IPA en libéral : un modèle qui questionne l’efficacité des politiques publiques
Une implantation très limitée des IPA libéraux : le constat chiffré
Selon le directeur général de la CNAM, Thomas Fatome, entendu lors de la commission d’enquête sur l’organisation du système de santé à l’Assemblée nationale, la France compte un peu plus de 300 infirmiers en pratique avancée (IPA) en exercice libéral pour 100 000 infirmiers diplômés d’État, sept ans après la reconnaissance du statut par décret en 2018. Un chiffre qui a fait réagir de nombreux acteurs du monde médical, à commencer par l’UFMLS, qui s’est emparée de ce constat pour dénoncer l’inefficacité du dispositif : « 300 IPA libéraux, soit pour 130 000 médecins libéraux : 0,0023 IPA par médecin, 1 IPA pour 433 médecins ou encore 1 IPA pour 233 333 Français ! » Un ratio qui, selon le syndicat, met en lumière la quasi-inexistence de la pratique avancée infirmière dans le secteur libéral, en contraste avec la présence plus marquée de ces professionnels à l’hôpital.
Dans ce contexte, l’UFMLS multiplie les critiques à l’encontre des politiques publiques qui, selon elle, reposent sur des fondations fragiles. Le syndicat va jusqu’à demander l’arrêt pur et simple du financement public des IPA et des CPTS, estimant que des « centaines de millions d’euros sont ainsi dépensés chaque année sans aucune amélioration démontrée de l’accès aux soins ».
Les arguments de l’UFMLS : entre dénonciation de l’inefficacité et défense du secteur médical
Du côté de l’UFMLS, la critique ne se limite pas au seul bilan numérique des IPA libéraux. Le syndicat met en avant le décalage entre les discours politiques et la réalité de terrain. Alors que les responsables politiques présentent régulièrement les IPA comme des « piliers » de la politique de santé, le syndicat juge ces affirmations infondées : « Ces piliers ne soutiennent rien », peut-on lire dans le communiqué, qui met aussi en cause la multiplication des CPTS et leur efficacité réelle face aux besoins de santé de la population, alors que plus de 7 millions de Français restent sans médecin traitant malgré la création de près de 900 CPTS en dix ans.
Le syndicat va plus loin en pointant du doigt ce qu’il considère comme une mauvaise allocation des ressources publiques : « Le report, à des fins économiques, des revalorisations conventionnelles prévues au 1er juillet 2025 pour les spécialités médicales les plus fragiles et les plus difficiles d’accès pour les patients, sonne comme une preuve de mauvaise gestion de notre système de santé par les responsables politiques », peut-on lire dans le communiqué.
Enfin, l’UFMLS défend le secteur 2, qui, selon elle, favorise l’installation des médecins sans pénaliser l’Assurance maladie : « Les médecins en secteur 2 assument leur engagement social puisque près de 50 % des honoraires restent au tarif opposable », rappelle le syndicat. Toute attaque contre ce modèle serait susceptible, selon l’UFMLS, de « dégrader irrémédiablement l’accès et la qualité des soins ».
Le syndicat appelle ainsi à une refonte globale du système, par une « grande loi santé construite avec l’expertise des soignants libéraux et hospitaliers », prenant en compte la diversité des exercices et la valorisation de l’engagement des professionnels.
Le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM), par la voix de son président le Dr François Arnault, exprime également ses réserves. Selon lui, les décrets d’accès direct et de primo-prescription des IPA iraient « au-delà de la loi » et bouleverseraient le contrat moral liant médecins et patients. Cette position rejoint l’UFML-S, qui défend une réforme centrée sur la concertation avec les soignants, et non sur le transfert de compétences, jugé trop rapide et mal évalué.
Du côté des IPA : des obstacles structurels et économiques
Face à cette analyse très critique, les représentants des IPA livrent un point de vue tout autre, en insistant sur les réalités concrètes et les difficultés structurelles de leur déploiement en ville. Pour l’UNIPA (Union Nationale des Infirmiers en Pratique Avancée), la lente croissance des effectifs s’explique avant tout par un modèle économique inadapté, qui ne tient pas compte de la réalité de leur exercice quotidien.
Selon leur analyse, le principal frein n’est pas la collaboration avec les médecins, même si certains discours de « défiance » alimentent une résistance sur le terrain, mais l’absence de reconnaissance financière du temps et de la complexité de leur activité.
D’après une enquête réalisée en 2025 par l’Union Nationale des Infirmiers en Pratique Avancée (UNIPA) auprès de plus de 1 000 IPA et étudiants, seuls 5,5 % des répondants se déclarent satisfaits de leur rémunération. L’écart salarial avec les infirmiers diplômés d’État reste jugé trop faible : les IPA estiment qu’il devrait atteindre 530 € par mois, contre à peine 94 € en moyenne actuellement. Cette frustration touche l’ensemble des modes d’exercice : dans la fonction publique hospitalière, 95 % des IPA se disent insatisfaits de leur traitement et un tiers envisageraient de quitter leur poste. Dans le secteur privé, malgré des négociations individuelles, six IPA sur dix jugent la revalorisation insuffisante.
Mais la question salariale n’est qu’un aspect du problème. De nombreux IPA pointent également des freins institutionnels majeurs, qui limitent leur autonomie et leur reconnaissance dans le système de soins. Le secteur libéral n’est pas épargné : une majorité des IPA rapporte une perte de chiffre d’affaires de près de 30 000 € par an après leur installation, tandis que le paiement à l’acte à 20 € est massivement rejeté. Autant de signaux d’alerte qui pourraient accélérer la fuite des talents et freiner l’expansion du métier.
