.
    Cette décision de principe du 8 novembre 2000 a été confirmée par deux arrêts du 9 mai 2001 de la Cour de Cassation (Cour de Cassation, 1re chambre civile, n° 99 - 16 - 427). Dans lune des espèces, la patiente à la suite dune intervention dite « Goebell-Stoeckel » , avait présenté des cruralgies et une paralysie crurale droites, sans que les experts aient pu déterminer la cause exacte des complications apparues. Dans lautre espèce, lors dune opération dune arthrose de la hanche avec pose dune prothèse, lintervention avait entraîné une paralysie du nerf sciatique rendant la patiente partiellement invalide. Là encore, lexpert avait conclu à labsence de faute technique du chirurgien.
  • La responsabilité sans faute des médecins était doublement insatisfaisante, à la fois pour les médecins et pour les victimes :
    • Pour les médecins :
      Les médecins étaient mis en cause personnellement ce qui pouvait avoir une incidence dramatique dun point de vue psychologique ainsi que sur leur carrière professionnelle. Certains craignaient une dérive à laméricaine. Aux Etats-Unis, le nombre de poursuites est très élevé (52% des chirurgiens et 68% des obstétriciens sont poursuivis au moins une fois durant leur carrière). Les primes dassurance pour les médecins sont très élevées (certains médecins ont subi une augmentation de leur prime égale au quart de leur revenu annuel ...).

      De sorte que certaines spécialités sont abandonnées, le nombre des étudiants en médecine diminue, et parfois même certains médecins préfèrent sabstenir plutôt que dintervenir (on a même vu des hôpitaux refuser en urgence certains patients).

      Toutefois, il semble que cette dérive ne soit pas transposable en France, compte tenu du fait que le procès aux états-Unis est le seul moyen dindemnisation médicale, contrairement à la France où la sécurité sociale prend en charge une partie des dommages médicaux.

      En outre, cest le système judiciaire des procès en indemnisation qui est critiquable dune manière générale aux états-Unis : les avocats sont payés sur la seule base dun honoraire de résultat ce qui entraîne un véritable " racolage " de leur part. En France, la déontologie de lavocat lui interdit dêtre rémunéré sur la base du seul honoraire de résultat ; il doit nécessairement convenir avec le client dun honoraire fixe et le cas échéant dun honoraire de résultat complémentaire. En outre, la publicité et le démarchage sont interdits.

      Enfin, le droit de la responsabilité pour faute du médecin qui demeure le principe, induit que les procès sont difficiles à mener du côté de la victime et aléatoires, ce qui peut les dissuader dagir en justice. Pour les victimes : Le procès judiciaire constitue également une étape douloureuse pour les victimes. Les procédures sont longues, coûteuses et aléatoires (des faits à peu près similaires peuvent donner lieu à des décisions de justice différentes). Pour plus de précisions vous pouvez consulter le site du Ministère de la santé.

    Pour les victimes :
    Le procès judiciaire constitue également une étape douloureuse pour les victimes. Les procédures sont longues, coûteuses et aléatoires (des faits à peu près similaires peuvent donner lieu à des décisions de justice différentes).

    Pour plus de précisions vous pouvez consulter le site du Ministère de la santé.

