Médecins PADHUE du GHEF : entre précarité et scandale administratif

Médecins PADHUE du GHEF : entre précarité et scandale administratif En Seine-et-Marne, près de cinquante praticiens diplômés hors Union européenne (Padhue) sont contraints de rembourser des primes versées pendant deux ans. Cette décision brutale soulève de lourdes questions sur la gestion hospitalière et la précarisation des soignants étrangers en France.

Une prime utilisée pour pallier la pénurie

Depuis 2020, pour combler le manque chronique de médecins, le Grand Hôpital de l’Est Francilien (GHEF) – regroupant Meaux, Marne-la-Vallée, Coulommiers et Jouarre – avait instauré une prime différentielle. Celle-ci permettait à des médecins contractuels, souvent venus du Maghreb, de percevoir jusqu’à 2 800 € nets de plus par mois, portant leur rémunération totale à environ 4 000 €.

Mais en septembre 2024, la nouvelle direction du GHEF a jugé cette gratification « non réglementaire », sur la base d’un signalement du Trésor Public. En mars 2025, son versement a été suspendu. Le 31 mars, les praticiens ont reçu une demande de remboursement des primes perçues sur deux ans, pour un total de 2,7 millions d’euros. Chaque médecin concerné se voit réclamer entre 30 000 et 100 000 €.

 

Des répercussions humaines considérables

Le choc est immense. Une jeune médecin marocaine décrit un « coup de massue » : ses revenus sont passés de 4 000 € à 1 100 € nets pour des semaines de 70 heures. Nombre de ses collègues multiplient les gardes – parfois jusqu’à 20 par mois – pour faire face à leurs engagements financiers. Beaucoup sont en arrêt maladie, victimes de dépression.

Outre la charge mentale, certains abandonnent leurs projets de vie. Un praticien a renoncé à acheter un logement, un autre envisage un crédit sur 25 ans pour rembourser sa dette. La fragilité statutaire des Padhue, souvent conditionnée à leur contrat hospitalier, accentue leur isolement. Ils ne peuvent quitter le GHEF sans risquer de perdre leur droit de séjour.

"La majorité de mes collègues ont posé des arrêts de travail parce qu'ils sont en dépression depuis. Ils se retrouvent avec des difficultés financières incroyables." Franceinfos

Un système hospitalier sous tension

La crise met en cause plusieurs niveaux de responsabilité. L’ancienne direction du GHEF avait contractualisé ces primes, donnant à ces versements une apparence de légalité. Le Trésor Public, quant à lui, exige aujourd’hui leur remboursement rétroactif, alors que la pratique était tolérée depuis des années.

Comme l’expliquent Me Delphine Krzisch (avocate) et Kahina Hireche Ziani (SOS Padhue), cette affaire illustre un système à bout de souffle. Dans certains services, les Padhue représentent jusqu’à la moitié de l’effectif médical. Sans eux, les hôpitaux ne pourraient fonctionner. Pourtant, ils sont sous-payés, corvéables et mal reconnus.

Une mobilisation juridique et syndicale en cours

Soutenus par la CGT et SOS Padhue, plusieurs médecins ont saisi le tribunal administratif de Melun. Leurs avocats estiment que la prime faisait partie intégrante de leur contrat de travail. Pour l’heure, aucun remboursement n’a été effectué. La direction du GHEF maintient sa position, invoquant une obligation de conformité légale.

Le 16 juillet 2025, une délégation a été reçue par le ministère de la Santé. Aucun engagement formel n’a été pris, mais une nouvelle réunion est prévue en septembre. Sur les réseaux sociaux, les témoignages s’accumulent, dénonçant un « management toxique » et une mise en danger des hôpitaux de proximité.

« C’est évidemment plus simple d’aller récupérer cette somme sur le dos de précaires qui ne connaissent pas les lois françaises et ont peur de perdre leur titre de séjour en même temps que leur emploi » déclare la CGT dans le Parisien.

