Diabète de type 2 : prévenir plus tôt, accompagner mieux

Diabète de type 2 : prévenir plus tôt, accompagner mieux Le dernier rapport de la Cour des comptes sur le diabète de type 2 alerte sur une dynamique préoccupante : prévalence en hausse, diagnostic trop tardif, et dispositifs éducatifs sous-utilisés. Pour les professionnels de santé, il s'agit de transformer la logique de soins en une stratégie de prévention organisée, ciblée et intégrée au parcours de soins.

Une prévalence en hausse et des coûts qui s’envolent

Le diabète traité pharmacologiquement touche 3,8 millions de personnes en 2023, soit 5,2 % de la population française contre 4,7 % en 2010 – une augmentation de 900 000 patients en treize ans. Si l’on ajoute les diabètes non médicamenteux et méconnus, le nombre réel dépasse les 4 millions. Cette dynamique se reflète dans les dépenses : 10,2 milliards d’euros en 2022 pour les coûts directement imputables ( 34,8 % depuis 2015), avec une dépense moyenne par patient de 2 350 € composée à 85 % de soins de ville. Les hospitalisations ne représentent plus que 8 % des coûts, mais leur baisse relative est contrebalancée par la progression des dispositifs médicaux et des soins infirmiers.

Des inégalités sociales et territoriales persistantes

Le diabète de type 2 frappe d’abord les plus modestes : le risque est 2,8 fois plus élevé pour les 10 % les moins aisés que pour les 10 % les plus favorisés, faisant de cette pathologie la maladie chronique la plus marquée socialement. Les départements et régions d’Outre-mer présentent des taux de prévalence supérieurs à la moyenne nationale, illustrant l’ancrage territorial des déterminants alimentaires et de l’accès aux soins. Sur le plan démographique, le vieillissement et l’allongement de l’espérance de vie des personnes diabétiques accentuent encore la pression financière et organisationnelle sur le système de santé.

Dépister plus tôt : du modèle opportuniste au dépistage ciblé

Près de 30 % des patients diagnostiqués en 2021 présentent déjà une complication liée au diabète, signe d’un diagnostic tardif qui réduit l’efficacité des interventions non médicamenteuses. Le dispositif « Mon bilan prévention », déployé depuis l’été 2024 pour les 18-65 ans, offre un cadre pour repérer systématiquement les facteurs de risque (surpoids, antécédents familiaux, hypertension) et déclencher un test de glycémie capillaire ou un dosage de l’HbA1c. Pour les plus de 45 ans présentant un IMC ≥ 25 kg/m², la Haute Autorité de santé recommande un dépistage triennal. Les patients identifiés comme prédiabétiques (glycémie à jeun 1,10-1,25 g/L) représentent déjà 7 % à 10 % de la population suivant les enquêtes Constances et Esteban : sans intervention ciblée, un tiers d’entre eux évolueront vers un diabète avéré dans les cinq ans.

Modifier les modes de vie dès le diagnostic

Les nouvelles recommandations de la HAS (mai 2024) confirment la triade « programme nutritionnel individualisé – activité physique adaptée (APA) – éducation thérapeutique du patient (ETP) » comme première ligne de traitement avant toute intensification pharmacologique. Pourtant, seuls 38 % des patients réalisent trois dosages d’HbA1c par an, 62 % bénéficient du dosage de la créatinine, et moins de 50 % d’une consultation ophtalmologique bisannuelle.

La Cour propose de créer deux niveaux au sein de l’ALD 8 :

  • Niveau 1 : diabète sans complication ; accès à un « panier de soins » combinant ETP, suivi diététique et prescription d’APA, financé comme un forfait annuel.

  • Niveau 2 : diabète compliqué ou mal équilibré ; prise en charge renforcée avec interventions paramédicales élargies et coordination ville-hôpital structurée.

L’investissement initial dans la modification des comportements est jugé amortissable en cinq ans par la réduction des hospitalisations pour complications et des prescriptions médicamenteuses tardives. Des freins à cette mise en œuvre persistent toutefois : méconnaissance des dispositifs d’ETP par certains soignants, inadéquation de l’offre dans certaines zones rurales ou périurbaines, réticences des patients à intégrer des changements de mode de vie ou à participer à des ateliers collectifs.

Un accompagnement qui passe par l’organisation territoriale

Les maisons de santé pluriprofessionnelles, les protocoles Asalée et la plateforme Sophia offrent déjà des briques d’accompagnement, mais la couverture demeure hétérogène : moins d’un tiers des patients ont accès à un programme ETP validé, et la majorité des séances d’APA prescites restent non réalisées faute de structures sport-santé de proximité. La Cour suggère :

  • de cartographier l’offre d’ETP et d’APA au niveau départemental afin d’ajuster les financements ARS ;

  • de bonifier les contrats d’engagement des CPTS qui intègrent un parcours « diabète débutant » ;

  • de valoriser les actes d’infirmière en pratique avancée pour le suivi glycémique et la coordination.

