Hausse des cancers du sein avant 40 ans : faut-il abaisser l’âge du dépistage ?
Des carcinomes en hausse de 1,60 %/an
D’abord, un point d’étape chiffré pour planter le décor.
Selon une analyse nationale portant sur 229 352 cas (1990–2023), l’incidence augmente sans interruption chez les jeunes femmes : de 16,1 à 26,3 pour 100 000 personnes-années à 30 ans et de 98,7 à 131,2 à 40 ans, soit des hausses moyennes annuelles de 1,5 % et 0,9 %, correspondant à 63 % et 33 % en trente ans[1][2].
Précisions méthodologiques : l’analyse s’appuie sur les registres nationaux des cancers et précise des IC 95 % pour les extrêmes des séries – à 30 ans : 16,1 (14,7–17,8) → 26,3 (20,7–33,3) ; à 40 ans : 98,7 (93,8–103,7) → 131,2 (115,8–148,7). Les auteurs rapportent des taux d’augmentation annuelle moyenne (AAPC) de 1,5 % à 30 ans et 0,9 % à 40 ans[2]. Santé publique France retrouve, chez les 15–39 ans, une augmentation moyenne de 1,60 %/an sur 2000–2020 pour les carcinomes du sein[3].
« La hausse des cancers du sein chez la femme jeune avait déjà été confirmée aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais pas encore en France malgré des suspicions », déclare le Pr Pascal Pujol ; l’étude « confirme la hausse putative des cancers du sein chez la femme de moins de 40 ans »[1].
Le cadre actuel du dépistage en france
Ensuite, il faut replacer ces tendances dans le dispositif français afin d’éviter les faux procès.
Le dépistage organisé français invite, tous les deux ans, les femmes de 50 à 74 ans à réaliser une mammographie avec double lecture et examen clinique. Avant 50 ans, le dépistage systématique n’est pas recommandé ; au-delà de 74 ans, il est individualisé[4][5][6]. Les recommandations spécifiques pour les femmes à haut risque (antécédents, mutations) relèvent d’un suivi dédié défini par la HAS[7].
« Celle de la cause et celle de l’âge du dépistage », résume le Pr Pujol, qui souligne que les États-Unis ont abaissé l’âge de référence à 40 ans et que des pays européens passent à 45 ans[1].
Avantages potentiels d’un abaissement de l’âge
À l’appui d’un éventuel abaissement, plusieurs bénéfices sont avancés par les cliniciens et les épidémiologistes.
- Diagnostic plus précoce chez une population où certains cancers hormonodépendants apparaissent et peuvent être « souvent plus agressifs »[1][2].
- Réduction des délais de prise en charge pour des patientes qui, aujourd’hui, relèvent surtout d’un diagnostic opportuniste en soins primaires.
- Équité d’accès : un cadre national clarifié pourrait limiter les disparités territoriales de parcours.
Limites et risques à anticiper
Symétriquement, des écueils sont documentés par la littérature et les retours de terrain.
- Surdiagnostic et surtraitements : hausse attendue des faux positifs, examens complémentaires, angoisse et coûts, à mesurer rigoureusement.
- Capacité des plateaux techniques : imagerie et double lecture, déjà sous tension par endroits, à adapter avant tout élargissement.
- Participation : la couverture du dépistage organisé reste perfectible en France, ce qui interroge la priorité entre étendre l’âge ou améliorer l’adhésion des 50–74 ans[6].
Cochrane conclut que, dans les essais randomisés jugés les plus fiables du dépistage par mammographie, aucune baisse de la mortalité par cancer du sein n’est démontrée, aucun effet sur la mortalité toutes causes n’apparaît, et les dommages sont notables : surdiagnostic substantiel et ≈ 20 % de mastectomies en plus dans les groupes dépistés. Cette synthèse invite à quantifier précisément bénéfices et effets indésirables avant tout abaissement d’âge.[14]
Quelles pistes opérationnelles pour les équipes de soins
Concrètement, côté terrain, plusieurs leviers peuvent être activés sans attendre.
- Repérage en soins primaires : formaliser des critères d’orientation rapide vers l’imagerie chez les moins de 50 ans présentant des signes d’alerte ou des facteurs de risque personnels.
- Parcours haut risque : vérifier l’éligibilité au circuit HAS (surveillance annuelle, IRM selon indications), avec traçabilité dans le DMP[7].
- Qualité du dépistage : suivre l’évolution des modalités techniques (double lecture, place éventuelle de la tomosynthèse) et des indicateurs de qualité du programme[6].
Points de vigilance scientifiques
Au-delà du débat sur l’âge de début, quelques garde-fous méthodologiques s’imposent.
