MSO obligatoire : 10 M€ d’économies, à quel prix pour les médecins ?

MSO obligatoire : 10 M€ d’économies, à quel prix pour les médecins ? Le projet de loi antifraudes présenté en Conseil des ministres le 15 octobre 2025 rendrait la mise sous objectif (MSO) obligatoire pour les médecins ciblés sur leurs prescriptions d’arrêts de travail. La CNAM y voit un levier d’efficience ; MG France a saisi le CNOM, dénonçant une atteinte à l’indépendance. Entre droit, pratique et déontologie, décryptage.

L’article 17 impose la MSO

L’article 17 du projet de loi « de lutte contre les fraudes sociales et fiscales » « prévoit d’imposer la mise sous objectif aux médecins ciblés pour leurs prescriptions d’arrêts maladie », en remplaçant « proposer » par « demander » dans le code de la Sécurité sociale[1]. L’étude d’impact attribue à la campagne 2023-2024 « près de 160 millions d’euros » d’économies et anticipe « 10 millions d’euros » supplémentaires par an grâce à l’obligation[1]. Un décret en Conseil d’État précisera « les seuils ciblés » et « les modalités du contradictoire »[1].

Côté opérationnel, la CNAM décrit un ciblage d’un « nombre limité de médecins » très au-dessus de leurs pairs, en deux vagues (01/09/2025-28/02/2026 puis 01/01/2026-30/06/2026), avec un objectif individuel « entre −20 % et −30 % ». En cas de refus, bascule en MSAP avec accord préalable pour chaque prescription d’IJ[2]. La CNAM attribue 60 % de la dynamique d’IJ à des facteurs structurels et annonce des actions parallèles côté assurés et employeurs[2].

Maîtrise des IJ vs indépendance médicale : où tracer la limite ?

MG France conteste l’assimilation implicite à la fraude et la logique de « contrôle statistique » des arrêts de travail, pointant une stigmatisation des prescripteurs[3]. Dès 2023, un collectif de généralistes dénonçait un « contrôle statistique déshumanisé » fondé sur des comparaisons hors critères cliniques[4].

Sur le plan institutionnel, l’avis du Conseil d’État, rendu public le 15 octobre 2025, recense la disposition visant à « simplifier et […] mieux coordonner l’engagement de la mise sous objectif […] et d’étendre le champ de la mise sous accord préalable », avis « délibéré et adopté […] le 11 septembre 2025 » sans objection de principe sur l’article en cause[5]. Le gouvernement invoque la « très forte dynamique » des IJ et des « mesures de responsabilisation » des prescripteurs[1].

« Le directeur de la CPAM peut “demander” à un médecin de s’engager à atteindre un objectif de réduction des prescriptions, et plus seulement “proposer” cette procédure. »[1]

MSO obligatoire : vos leviers de contestation à chaque étape

Avant la MSO. Exigez l’intégralité du dossier de ciblage. Formulez des observations écrites et, le cas échéant, demandez un entretien contradictoire. Documentez patientèle, comorbidités, sinistralité locale, pénibilité au travail. Mobilisez les comparaisons territoriales pertinentes[2].

Pendant la MSO. L’objectif fixé par le service médical peut être contesté sur la procédure, la motivation, la proportionnalité, la pertinence du panel de référence et l’adéquation à votre case mix. Durée type : 6 mois par vague[2].

Refus de la MSO et MSAP. En cas de refus, décision de MSAP possible par le directeur de CPAM, après avis conforme du DG de l’UNCAM. Chaque IJ passe en accord préalable. Recours hiérarchique et contentieux ouverts, y compris référé si urgence et préjudice graves. Les syndicats rapportent des sélections par vagues et recommandent de formaliser chaque étape[2].

Points de droit à surveiller. Le décret en Conseil d’État fixera les seuils de déclenchement, le contradictoire et les garanties procédurales. L’avis du Conseil d’État ne préjuge pas du contrôle du juge sur les cas concrets, notamment au regard de l’indépendance et de la déontologie.

Check-list clinique et documentaire pour réduire le risque

  • Tracer l’indication, la durée, les alternatives et les réévaluations.
  • S’appuyer sur les référentiels de durées indicatives et justifier les écarts.
  • Surveiller les profils « patients actifs » et les motifs répétés courts signalés par la CNAM.
  • Organiser un audit interne trimestriel et un échange confraternel documenté.
  • En cas de sélection MSO, demander la méthodologie de ciblage et les données comparatives.

Pour un panorama critique des campagnes MSO/MSAP et de leurs effets ressentis, lire sur Caducee.net : « MG France dénonce la stigmatisation des arrêts de travail » et « 125 médecins généralistes refusent le contrôle statistique déshumanisé ».

Ce qui reste ouvert avant les décrets

Décrets d’application. Les textes préciseront les seuils de déclenchement, les jeux de comparateurs statistiques et les modalités du contradictoire. Ils devront encadrer la motivation des décisions, la durée des vagues et les conditions d’évaluation en fin de période.

Périmètre. Le gouvernement envisage une extension aux centres de santé et aux plateformes de téléconsultation. Le calibrage exact et les éventuelles exemptions ne sont pas arbitrés[1].

Impacts financiers. Le gain additionnel annoncé de « jusqu’à 10 M€ » par an devra être rapproché des coûts d’organisation imposés aux cabinets et des effets de report potentiels sur les IJ[1].

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Le pari gouvernemental table sur un gain additionnel de « jusqu’à 10 M€ par an »[1]. Rapporté aux « près de 160 M€ » revendiqués sur 2023-2024[1], l’effet marginal paraît mince face aux risques opérationnels : démotivation, contentieux, et surtout retrait d’activité de praticiens expérimentés, notamment les séniors. Les alertes des syndicats sur la stigmatisation des prescripteurs[3] et le « contrôle statistique déshumanisé »[4] rappellent qu’à vouloir serrer la vis, on peut « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Dans les zones sous-dotées, la perte ou la réduction d’activité de quelques profils aguerris peut renchérir les délais d’accès et, in fine, doper les IJ de report. Sans garde-fous procéduraux et accompagnement clinique, l’équation économique risque de ne pas tenir.

Références

[1] Egora, « MSO obligatoire : le projet de loi adopté en Conseil des ministres », 15/10/2025. https://www.egora.fr/actus-pro/politiques/mso-obligatoire-le-projet-de-loi-adopte-en-conseil-des-ministres

[2] ameli.fr, « MSO-MSAP 2025-2026 : toutes les informations sur le dispositif », 27/06/2025. https://www.ameli.fr/medecin/actualites/mso-msap-2025-2026-toutes-les-informations-sur-le-dispositif-qui-debutera-en-septembre

[3] Caducee.net, « MG France dénonce la stigmatisation des arrêts de travail avec l’opération “Transparence IJ” », 12/06/2025. https://www.caducee.net/actualite-medicale/16604/mg-france-denonce-la-stigmatisation-des-arrets-de-travail-avec-l-operation-transparence-ij.html

[4] Caducee.net, « 125 médecins généralistes refusent le contrôle statistique déshumanisé… », 02/12/2023. https://www.caducee.net/actualite-medicale/16250/laissez-nous-soigner-en-toute-humanite-125-medecins-generalistes-refusent-le-controle-statistique-de-l-assurance-maladie-sur-les-arrets-de-travail.html

[5] Conseil d’État, « Avis sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales », publié le 15/10/2025, avis adopté le 11/09/2025. https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/avis-sur-le-projet-de-loi-relatif-a-la-lutte-contre-les-fraudes-sociales-et-fiscales

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