imgLa loi du 4 mars 2002

  • La loi du 4 mars 2002 crée un dispositif de règlement amiable et dindemnisation en cas daléa thérapeutique qui a été très largement commenté : Article. L. 1142-1. II. :
    « Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'incapacité permanente supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. »
  • Désormais en cas daléa thérapeutique causant un accident médical préjudiciable à un patient, la réparation sera servie au titre de la solidarité nationale, par un organisme relevant de lEtat : lOffice national dindemnisation des accidents médicaux. Les juridictions ne pourront plus retenir la responsabilité dun médecin ou dun établissement de soins en cas daléa thérapeutique, afin dindemniser le patient victime.
  • La victime pourra saisir une commission régionale de conciliation et d'indemnisation qui rend avis un favorable ou non sur l'indemnisation dans un délai de six. En cas d'avis favorable pour la victime, lOffice national dindemnisation doit faire une proposition dans un délai de quatre mois et payer, en cas d'acceptation, dans un délai d'un mois.
  • LOffice est un établissement public à caractère administratif de lEtat, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé.
  • Les recettes de lOffice sont constituées essentiellement par une dotation des régimes dassurance maladie, et aussi le produit des remboursements des frais dexpertise (à obtenir essentiellement auprès des compagnies dassurances), le produit des pénalités (provenant des compagnies dassurances ou du responsable) et le produit des recours subrogatoire quelle peut exercer (contre les compagnies dassurances ou le responsable).
  • Il sagit donc dun système dindemnisation de laléa thérapeutique mixte reposant essentiellement sur la solidarité nationale par la dotation des régimes dassurance maladie (dont le montant doit être fixé par arrêté interministériel) et les compagnies dassurances ( il est à prévoir de ce fait une augmentation des primes dassurances). Doù lintérêt de lobligation dassurance, aussi, pour lindemnisation des aléas thérapeutiques (qui doit rester en principe une source de financement mineure pour lOffice).
  • Le texte précise les conditions daccès à ce nouveau droit à indemnisation, qui sinspire de la jurisprudence.
    Le dommage doit :
    • 1. Etre directement imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins : il faut donc établir le lien de causalité entre lacte de soin et laccident médical.
    • 2. Avoir un caractère anormal au regard de létat de santé du patient et de lévolution prévisible de celui-ci (des séquelles inévitables sont exclues du nouveau régime),
    • 3. Enfin remplir des critères de gravité fixées par décret apprécier au regard de la perte de capacité fonctionnelle et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant compte du taux dincapacité permanente ou de la durée de lincapacité temporaire de travail. Le taux dincapacité permanente est au plus égale à 25 pour cent et il doit être précisé par décret (qui nest pas encore paru à la fin du mois de mai 2002).
      • Cette troisième condition a déjà été abondamment critiquée
      • Rappelons que ce seuil a été justifié par la nécessité dindemniser les victimes daccidents graves rapidement. Lefficacité sociale du dispositif serait compromise si les commissions compétentes pour traiter ces dossiers étaient encombrées par une masse de dossiers daccidents mineurs qui peuvent être traités par les voies de droit commun.
      • En réalité lenjeu de ce seuil de gravité est très important et déterminera la portée réelle de la loi. 25 % dincapacité permanente partielle constitue un taux très élevé. Par comparaison, en matière daccidents de la circulation, 97 % des accidents entraînent un taux dIPP inférieur à 25 pour cent. Si lon retenait un seuil à 25 %, il faudrait en déduire par analogie que la loi ne porterait que sur environ 3 % des litiges.
      • En conséquence, soit le seuil de gravité est relativement bas et la loi aura une portée générale et constituera une première marche vers un succès, soit le seuil de gravité est fixé aux alentours de 25 % et il sagira alors dun texte marginal qui constituera un échec retentissant.
      • Il peut également être précisé que ce seuil de gravité peut aussi sapprécier au regard de la durée de lincapacité temporaire de travail. Ainsi une victime peut faire lobjet dune incapacité permanente légère et dune incapacité temporaire de travail très longue et en conséquence réunir les critères de gravité pour bénéficier du nouveau système législatif (exemple dun pianiste qui a un doigt amputé).

  • En conclusion, ce système dindemnisation est satisfaisant : restauration du principe de la responsabilité pour faute, clarification de la responsabilité, réparation de laléa thérapeutique pris en charge par la solidarité nationale, restauration dune transparence dans la relation entre le médecin et son patient, rapidité de la procédure...
  • Toutefois, il peut être relevé certaines insuffisances :
    • 1. La commission régionale de conciliation et dindemnisation est essentiellement constituée de non juristes. Suivant larticle R. 795 - 41 du décret du 3 mai 2002, elle comprend outre son président, magistrat, six représentants des usagers, trois professionnels de santé, un responsable des établissements publics de santé, deux responsables détablissements de santé privé, deux représentants de lOffice national dindemnisation des accidents médicaux, deux représentants des entreprises régies par le Code des assurances, quatre personnalités qualifiées dans le domaine de la réparation des préjudices corporels.
      • La commission ne peut délibérer que si au moins sept de ses membres en exercice sont présents. Dans le cas contraire, une nouvelle séance se tient sans obligation de quorum, au terme dun délai de quinze jours. Les avis de la commission sont adoptés à la majorité des membres présents. En cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante.
      • Les questions de responsabilité médicale étant souvent des questions juridiques compliquées, cette composition aurait sans doute été plus efficace avec plus de juristes.
    • 2. En outre, se pose le problème de lharmonisation des décisions des différentes commissions régionales.
    • 3. Le seuil de gravité qui reste à déterminer est essentiel pour la portée réelle de la loi. Elle peut être dapplication tout à fait marginale ou un réel succès selon ce seuil de gravité.
    • 4. La qualité de lexpertise est également attendue. Elle doit être généralisée (éviter le recours aux observations des experts pour déterminer le seul de gravité), collégiale ( éviter le recours à lexpert unique), rapide et contradictoire (appeler tous les intéressés). La compétence des experts est à faire.
    • 5. Le principe du contradictoire doit être absolument préservé.
    • 6. Léchec de la procédure amiable peut aboutir à faire perdre onze mois au patient. Si le seuil de gravité nest pas établi, les victimes risquent de perdre six mois devant la commission, sans même avoir bénéficié d'une expertise.
    • 7. Ce dispositif repose essentiellement sur la solidarité nationale par la dotation des régimes dassurance maladie et les compagnies dassurances. Il reste à connaître le montant de la dotation des régimes dassurance maladie qui doit être fixé par arrêté interministériel. Dans tous les cas, il est à prévoir une augmentation des primes dassurances.
    • 8. Il se pose également des difficultés dapplication dans le temps et de rétroactivité de la loi.
    • 9. Les victimes contaminées par le virus de lhépatite C ne sont pas concernées par ce dispositif. Elles doivent nécessairement agir devant le tribunal.

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