Mortalité néonatale : la hausse se joue surtout en ville

Mortalité néonatale : la hausse se joue surtout en ville La polémique enfle : les fermetures de « petites maternités » seraient la cause de la hausse de la mortalité infantile. Les travaux nationaux publiés en 2025 ne confirment pas cette causalité. Ils convergent vers un autre diagnostic : l’excès de mortalité néonatale se concentre dans les communes urbaines les plus défavorisées, tandis que l’accessibilité routière à une maternité concerne, au niveau national, une faible minorité de femmes.

Dans une tribune parue le 13 novembre 2025, le Pr Patrick Rozenberg (Président du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens de France, CNGOF) a résumé ce renversement de perspective : « L’augmentation de la mortalité néonatale est ainsi liée à des conditions socio-économiques précaires, et non à la durée du trajet jusqu’à la maternité »[1]. Il ajoute : « Il serait temps que les médias et les élus cessent de véhiculer des contre-vérités et s’en tiennent aux faits »[1].

« On ne joue pas avec la vie des mères et des nouveau-nés ! »[1]

Tendances 2001–2020 : où se situe vraiment l’excès

Les séries françaises indiquent une remontée de la mortalité néonatale (décès avant 28 jours) à partir des années 2010. Une analyse spatio-temporelle couvrant 2001–2017 rapporte un taux moyen de 2,42 ‰, une hausse « à partir de 2011 » et un excès « dans les grandes villes, les zones défavorisées et les communes avec une forte part de migrants »[2]. Un second travail (BMJ Medicine, 16/09/2025) confirme que l’augmentation entre 2001–2008 et 2015–2020 « est concentrée uniquement dans les zones défavorisées, tandis que la mortalité est restée stable dans le reste du pays »[3]. Le tableau est cohérent : la surmortalité récente est d’abord urbaine défavorisée.

Accessibilité : des pourcentages nationaux faibles, des contrastes locaux marqués

Le récit « 40 % des femmes à plus de 45 minutes d’une maternité » a prospéré en 2025. Il est contredit par la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) : en 2017, 1,14 % des femmes en âge de procréer vivent à plus de 45 minutes, dont 0,91 % entre 45 et 60 minutes et 0,23 % à 60 minutes ou plus ; le temps médian d’accès est de 9 minutes[4][5]. Oui, certains départements ont vu la part >45 minutes s’envoler (ex. Lot à 24 % en 2017), mais l’ordre de grandeur national reste sans commune mesure avec « 40 % »[4]. La confusion provient d’un 40 % d’augmentation relative entre 2000 et 2017, transformé à tort en niveau.

Lecture DREES (méthode OSRM) : « La part des femmes situées entre 45 minutes et moins d’une heure de la maternité la plus proche passe de 0,64 % en 2000 à 0,91 % en 2017 » ; « 60 minutes et plus : de 0,17 % à 0,23 % »[5].

Déterminants de sécurité : filière, volumes, précarité et soins spécialisés

Comparer les pays rappelle que les meilleurs résultats périnataux s’obtiennent dans des filières structurées : transferts in utero, accès à des niveaux de soins adaptés, équipes stables et volumes suffisants. La littérature internationale ne montre pas d’association constante entre seuls temps d’accès allongés et surmortalité néonatale globale ; elle documente en revanche une hausse des accouchements inopinés extrahospitaliers lorsque les distances augmentent, avec effets hétérogènes sur la mortalité[6]. En pratique, maintenir des unités à faible activité et sous-dotées peut dégrader la qualité ; inversement, renforcer les ressources là où la demande est la plus complexe améliore la sécurité.

À lire sur Caducee.net : santé périnatale : le bilan alarmant du Sénat ; la Cour des comptes pointe la médiocrité des résultats sanitaires ; néonatologie : crise systémique et inégalités régionales.

L’exemple bourguignon : un signal local à faible puissance

L’étude souvent invoquée pour affirmer un « doublement » de la mortalité quand le trajet dépasse 45 minutes porte sur la Bourgogne (2000–2009). Elle recense 11 135 femmes à plus de 30 minutes et 467 à plus de 45 minutes ; cet effectif limite la puissance pour conclure solidement sur la mortalité après ajustements[7]. En faire une loi générale relève du raccourci. Les analyses nationales multi-variables publiées depuis offrent un cadre plus robuste pour l’action publique.