Agir sur l’environnement alimentaire

La pathologie ne peut être endiguée sans lutter contre l’obésité : 80 % des diabétiques de type 2 cumulent surpoids et/ou obésité. La Cour prône un ensemble cohérent de mesures populationnelles :

  1. Publicité : élargir l’interdiction aux spots ciblant les mineurs pour les produits Nutri-Score D & E, y compris sur les réseaux sociaux.

  2. Fiscalité comportementale : la taxe sur les boissons sucrées, relevée en mars 2025, doit être étendue aux produits solides à sucres ajoutés, avec un barème progressif calé sur 100 g de sucres.

  3. Reformulation : imposer des objectifs obligatoires de réduction de sucres et d’acides gras trans, assortis de contrôles de la DGCCRF.

Ces propositions de la Cour s’inscrivent dans la future Stratégie nationale alimentation-nutrition-climat 2026-2035. Des résistances sont à anticiper : pressions de l’agroalimentaire, perception d’une intrusion dans les choix individuels, ou encore clivage entre mesures perçues comme punitives versus éducatives. Ces éléments méritent d’être pris en compte dans l’élaboration de messages adaptés auprès des publics concernés.

Six recommandations opérationnelles

PropositionObjectif visé
Bifurquer l’ALD 8 Adapter le niveau de prise en charge à la sévérité
Offrir un parcours combiné (ETP, APA, diététique) Favoriser une prise en charge active dès le diagnostic
Ouvrir l’ETP à toutes les modalités Faciliter l’accès à l’éducation thérapeutique
Recenser l’offre d’ETP Réduire les inégalités territoriales
Restreindre la publicité sur les produits Nutri-Score D & E Limiter l’exposition des plus jeunes aux aliments ultra-transformés
Évaluer et étendre la taxe sur les sucres Réduire la consommation globale de sucres ajoutés

Perspectives : de la clinique à la santé publique

Le rapport souligne que la France reste mieux placée que la moyenne européenne pour la prévalence du diabète (environ 7 % contre 9 % en Allemagne et 10 % au Royaume-Uni selon les données OCDE 2023), mais l’augmentation linéaire du nombre de patients et l’absence de progrès tangibles sur les complications conduisent à un « plateau » sanitaire et budgétaire. Pour en sortir, le virage préventif ne doit pas seulement reposer sur les initiatives individuelles des professionnels de santé : il exige une articulation étroite entre médecine de ville, collectivités territoriales et régulation de l’environnement alimentaire.

En dotant chaque nouvel entrant dans la maladie d’un parcours structuré et en s’attaquant aux déterminants nutritionnels, les recommandations de la Cour visent à retarder de plusieurs années l’apparition des complications micro- et macrovasculaires. À l’échelle du système, cela représente un potentiel de 500 millions d’euros d’économies annuelles à horizon 2030, selon les simulations réalisées par la Cnam – une marge de manœuvre à investir dans la prévention secondaire et la recherche translationnelle sur les thérapies innovantes.

En pratique, les soignants disposent dès aujourd’hui des outils pour agir : feuilles de soins électroniques, ordonnances d’APA, plateformes de télé-ETP, CPTS. La mise en œuvre des six recommandations fournirait un cadre financier et organisationnel cohérent pour amplifier ces initiatives et inverser la courbe des complications. La balle est désormais dans le camp des décideurs, mais aussi dans celui de chaque professionnel de santé, dont l’expertise quotidienne reste la première ligne de défense face à l’épidémie silencieuse du diabète de type 2.

 

Le diabète de type 2 incarne un défi sanitaire à la fois individuel et collectif. Si le rapport de la Cour des comptes trace une voie ambitieuse fondée sur la prévention, l’accompagnement structuré et la régulation des environnements de vie, sa mise en œuvre suppose un engagement coordonné des acteurs de terrain. Pour les professionnels de santé, l’enjeu ne se limite pas à détecter plus tôt ou à prescrire différemment : il s’agit d’intégrer une logique éducative et populationnelle dans la pratique quotidienne. Cela implique de reconnaître les freins, de renforcer les coopérations locales et de mieux outiller les patients face à une maladie chronique souvent silencieuse, mais toujours exigeante. À cette condition, la prévention précoce pourra devenir un véritable levier d’équité et d’efficacité dans la lutte contre le diabète de type 2.

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