80h sans repos : les pharmaciens dénoncent les réquisitions abusives des ARS
Un cas isolé ou révélateur ?
Relayée par Guillaume Kreutter, un pharmacien titulaire, l’affaire a mobilisé plus de 200 commentaires sur LinkedIn, majoritairement issus de médecins, pharmaciens et infirmiers. Tous pointent la même dérive : des réquisitions utilisées comme outil de contrainte, ignorant l’épuisement des soignants et leurs obligations familiales ou médicales.
D’autres témoignages rapportent des situations similaires à Lorient, Strasbourg, Toulon ou Agen. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, le 16 août, plusieurs officines ont été réquisitionnées pour « garantir la continuité des soins » malgré la grève. En Auvergne-Rhône-Alpes, des pharmaciens évoquent une véritable « asphyxie économique » liée aux baisses de marges. Un anesthésiste-réanimateur partage son quotidien : « Nous sommes de nombreux soignants à travailler 80 heures par semaine, avec des urgences accumulées et des équipes surchargées. »
Ces échos soulignent la pénurie de personnel en zones rurales, aggravée par la faible attractivité de la profession et la désertification pharmaceutique. Comme le note un pharmacien clinicien : « À ce niveau, c’est même dangereux pour la sécurité des patients : comment peut-on intellectuellement être performant après 80h de travail ? » Une infirmière témoigne : « Des réquisitions, des plannings impossibles, des nuits enchaînées... Notre santé et notre dignité doivent être respectées autant que celles des patients. » Yannick Neuder, ministre délégué à la Santé, est interpellé : « Est-il normal de traiter ainsi des soignants qui luttent contre la désertification médicale ? » Ce faisceau de témoignages dessine une réalité systémique qui dépasse largement l’officine.
Quand la continuité des soins se heurte au droit du travail
Les réquisitions reposent sur l’article L.3131-8 du Code de la santé publique, permettant au préfet, sur avis de l’ARS, de réquisitionner du personnel de santé pour garantir la continuité des soins. Mais des décisions récentes de tribunaux administratifs (Strasbourg, 4 juillet, dans le Bas-Rhin ; Toulon, 11 juillet, dans le Var) ont suspendu certains arrêtés, jugés disproportionnés face au droit de grève. Dans le Var, un nouvel arrêté plus limité a été pris jusqu’au 27 juillet, signe que les ARS adaptent leur stratégie mais poursuivent leurs réquisitions.
La directive européenne 2003/88/CE limite le temps de travail à 48 heures hebdomadaires, et l’arrêt de la Cour de justice de l’UE dit Valenciana (2000) impose des bornes protectrices. Les commentateurs rappellent que ces réquisitions entraînent une violation manifeste du droit du travail, avec des risques de sanctions pénales pour refus. « C’est même dangereux pour la sécurité des patients : comment rester lucide après 80 heures sans repos ? », interpelle un pharmacien clinicien.
Des soignants épuisés et une solidarité qui s’affirme
Au-delà des aspects juridiques, les témoignages illustrent un sentiment d’« esclavage moderne ». Burnout, perte de vocations, fermetures d’officines – plus de 200 par an – alimentent une spirale négative. Une infirmière indépendante dénonce : « Nos vies ne peuvent pas être sacrifiées au nom de la continuité des soins ».
Malgré l’exaspération, des voix appellent à l’union. Des formatrices en prévention des risques psychosociaux rappellent la nécessité d’agir collectivement, tandis que plusieurs médecins et pharmaciens proposent de saisir l’inspection du travail ou d’engager des recours pour mise en danger d’autrui.
Quelles pistes pour sortir de l’impasse ?
Les syndicats pharmaciens réclament une révision des remises sur les génériques, un allègement des contraintes administratives et un meilleur soutien aux zones rurales. Certains évoquent aussi une refonte du système de garde et une revalorisation du rôle des préparateurs pour soulager les titulaires.
Pour leur part, les ARS justifient ces réquisitions par la nécessité d’assurer un « service minimum » et de préserver la santé publique. Pascal Durand, directeur adjoint de l’ARS Occitanie, expliquait récemment qu’elles visent avant tout les urgences et « ne s’accompagnent pas systématiquement d’un tiers payant ». Une vision qui contraste fortement avec le ressenti des soignants sur le terrain.
Vers une crise de confiance
Le cas de la pharmacienne de la Marne révèle bien plus qu’un conflit ponctuel : il symbolise une fracture entre l’administration et les soignants de première ligne. La sécurité des patients, censée motiver les réquisitions, risque paradoxalement d’être compromise par l’épuisement et les erreurs.
Alors que la mobilisation des pharmaciens se poursuit, la balle est désormais dans le camp du ministère de la Santé et du Travail. Faute de réponses concrètes, le système pourrait s’enfoncer davantage dans une crise de confiance qui fragilise déjà l’ensemble des professions de santé.
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