Gel tarifaire : la médecine libérale prise au piège d’une régulation aveugle

Gel tarifaire : la médecine libérale prise au piège d’une régulation aveugle Le gel des revalorisations tarifaires des professionnels de santé libéraux, décidé en juin 2025 et effectif au 1er juillet 2025, a provoqué une onde de choc dans le secteur de la santé. Cette mesure, prise pour contenir un dérapage des dépenses de l’Assurance maladie, a reporté au 1er janvier 2026 les hausses prévues pour des spécialités médicales et paramédicales essentielles. Depuis cette annonce, les professionnels de santé, réunis sous des bannières comme #SoignantsTrahis, se sont mobilisés pour dénoncer une décision jugée injuste et dangereuse pour l’accès aux soins.

Un gel tarifaire automatique aux lourdes conséquences

Le 18 juin 2025, le Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie a signalé un « risque sérieux » de dépassement de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) de plus de 0,5 %, soit environ 1,3 milliard d’euros. Ce dérapage, attribué principalement à la hausse des indemnités journalières (arrêts de travail) et au déficit des établissements publics de santé, a déclenché un mécanisme automatique prévu par l’article L.162-14-1-1 du Code de la sécurité sociale. Ce mécanisme suspend pour six mois toute revalorisation tarifaire prévue après l’alerte, repoussant ainsi les hausses programmées au 1er juillet 2025 au 1er janvier 2026.

Les revalorisations gelées

Les hausses suspendues concernent plusieurs professions libérales, notamment :

  • Médecins spécialistes :
    • Pédiatrie : Consultations obligatoires avec certificat (de 54 € à 60 €), suivi des enfants de moins de 2 ans (de 39 € à 40 €), et examens obligatoires jusqu’à 2 ans (de 45 € à 50 €). Une nouvelle consultation d’expertise pédiatrique à 60 € était également prévue.
    • Psychiatrie : Consultation coordonnée (de 55 € à 57 €) et pédopsychiatrie pour les 12-25 ans (de 67 € à 75 €).
    • Gynécologie médicale : Consultation coordonnée (de 37 € à 40 €).
    • Gériatrie : Consultation coordonnée (de 37 € à 42 €).
    • Dermatologie : Dépistage du mélanome (de 54 € à 60 €).
    • Endocrinologie : Consultation complexe (de 58 € à 62 €).
    • Neurologie : Consultation coordonnée (de 55 € à 57 €).
    • Médecine physique et réadaptation : Consultation (de 36 € à 40 €).
  • Kinésithérapeutes : Hausses de 8 % pour les actes musculo-squelettiques, 29 % pour la rééducation de la déambulation des personnes âgées, et 59 % pour la balnéothérapie.
  • Chirurgiens-dentistes : Revalorisations prévues dans leur convention, sans détails précis disponibles.
  • Pharmaciens : Bien que non directement concernés par le gel tarifaire, ils dénoncent un plafonnement des remises sur les génériques (de 40 % à 20-25 %), menaçant leur modèle économique.

Ces revalorisations, négociées dans le cadre de la convention médicale 2024-2029 signée en juin 2024, visaient à rendre la médecine libérale plus attractive, à compenser l’inflation, et à soutenir des spécialités en difficulté. Leur suspension a été perçue comme une rupture du « pacte conventionnel » par les professionnels.

Vague d’indignation parmi les syndicats de santé

« Le gel de ces revalorisations, négociées difficilement, touche particulièrement des spécialités qui étaient dans un besoin urgent de soutien. Une rencontre urgente avec la ministre de la Santé, le ministre délégué de la Santé et le directeur de la Caisse d’assurance maladie est indispensable. ...Les professionnels libéraux sont les dindons de la farce... Ce genre de décision détruit la confiance des soignants libéraux envers la Caisse d’Assurance maladie et notre système de santé. »
(Avenir Spé, communiqué du 20 juin 2025, Medscape France)

« Dotés d’un mécanisme automatique de régulation financière, ce gel tarifaire est non seulement injuste mais aussi contre-productif et dangereux pour l’accès aux soins de nos concitoyens. ...Ces gels automatiques ne font que détériorer un peu plus le rapport de confiance des professionnels de santé libéraux envers les accords signés avec l’Assurance maladie. Résultat : ces gels de tarification aboutissent à un profond sentiment de trahison. »
(SDBIO, communiqué du 25 juin 2025)

« C’est une hausse de l’ordre de 8 % sur les actes de kinésithérapie les plus courants qui va être gelée. Le syndicat exige le respect des engagements contractuels et annonce qu’il va utiliser l’ensemble des leviers pour mobiliser l’ensemble des professions conventionnées, toutes victimes de ce mépris du dialogue social... La profession est victime d’un pilotage budgétaire défaillant de l’ONDAM et de l’irresponsabilité budgétaire des pouvoirs publics. »
(FFMKR, communiqué du 1er juillet 2025)