Une vague d’indignation sur les réseaux professionnels

La crise du GHEF a provoqué une onde de choc bien au-delà du milieu hospitalier.

Le Dr Marty, président de l’Union française pour une médecine libre (UFML), dénonce frontalement sur X : « Osons le mot : les directeurs de ces hôpitaux sont racistes. Ils exploitent nos consœurs et confrères sous des relents colonialistes. Les directeurs coupables de cette exploitation doivent être démissionnés ! »

Sur LinkedIn, des dizaines de professionnels de santé, médecins, consultants ou cadres hospitaliers, ont exprimé leur indignation. Ces commentaires, anonymisés ici à l’exception du Dr Jean-Paul Marty, offrent un panorama saisissant de la colère, de l’épuisement et des critiques que suscite cette affaire au sein de la communauté médicale.

D’autres praticiens hospitaliers pointent une réalité plus insidieuse. L’un déclare : « Je n’en connais pas une [administration hospitalière] qui ne soit maltraitante ou dans l’illégalité. » Un second résume, lapidaire : « Pareil. »

Des messages plus structurels interrogent la logique de recrutement : « On préfère embaucher un médecin étranger que l’on paye peu et que l’on tient par son statut. C’est tellement plus simple que de former et payer correctement. » Un autre professionnel dénonce un système devenu, selon lui, « esclavagiste » : « Soit on les valide et on les paie correctement, soit on arrête. »

Certains commentaires adoptent un angle gestionnaire. Un anesthésiste rappelle : « Un trop-perçu doit être régularisé, mais faire payer cela aux soignants sous contrat alors que les directions savaient, c’est hypocrite. » Un médecin généraliste ajoute : « Une administration se plante mais ne prend jamais ses responsabilités. Ce sont toujours les plus fragiles qui paient. »

Plusieurs intervenants soulignent aussi le risque d’un retour de bâton : « Ces directions seraient bien inspirées de ne pas leur chercher noise. Une grève ou des départs collectifs les mettraient à genoux. » Un pharmacien évoque le cynisme du système : « Ces Padhue ont été exploités pour maintenir l’activité, et maintenant on leur demande de rembourser. »

Qu’ils adoptent une approche éthique, juridique ou comptable, ces témoignages convergent tous vers un même constat : cette crise dépasse le cadre d’un simple contentieux contractuel. Elle révèle une faille profonde dans le fonctionnement de l’hôpital public français et dans la manière dont il traite ses forces vives les plus exposées.

Quelles pistes pour éviter de nouvelles crises ?

Plusieurs recommandations émergent de cette affaire. D’une part, une réforme urgente du statut des Padhue est nécessaire, pour accélérer leur validation et leur garantir des conditions équitables. D’autre part, il serait plus pertinent de proposer des aides à l’installation et des revalorisations salariales légales, plutôt que des primes irrégulières.

Enfin, une meilleure transparence dans les contrats et des audits internes renforcés pourraient prévenir de telles dérives. La précarité des médecins étrangers, conjuguée à la dépendance croissante du système hospitalier à leur égard, constitue une vulnérabilité majeure pour l’ensemble du secteur public.

Ressources pour les professionnels concernés

  • Constituer un dossier avec contrats, bulletins de salaire et échanges avec l’administration.
  • Contacter un avocat en droit public ou se rapprocher des syndicats (CGT, SOS Padhue).
  • Participer aux actions collectives pour une reconnaissance statutaire et une réforme durable.
  • Accéder aux services de soutien psychologique pour prévenir les risques de burn-out.

La crise au GHEF dépasse le simple cadre local. Elle révèle des failles profondes dans la gestion des ressources humaines hospitalières. Elle questionne la légitimité des politiques d’attractivité fondées sur des mécanismes opaques. Elle interpelle enfin sur la manière dont la République traite celles et ceux qui, chaque jour, soignent sans compter.

Sources : France Info, Le Figaro, Le Parisien – juillet 2025

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