Orthophonie en CMP : la double prise en charge évitée, la double peine assurée

Orthophonie en CMP : la double prise en charge évitée, la double peine assurée La clarification par l’Assurance-maladie sur la “double prise en charge” bouleverse l’accès à l’orthophonie pour les enfants suivis en centre médico-psychologique. Entre conventions impossibles, tolérance temporaire et absence de réponse politique claire, familles et praticiens redoutent une rupture de soins touchant potentiellement plus de 100 000 enfants.

Un cadre juridique modifié par la LFSS 2025

Pendant des années, une tolérance a permis la facturation en libéral de séances d’orthophonie pour des enfants suivis parallèlement en CMP, alors même que l’orthophonie figure théoriquement au panel des soins CMP. La LFSS 2025 a reconfiguré le terrain : les indus sont désormais reconnus aux établissements médico-sociaux (ESMS) et aux CAMSP, tandis que les CMP, relevant du Code de la santé publique, restent en dehors de ce périmètre.

Conséquence opérationnelle : pour sécuriser la facturation, une convention CMP–orthophoniste est exigée dans toutes les situations. Lorsque le suivi orthophonique est lié au motif d’admission en CMP, l’acte relève de la dotation hospitalière du centre. Lorsqu’il est non lié, l’Assurance-maladie peut rembourser, à condition que la convention soit formalisée.

Orthophonistes et CMP face à une équation délicate

Sur le terrain, les équipes décrivent des difficultés accrues : manque d’effectifs administratifs pour traiter les conventions, budgets contraints, absence fréquente d’orthophonistes en CMP. Des libéraux suspendent des suivis, redoutant des récupérations d’indus. La Fédération nationale des orthophonistes relaie ces alertes et met à disposition des modèles de convention.

Selon Le Monde, Sarah Degiovani, présidente de la FNO, a expliqué que la fédération avait choisi d’informer ses adhérents afin qu’ils puissent anticiper. Elle a ajouté que les CMP n’avaient pas été prévenus par les autorités, et que ces structures n’avaient ni les moyens financiers de payer les actes, ni les ressources humaines pour gérer les conventions. Dans le même article, la Fédération des orthophonistes de France (FOF) a confirmé avoir alerté le ministère de la Santé par courrier le 5 septembre, évoquant un déficit de communication déjà à l’origine de suspensions de soins.

 

Du côté de l’Assurance-maladie, le discours se veut rationnel et budgétaire. La Caisse rappelle que l’objectif est d’éviter un « double financement » d’un même soin, alors que la dépense en orthophonie connaît une progression régulière. La CNAM justifie cette clarification par une nécessité de maîtrise des coûts et de contrôle des dépenses publiques, arguant que l’argent doit être mieux ciblé et ne peut financer deux fois une prestation théoriquement incluse dans l’offre hospitalière. Cette logique comptable, qui répond à une pression structurelle sur les finances de la Sécurité sociale, s’oppose toutefois à la réalité du terrain où les CMP sont largement dépourvus d’orthophonistes et de personnel à même de faire signer les conventions qu'elle réclame. Elle conduit inexorablement vers un choix cornélien pour de nombreux parents.

Plus de 100 000 enfants potentiellement concernés

Les estimations de terrain font état de 20 % à 30 % d’enfants suivis en CMP nécessitant de l’orthophonie, soit plus de 100 000 patients. Le risque de devoir arbitrer entre accompagnement psychologique et rééducation orthophonique expose à des pertes de chances majeures, en particulier en zones sous-dotées.

Une tolérance jusqu’au 31 octobre 2025

La CNAM a annoncé une période de tolérance, sans contrôles immédiats ni récupération rétroactive d’indus d’ici au 31/10/2025, tout en appelant les professionnels à maintenir les soins. Cette fenêtre doit être mise à profit pour organiser les conventions locales et clarifier les procédures avec les caisses et les ARS.

Perspectives et besoins immédiats

Une question parlementaire déposée fin juillet 2025 interpelle le gouvernement sur l’adaptation du cadre applicable aux CMP et sur la sécurisation de la continuité des soins. À court terme, la capacité des CMP à conventionner dépendra d’appuis administratifs et budgétaires ciblés, afin d’éviter une amplification des inégalités territoriales.

Alors que les familles, les orthophonistes et les CMP s’épuisent à jongler entre conventions impossibles, tolérances temporaires et menaces d’indus, une question persiste : qui, au sommet de l’État, prendra enfin la mesure du problème ? Pour l’instant, face à l'absence de gouvernement, la « solution » semble se résumer à laisser les professionnels bricoler et les enfants patienter. Si la double prise en charge sera sans doute évitée… la double peine, elle, s’annonce bien réelle, tant pour les enfants que pour les orthophonistes.

 

Sources  : Le Monde (12/09/2025), positions de la FNO et de la FOF, communications CNAM, question écrite à l’Assemblée nationale (29/07/2025), Entrevue.fr.

 

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