La hausse d’incidence est robuste mais multifactorielle ; les facteurs hormonaux et de mode de vie sont évoqués, sans explication unique des tendances. Des travaux complémentaires sont nécessaires pour estimer le bénéfice net d’un abaissement d’âge en France, en intégrant mortalité spécifique, morbidité et qualité de vie. En attendant, mieux outiller le diagnostic précoce chez les jeunes et renforcer la participation des 50–74 ans relèvent du bon sens clinique.
Comment la France se situe à l’international
- États-Unis : la USPSTF recommande depuis le 30 avril 2024 un dépistage biennal dès 40 ans jusqu’à 74 ans[9]. Sur le plan épidémiologique, chez les 20–49 ans, l’incidence a augmenté en moyenne de 0,79 %/an entre 2000 et 2020, avec une accélération après 2016 (APC 3,76 %)[10]. Le rapport ACS 2024–2025 note un 1,4 %/an chez les sur 2012–2021 et estime que 16 % des cancers invasifs attendus en 2024 concernent des femmes [12].
- Royaume-Uni : les données de Cancer Research UK indiquent une hausse d’environ 18 % de l’incidence du cancer du sein depuis le début des années 1990, avec une progression notable chez les 25–49 ans sur les deux dernières décennies[11].
- Politiques de dépistage en OCDE : la plupart des pays maintiennent un dépistage organisé 50–69 ans tous les deux ans, avec des variations de participation importantes (jusqu’à 83 % au Danemark, moins de 25 % au Mexique et en Turquie). Ces écarts de couverture compliquent les comparaisons d’impact[6][13].
Références
1. Le Quotidien du Médecin, « L’augmentation des cancers du sein se confirme chez la femme jeune en France », 10/10/2025. https://www.lequotidiendumedecin.fr/actu-medicale/sante-publique/laugmentation-des-cancers-du-sein-se-confirme-chez-la-femme-jeune-en-france
2. P. Pujol et al., Increasing incidence of breast cancer in young women over time, The Breast, 2025. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960977625005727 ; PubMed : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/40774220/
3. Santé publique France, « Incidence des cancers chez les adolescents et jeunes adultes (15–39 ans) », communiqué du 03/03/2025. https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2025/incidence-des-cancers-chez-les-adolescents-et-jeunes-adultes-ages-de-15-a-39-ans-et-evolutions-entre-2000-et-2020-dans-les-departements-de-france
4. INCa/cancer.fr, « Les cancers du sein » (chiffres épidémiologiques), mis à jour 07/2025. https://www.cancer.fr/professionnels-de-sante/statistiques-et-chiffres-sur-les-cancers/epidemiologie-des-cancers/cancer-du-sein
5. INCa/cancer.fr, « Prévenir et dépister tôt » (programme organisé 50–74 ans), page consultée 24/09/2025. https://www.cancer.fr/toute-l-information-sur-les-cancers/se-faire-depister/les-depistages/depistage-du-cancer-du-sein/prevenir-et-depister-tot
6. Santé publique France, « Participation au programme de dépistage organisé du cancer du sein en 2024 », 06/05/2025. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/cancer-du-sein/articles/participation-au-programme-de-depistage-organise-du-cancer-du-sein-en-2024-et-evolution-depuis-2005
7. HAS, « Dépistage du cancer du sein en France : identification des femmes à haut risque et modalités ». https://www.has-sante.fr/jcms/c_1741170
8. INCa/cancer.fr, « Les cancers du sein » : progression moyenne 0,3 %/an (2010–2023) et 61 214 nouveaux cas en 2023. https://www.cancer.fr/professionnels-de-sante/statistiques-et-chiffres-sur-les-cancers/epidemiologie-des-cancers/cancer-du-sein
9. USPSTF, « Final Recommendation Statement: Screening for Breast Cancer », 30/04/2024. https://www.uspreventiveservicestaskforce.org/uspstf/announcements/final-recommendation-statement-screening-breast-cancer-0
10. Xu S. et al., Breast Cancer Incidence Among US Women Aged 20 to 49 Years, JAMA Network Open, 02/01/2024. https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/fullarticle/2814306
11. Cancer Research UK, « Breast cancer incidence (invasive) statistics », consultation 10/2025. https://www.cancerresearchuk.org/health-professional/cancer-statistics/statistics-by-cancer-type/breast-cancer/incidence-invasive
12. American Cancer Society, Breast Cancer Facts & Figures 2024–2025, 11/07/2024. https://www.cancer.org/content/dam/cancer-org/research/cancer-facts-and-statistics/breast-cancer-facts-and-figures/2024/breast-cancer-facts-and-figures-2024.pdf
13. OCDE, Health at a Glance 2023 – Cancer screening. https://www.oecd.org/en/publications/2023/11/health-at-a-glance-2023_e04f8239/full-report/cancer-screening_212c79aa.html
14. Cochrane Review : Gøtzsche PC, Jørgensen KJ. Screening for breast cancer with mammography. Cochrane Database of Systematic Reviews. 2013;(6):CD001877. Disponible : https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD001877.pub5/full
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