Implications : réorienter l’effort là où les risques sont concentrés

Cibler les communes urbaines défavorisées avec un renfort coordonné de la filière périnatale : transports in utero, lits et personnels de néonatologie, continuité obstétrico-pédiatrique, suivi renforcé pré et post-partum, articulation ville–hôpital et leviers sociaux. Parallèlement, fixer des seuils d’activité et des critères de qualité, plutôt que sanctuariser tout point de naissance. Le débat gagnera à se fonder sur des indicateurs objectivés et non sur des slogans.

« 40 % à plus de 45 minutes »

Le slogan a prospéré en 2025, mais il ne résiste pas à l’examen des sources. Les publications de la DREES montrent qu’en 2017, à l’échelle nationale, 1,14 % des femmes en âge de procréer résident à plus de 45 minutes d’une maternité, dont 0,91 % entre 45 et 60 minutes et 0,23 % au-delà de 60 minutes ; le temps médian d’accès est de 9 minutes[4][5]. Il existe des contrastes marqués selon les départements—le Lot atteint 24 %—, mais ils ne doivent pas être extrapolés au pays tout entier[4].

La confusion vient d’un indicateur d’augmentation relative : entre 2000 et 2017, la part des femmes au-delà de 45 minutes a crû d’environ 40 %. Ce « 40 % » a été indûment transformé en « 40 % des femmes ». Pour la décision publique, la bonne lecture consiste à articuler ces données d’accessibilité avec la qualité de la filière (transferts, niveaux de soins, continuité obstétrico-pédiatrique) et le profil socio-économique des territoires.

Chronologie récente du moratoire « petites maternités »

Le 15 mai 2025, l’Assemblée nationale adopte un moratoire visant à suspendre les fermetures de petites maternités, au motif de la hausse de la mortalité infantile[8]. Dans les semaines qui suivent, sociétés savantes et équipes de terrain contestent l’argument de causalité directe « distance → mortalité » et plaident pour des critères opposables de qualité et de volumes d’activité. La presse généraliste relaie ce dissensus, rappelant que les dernières études situent l’excès de mortalité néonatale dans les communes urbaines défavorisées plutôt que dans les territoires ruraux éloignés[9].

Références

  1. Le Figaro, Tribune du Pr Patrick Rozenberg, « Non, la fermeture des petites maternités n’est pas responsable de la hausse de la mortalité infantile ! », 13/11/2025. Lien : Le Figaro. Relais : aperçu X ; reprise.
  2. Journal of Epidemiology & Population Health, « Neonatal mortality in 2001–2017 in France: a cause-specific and spatiotemporal analysis », 2025. Résumé PubMed ; Éditeur.
  3. BMJ Medicine, « Evaluation of area-based socioeconomic inequalities and neonatal mortality rates in France », 16/09/2025. INSERM ; CRESS.
  4. DREES, « La part des femmes en âge de procréer résidant à plus de 45 minutes d’une maternité augmente entre 2000 et 2017 », Études & Résultats n°1201, 29/07/2021, màj 16/07/2024. Synthèse.
  5. DREES, ER n°1201 — PDF (Tableau 2, lecture OSRM), consulté le 17/11/2025. PDF.
  6. BMJ Open, Malouf R.S. et al., « Impact of obstetric unit closures, travel time and distance to obstetric services on maternal and neonatal outcomes: a systematic review », 2020. Article.
  7. Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction — Bourgogne 2000–2009 : « Temps d’accès aux maternités bourguignonnes et indicateurs de santé périnatale ». Données clés ; Notice.
  8. Assemblée nationale — Rapport de la commission des affaires sociales, éléments de contexte (mai 2025). PDF.
  9. Le Monde, « Maternités : les médecins réfutent le lien entre hausse de la mortalité infantile et fermetures des petites structures », 23/05/2025 ; « En votant un moratoire… les députés se trompent de combat », 26/05/2025. Article 23/05 ; Tribune 26/05.

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