« À 10 jours de leur entrée en vigueur, les revalorisations des actes de kinésithérapie ont été interrompues, victimes d’un mécanisme incompréhensible et injuste... Nous refusons d’être une variable d’ajustement budgétaire. »
(Syndicat Alizé, communiqué du 20 juin 2025)

« Ce gel tarifaire arbitraire est destructeur et met en péril le système conventionnel... Les soignants libéraux ne paieront pas les dérives budgétaires de l’hôpital, ni les erreurs de gestion budgétaires des gouvernements successifs, ni l’incapacité de l’État à s’appliquer à lui-même les mesures d’économies qu’il impose aux autres. »
(Collectif #SoignantsTrahis, communiqué du 20 juin 2025)

« En remettant en question les engagements qu’elle avait pourtant signés, la Cnam raye d’un trait des mois de négociations conventionnelles et d’efforts des médecins libéraux. »
(Jeunes Médecins, communiqué du 20 juin 2025)

« Lors d’une réunion de concertation le 20 juin dernier, il a été proposé de réduire le plafond des remises commerciales sur les génériques de 40 % à 20 %, ce qui mettrait en péril la viabilité économique des officines. »
(FSPF, communiqué du 20 juin 2025)

« Le report des revalorisations prévues pour les kinésithérapeutes illustre une mécanique budgétaire implacable, mais profondément injuste. Il révèle un déséquilibre systémique : la solidarité interprofessionnelle imposée indistinctement fait peser sur les kinés les conséquences de dérives budgétaires auxquelles ils ne contribuent pas. Ce traitement accentue le sentiment d’humiliation et de mépris, déjà nourri par un déficit chronique de reconnaissance institutionnelle. »
(Tribune publiée le 20 juin 2025 sur Concours Pluripro)

Quand la régulation budgétaire sert d’alibi politique

Officiellement, le gel n’est la faute de personne : ce n’est ni la CNAM, ni le ministère, ni le gouvernement. C’est la loi, voyons.

« Cette suspension est automatique et ne relève pas d’une proposition ou d’une décision de l’Assurance maladie. »

« L’engagement de la procédure d’alerte prévue par les textes par le Comité d’alerte le 18 juin dernier conduit automatiquement, en application de l’article L.162-14-1-1 du code de la Sécurité sociale, à la suspension de toutes les mesures de revalorisation qui devaient intervenir postérieurement au déclenchement de la procédure d’alerte. »
(Cnam, communiqués du 20 juin 2025)

La ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, s’est exprimée au Sénat :

« La question, c’est que le temps imparti pour répondre à ce comité d’alerte est un temps qui ne permet pas de réforme structurelle. »
(Déclaration du 25 juillet 2025, citée par Le Figaro)

Mais derrière cet automatisme juridico-budgétaire, on aurait presque oublié qu’un gouvernement peut… gouverner. Anticiper l’alerte ONDAM pourtant annoncée, avancer les revalorisations les plus urgentes, exclure certains actes à fort enjeu de santé publique, ou, soyons fous, proposer une compensation : autant d’options restées soigneusement au placard. À la place, on brandit l’article L.162-14-1-1 comme un totem d’irresponsabilité. Le gel devient une fatalité technique, presque naturelle. L’avantage d’un mécanisme « automatique », c’est qu’il permet de ne pas avoir à trancher, ni à rendre de comptes. Ce n’est pas une décision, c’est la loi — et chacun retourne à son agenda, pendant que les soignants encaissent.

 

Des impacts économiques, moraux et systémiques

De nombreux professionnels de santé ont exprimé un sentiment de trahison et de mépris. Le SML parle d’un manque total de concertation, Avenir Spé affirme que les libéraux sont les « dindons de la farce » (Le Figaro), et le SDBIO insiste sur la détérioration du lien de confiance entre libéraux et Assurance maladie (Concours Pluripro).

Avenir Spé considère que « ce genre de décision détruit la confiance des soignants libéraux envers la Caisse d’Assurance maladie et notre système de santé » (Medscape France), tandis que le collectif #SoignantsTrahis déclare : « Les soignants libéraux ne paieront pas les dérives budgétaires de l’hôpital, ni les erreurs de gestion budgétaires des gouvernements successifs ». Pour la FFMKR, la profession est victime d’un « pilotage budgétaire défaillant » (L'Indépendant).

Pour les cabinets libéraux, le gel est une source de fragilité : inflation continue, charges croissantes, actes peu revalorisés depuis 2004. Le désintérêt pour la médecine libérale s’accentue. Dans certaines spécialités comme la pédiatrie ou la gynécologie, la désertification pourrait s’aggraver.

Pour les patients, les conséquences sont indirectes mais réelles : difficultés d’accès aux soins, spécialités en tension, recours à des praticiens non conventionnés. Le système de soins de proximité est menacé.

