Des médecins formés en 8 ans : remède miracle ou posologie risquée ?

Des médecins formés en 8 ans : remède miracle ou posologie risquée ? Face à la pénurie de médecins, le rapport Rousset propose de réduire la durée des études médicales à 8 ans. Une mesure qui pourrait accélérer l’arrivée de jeunes praticiens en libéral, mais qui soulève des interrogations sur la qualité de la formation et l’attractivité des carrières.

Une réponse à la démographie médicale en crise

En 2025, la France ne compte plus que 99 500 généralistes, soit une baisse de 2,5 % depuis 2022. Dans le même temps, 6 millions de Français n’ont pas de médecin traitant. Pour répondre à cette urgence, le rapport Rousset avance une mesure forte : ramener les études médicales à 8 ans au lieu de 9 à 10 aujourd’hui, en supprimant notamment la quatrième année d’internat en médecine générale.

Cette quatrième année, instaurée en 2023, devait être une année de consolidation obligatoire, largement orientée vers la médecine ambulatoire. Elle prévoyait pour les internes de médecine générale un stage long en cabinet libéral, censé renforcer leur autonomie en soins primaires et améliorer leur exposition aux réalités de terrain. Mais dès sa mise en œuvre, elle avait suscité de fortes contestations : syndicats étudiants dénonçant un "allongement artificiel", praticiens libéraux craignant une main-d’œuvre sous-payée, et doyens reconnaissant le manque de terrains de stage disponibles.

Les doyens, auditionnés lors de la table ronde n°12, partagent ce constat. Le Pr Philippe Pomar (Toulouse) propose ainsi une « compression raisonnée du premier cycle », estimant que « deux ans pourraient être gagnés en optimisant les enseignements théoriques et en renforçant les stages précoces ». Il précise que « la 4e année de médecine générale, souvent redondante, pourrait être intégrée plus tard ou supprimée pour les généralistes ». De son côté, Pierre Merville (Bordeaux) souligne que « raccourcir les études sans compromettre les compétences est un défi, mais nécessaire pour combler les déserts médicaux ».

L’objectif de la réforme est clair : former 33 000 médecins supplémentaires en trois ans, en incluant les diplômés étrangers et en facilitant les reconversions (ex. passerelles pour les infirmiers en pratique avancée). Comme le rappelle le rapport : « Nous devons produire plus de médecins, plus vite, sans renoncer à l’exigence » (tome 2, p. 47).

Des avantages pour les futurs libéraux

Pour les jeunes praticiens, cette réforme pourrait signifier une entrée plus rapide dans l’exercice libéral et une meilleure préparation au quotidien du cabinet. Le rapport recommande d’intégrer des enseignements en gestion et management, afin d’outiller les futurs médecins à l’installation.

Un doyen auditionné souligne : « Nous formons d’excellents cliniciens, mais trop souvent démunis face à la gestion d’un cabinet. »

De plus, la création d’une voie par apprentissage dès la deuxième année permettrait d’ancrer plus tôt les étudiants dans la pratique de terrain. Le tome 2 note ainsi : « L’apprentissage doit devenir une voie d’excellence, permettant une immersion progressive en ambulatoire » (p. 52). Cette orientation est reprise par Raphaël Dachicourt (ReAGJIR) : « Une formation plus courte, avec une voie par apprentissage, pourrait inciter les jeunes à s’installer en libéral, surtout si elle est couplée à des aides financières comme l’article 51. »

Des inquiétudes persistantes sur la qualité

Cette réforme suscite toutefois des réserves. Plusieurs doyens de facultés entendus par la commission ont rappelé que « raccourcir n’est pas forcément former mieux ». Le Pr Stéphane Zuily (Nancy) estime ainsi qu’il faut « réformer les premiers cycles pour accélérer l’accès à la pratique », tout en avertissant que « la longueur actuelle des études dissuade certains étudiants, notamment dans les zones rurales, mais la qualité de la formation ne doit pas en pâtir ».

Du côté des syndicats étudiants et internes, les inquiétudes sont fortes. Le Dr Sayaka Oguchi (SNJMG) souligne que « réduire à 8 ans pourrait attirer plus d’étudiants, mais il faut garantir des stages de qualité et un accompagnement pour les installations en zones rurales ». Plus critique, Killian L’helgouarc’h (ISNI) avertit : « Raccourcir les études à 8 ans est séduisant, mais sans augmenter les capacités d’accueil des stages hospitaliers, on risque de former des médecins moins compétents. Les internes sont déjà surchargés. »

Le rapport lui-même alerte : « La tentation d’une formation au rabais serait une faute collective » . Pour la CSMF, la mesure risque de créer une fracture entre générations : « Réduire la durée des études sans renforcer les moyens pédagogiques serait une erreur lourde de conséquences. »

Et pour les libéraux déjà installés ?

Pour les praticiens en exercice, l’arrivée accélérée de nouveaux confrères pourrait alléger la pression, notamment dans les zones sous-dotées. Mais cette réforme ne suffira pas à elle seule. Sans revalorisation de l’exercice libéral et sans incitations financières solides à l’installation, le risque est que les jeunes médecins se concentrent dans les zones urbaines déjà bien pourvues.

« L’installation en zone sous-dotée doit devenir la norme, non l’exception, par un système incitatif clair et lisible ». La mobilisation de juillet 2025 contre le gel tarifaire rappelle que l’attractivité du métier ne dépend pas seulement de la durée des études, mais aussi de la reconnaissance économique et organisationnelle du travail médical.

Accélérer sans bâcler ?

La réduction des études à 8 ans peut apparaître comme une solution pragmatique pour faire face à la pénurie. Mais sa réussite repose sur deux conditions : maintenir l’exigence de la formation clinique et accompagner l’arrivée des jeunes praticiens par une revalorisation de l’exercice libéral.

Comme le résume Jean-François Rousset : « Nous proposons des réformes structurelles, pas des ajustements budgétaires : il faut un cap, une ambition » .

Reste une ironie difficile à ignorer : alors que le rapport propose de ramener les études de médecine générale à 8 ans pour lutter contre les déserts médicaux, la France venait tout juste de les rallonger à 10 ans avec l’instauration de la quatrième année d’internat, au nom… de la même cause. Ce va-et-vient illustre l’instabilité des politiques de formation, qui risque de lasser étudiants et praticiens.

En l’état, la mesure s’inscrit dans un projet ambitieux, mais les professionnels redoutent qu’elle ne devienne un simple ajustement comptable si elle n’est pas portée par une vision plus large du métier.

 

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