Cette situation, relayée par la Cour des comptes, l’IGAS et les commissions parlementaires, aboutit à une recommandation partagée : la nécessité de revaloriser l’exercice des IPA en ville et de prévoir une convention spécifique qui tienne compte de leur cadre d’exercice et de leur autonomie clinique.
À ce problème s’ajoute le retard dans l’application effective de la loi Rist, promulguée en mai 2023, qui reconnaît l’accès direct aux IPA, mais dont le financement n’a pas encore été retranscrit dans la convention nationale. Cette absence de dispositif incitatif crée un cercle vicieux, où le risque financier freine l’installation des IPA, malgré le besoin croissant de professionnels de santé autonomes sur le territoire.
La controverse autour de l’accès aux soins : argument politique et réalité de terrain
L’une des principales lignes de fracture du débat repose sur la capacité des IPA à répondre à l’enjeu majeur de l’accès aux soins, dans un contexte de pénurie de médecins traitants. Alors que l’UFMLS remet en cause l’efficacité des IPA et leur impact sur l’accès aux soins en ville, l’UNIPA estime au contraire que le développement de la pratique avancée répond à une nécessité sociétale, celle d’une « santé accessible, humaine, territorialisée ». Selon Emmanuel Hardy, président de l’UNIPA, « c’est facile de dire que l’on ne se déploie pas quand eux-mêmes freinent le déploiement », en référence aux oppositions syndicales médicales. Il souligne que « dans [sa] maison de santé, depuis mai 2023, c’est 400 patients de ‘rentrés’, soit 10 % de la patientèle totale » grâce à l’action des IPA (Egora).
Par ailleurs, la réalité du terrain montre des exemples de collaboration réussie entre IPA et médecins, en particulier dans le suivi des patients complexes. Plusieurs institutions, dont la Cour des comptes et la Commission des affaires sociales du Sénat, plaident pour une montée en puissance des IPA, avec un cadre conventionnel adapté, pour améliorer la prise en charge des patients, notamment ceux qui n’ont pas de médecin traitant.
Insuffisances des politiques publiques : un consensus critique
Ce consensus sur la nécessité d’une réforme s’accompagne d’une remise en cause plus large des politiques publiques actuelles, tant sur le financement que sur la formation. Les critiques convergent sur plusieurs failles des politiques gouvernementales. Premièrement, le financement des IPA, bien que soutenu par des aides de l’Agence Régionale de Santé (ARS) Hauts-de-France (21 200 € par an pour les libéraux en formation), reste insuffisant pour compenser les pertes de revenus en libéral. Le déficit de la Sécurité sociale, projeté à 18,5 milliards d’euros en 2025, limite les marges de manœuvre pour revaloriser les salaires ou les forfaits PAI, freinant l’attractivité de la profession.
Deuxièmement, la formation, bien que renforcée (200 heures supplémentaires prévues pour 2026), souffre d’un manque d’harmonisation et d’accessibilité. Le report de la réforme de la formation infirmière à 2026, annoncé par le CEFIEC le 21 février 2025, reflète des retards dans l’adaptation des programmes aux nouvelles compétences des IPA. « Une mise en œuvre précipitée aurait été désastreuse, mais ce report montre une planification défaillante », note le CEFIEC.
Enfin, les tensions interprofessionnelles, exacerbées par l’absence de concertation, sont un point noir récurrent. Le Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI) critique l’effacement du « rôle relationnel » des IPA dans la version sénatoriale de la loi infirmière, estimant que le gouvernement privilégie les aspects techniques au détriment de l’approche humaine. De même, des députés comme Hendrik Davi (Écologiste et social) déplorent l’absence de mesures sur les salaires et les conditions de travail, qualifiant la réforme de « partielle ».
Une ambition louable, mais des résultats mitigés
Le gouvernement défend son action, arguant que les IPA répondent aux défis du vieillissement démographique (32,1 % de la population aura plus de 60 ans d’ici 2060) et de l’augmentation des maladies chroniques. La loi infirmière de 2025, saluée par l’Ordre National des Infirmiers (ONI) comme une « avancée historique », reconnaît les IPA comme acteurs de premier recours. Sylvaine Mazière-Tauran, présidente de l’ONI, déclare : « Cette loi affirme la compétence des infirmiers, mais les décrets doivent suivre pour concrétiser cette ambition ».
Pourtant, les résultats concrets déçoivent. Malgré des aides financières (15 000 € pour les IPA libéraux en métropole, 17 000 € dans les DROM), le déploiement reste limité, et les déserts médicaux persistent (6 à 8 millions de Français concernés). Les critiques, relayées par des utilisateurs sur X comme @CHU4life , accusent le gouvernement de ne pas avoir donné aux IPA les moyens de réussir, notamment en raison de décrets restrictifs et d’un manque de coordination avec les médecins.
Un modèle collaboratif durable ?
Le débat sur les IPA révèle des lacunes dans la stratégie gouvernementale : un financement insuffisant, des retards réglementaires et un manque de dialogue interprofessionnel. Pour répondre aux critiques, le gouvernement pourrait accélérer la publication des décrets d’application, revaloriser les salaires des IPA (actuellement 97 €/mois dans le public, contre 40 % dans l’OCDE) et investir dans la formation. Une convention spécifique pour les IPA, réclamée par l’Unipa, pourrait également clarifier leur rémunération et leur rôle.
Les IPA incarnent une ambition louable du gouvernement pour moderniser le système de santé, mais les critiques de l’UFML-S, de l’Unipa et d’autres acteurs pointent des failles structurelles : un déploiement limité, un financement inadéquat et un manque de concertation. Si les réformes de 2025 marquent un pas vers la reconnaissance des IPA, leur succès dépendra de la capacité du gouvernement à surmonter ces obstacles et à construire un modèle collaboratif durable.
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