Une mobilisation unie, reflet d’un tournant interprofessionnel

Un front commun inédit des professions libérales

Le 1er juillet 2025, plus de 5 000 professionnels de santé libéraux se sont rassemblés place des Invalides à Paris sous la bannière #SoignantsTrahis pour protester contre le gel des revalorisations tarifaires prévues pour juillet 2025, reportées au 1er janvier 2026 en raison d’un dépassement de l’ONDAM de 1,3 milliard d’euros. Organisée par quatorze syndicats, dont la CSMF, la FFMKR, la FSPF, et MG France, cette manifestation a fédéré médecins, kinésithérapeutes, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, sages-femmes, ambulanciers, audioprothésistes, et orthoptistes, rejoints par des infirmiers en solidarité. Malgré une canicule dépassant 40°C, un « village » interprofessionnel a été installé pour sensibiliser élus et passants, suivi d’une marche vers le ministère de la Santé.

Les affiches portaient des messages percutants comme « Non au blocage des tarifs » et « #SoignantsTrahis », dénonçant un « mépris institutionnel » et exigeant l’annulation du gel, la refonte du mécanisme automatique de régulation (article L.162-14-1-1), et le respect des engagements de la convention médicale 2024-2029. Une réunion avec le ministère le même jour n’a abouti à aucun progrès, amplifiant la colère des soignants.

Gel tarifaire : la médecine libérale prise au piège d’une régulation aveugle

Gel tarifaire : la médecine libérale prise au piège d’une régulation aveugle

 

Gel tarifaire : la médecine libérale prise au piège d’une régulation aveugle

Une mobilisation régionale est annoncée pour le 10 juillet 2025 à Perpignan, sous le nom de « Festival des cannes », où les kinésithérapeutes (FFMKR, SNMKR, Alizé) et d’autres professions (médecins généralistes, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, orthoptistes, ambulanciers, audioprothésistes) prévoient de défiler dès 8h30 de la préfecture à la CPAM des Pyrénées-Orientales, en déposant symboliquement du matériel médical usagé (cannes, déambulateurs, blouses). Cette action, relayée par L’Indépendant, vise à protester contre le « sous-financement chronique » et le « désengagement de l’Assurance maladie », comme l’a déclaré Nicolas Lopez, président de la FFMKR.

Des revendications collectives autour de valeurs partagées

Cette unité repose sur plusieurs piliers : la défense de laccès aux soins de proximité, la pérennité du système conventionnel, et la revendication d’une gouvernance partagée en matière de régulation budgétaire. Pour le SDBIO, « toutes les professions libérales sont concernées » par ces mécanismes financiers, et doivent être parties prenantes des décisions de santé publique.

1. Réforme du mécanisme de régulation
Le SDBIO estime que la régulation automatique est « inadaptée à la réalité des pratiques ». Le FFMKR parle d’un « pilotage budgétaire défaillant ». Le collectif #SoignantsTrahis dénonce un gel « arbitraire » et « destructeur » pour le système conventionnel (Medscape France). Le syndicat Alizé fustige un mécanisme « incompréhensible et injuste » (La Nouvelle République).

2. Dialogue avec les institutions
Les syndicats demandent une rencontre urgente avec le gouvernement. Avenir Spé insiste sur la nécessité de restaurer la confiance. Mais depuis le 1er juillet, aucune annonce de compensation ou de révision du dispositif n’a été faite. La CNAM rappelle que cette décision « ne relève pas de sa volonté » et qu’elle est imposée par le cadre légal (Concours Pluripro). La ministre Catherine Vautrin déclare que le délai imposé ne permet pas de mise en œuvre de réformes structurelles (Le Figaro).

3. Attractivité de la médecine libérale
Les syndicats de kinés (Alizé, FFMKR) estiment que ce gel compromet les efforts de revalorisation durement négociés. Selon eux, les jeunes praticiens sont découragés. Le syndicat Alizé rejette l’idée d’être une « variable d’ajustement budgétaire » (La Nouvelle République). Pour Jeunes Médecins, la CNAM « raye d’un trait des mois de négociations conventionnelles et d’efforts des médecins libéraux ».

Une fracture révélatrice d’un malaise plus profond

Le gel des revalorisations tarifaires n’est pas qu’un ajustement budgétaire : il symbolise une rupture du pacte de confiance entre l’État et les professionnels de santé libéraux. En suspendant des hausses longuement négociées, au nom d’une régulation automatique, les autorités ont nié les efforts fournis sur le terrain et fragilisé encore davantage des métiers déjà sous tension.

Face à une inflation persistante, à des charges croissantes, et à une désertification médicale inquiétante, les attentes des soignants sont légitimes. Ils ne demandent pas des privilèges, mais la reconnaissance concrète de leur rôle central dans l’accès aux soins. Leur unité récente, bien que rare, n’est pas un réflexe corporatiste mais un cri d’alerte collectif.

Si le gouvernement persiste à appliquer des mesures strictement comptables sans concertation avec les acteurs de terrain, c’est tout l’équilibre du système conventionnel qui risque de s’effondrer. Redonner aux professionnels de santé les moyens d’agir et la considération qu’ils méritent est une nécessité — non seulement pour eux, mais pour tous les citoyens.

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