Programmer la santé : une révolution portée par la FHF
Depuis la crise de la Covid-19, les failles du système de santé français sont sous les projecteurs. Difficultés d’accès aux soins, tensions hospitalières, pénurie de professionnels : les alertes s’accumulent.Selon le baromètre FHF/IPSOS de mars 2025, 68 % des Français ont renoncé à au moins un acte de soin ces cinq dernières années, contre 63 % en 2024, signe d’une dégradation préoccupante.
Face à ce constat, la Fédération Hospitalière de France (FHF) propose une loi de programmation pluriannuelle en santé, dévoilée lors de SantExpo 2025 par son président Arnaud Robinet. Remis aux ministres Catherine Vautrin et Yannick Neuder, ce projet ambitionne de poser les bases d’un système performant, équitable et durable, en plaçant les professionnels au cœur de la réforme.
Dépasser la logique annuelle : les limites du modèle actuel
Le système actuel, centré sur l’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM) et les lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS), est prisonnier d’une vision court-termiste.
Cette approche comptable, représentant 12 % du PIB (266 milliards d’euros en 2025 contre 53,1 milliards pour la Défense), entrave la planification à moyen et long terme. La Stratégie Nationale de Santé (SNS), bien qu’instituée en 2016, reste déclarative, sans moyens concrets ni portée contraignante.
Comme l’a souligné Arnaud Robinet à SantExpo 2025, « la programmation est une nécessité politique et une évidence » pour rompre avec « l’incertitude permanente » et engager une politique de santé pragmatique et durable.
Cinq axes pour transformer le système de santé
La proposition de la FHF, structurée en 53 articles autour de cinq titres, vise à répondre aux besoins de santé avant de définir les moyens, dans une logique d’efficacité et de soutenabilité. Voici les axes majeurs, avec un focus sur les professionnels de santé.
1. une programmation financière pluriannuelle
Pour sortir de la gestion annuelle, la FHF propose une trajectoire budgétaire sur cinq ans, avec un taux plancher d’augmentation de l’ONDAM de 2,5 % par an (article 1).
Ce cadre stable permettra aux professionnels de planifier leurs investissements et d’anticiper les besoins, comme le recrutement de soignants ou la modernisation des équipements.
Un nouveau produit d’épargne, le « livret H » (article 5), fléchera l’épargne des Français vers le financement hospitalier, à l’image du Livret A.
2. prévention et santé publique
Le virage préventif est au cœur de la réforme, avec des objectifs mesurables : augmenter l’espérance de vie en bonne santé, réduire les inégalités territoriales, ou encore améliorer les taux de vaccination (HPV, grippe) et de dépistage (article 13).
Les soignants deviendront des « ambassadeurs de la prévention » grâce à :
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un « bonus prévention » (article 21) exonérant les patients du ticket modérateur pour des actes comme les dépistages, allégeant la charge curative des professionnels ;
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une taxe « pollueur-payeur » sur les produits néfastes (tabac, aliments ultra-transformés, article 7), dont les recettes financeront des actions préventives ;
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des contrats territoriaux d’engagement santé (article 20), impliquant les soignants dans des objectifs concrets, comme réduire la prévalence du diabète.
Exemple concret : un médecin généraliste pourrait bénéficier d’incitations financières pour promouvoir le dépistage du cancer colorectal, réduisant les hospitalisations tardives et libérant du temps médical.
3. recherche, innovation et investissement
La recherche et l’innovation bénéficieront d’un financement sanctuarisé (articles 22-23). Des guichets uniques territoriaux (article 27) simplifieront l’accès des soignants aux solutions innovantes, comme les outils d’intelligence artificielle pour le dépistage des fragilités (article 11).
Les professionnels pourront ainsi intégrer des technologies de pointe, renforçant la qualité des soins.
4. ressources humaines et accès aux soins
Le titre IV place les professionnels au centre de la transformation, avec des mesures pour anticiper les besoins croissants et valoriser les métiers :
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planification des formations : l’article 29 aligne les objectifs de formation sur les besoins démographiques et technologiques, tandis que l’article 30 crée une cartographie des métiers en tension (ex. : anesthésistes, psychiatres) ;
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attractivité : une campagne nationale valorisera les métiers du soin, et un plan quinquennal attirera des enseignants pour les formations médicales (article 33). La validation des acquis de l’expérience (VAE) sera simplifiée ;
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nouvelles compétences : l’article 31 instaure une convention nationale, révisée tous les cinq ans, pour encadrer les délégations de tâches. Les infirmiers en pratique avancée (IPA) verront leur rôle élargi pour le suivi des maladies chroniques ;
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conditions d’exercice : l’article 33 impose une participation structurée à la permanence des soins pour les jeunes diplômés. L’article 34 promeut des stages dans les zones sous-dotées ;
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exercice mixte : l’article 38 encourage des parcours flexibles (salarié/libéral, public/privé), et une plateforme évaluera les stages paramédicaux (article 35).
Exemple concret : une infirmière en zone rurale pourrait devenir IPA, prendre en charge le suivi des patients diabétiques, et bénéficier d’un exercice mixte entre hôpital et cabinet libéral.
5. gouvernance territoriale et nationale
La gouvernance sera simplifiée et territorialisée (titre V) :
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la SNS, révisée tous les cinq ans, deviendra un outil opérationnel (article 46) ;
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les Conseils territoriaux de santé piloteront les politiques locales (article 49), impliquant les soignants dans les priorités ;
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une plateforme nationale recensera les besoins territoriaux (article 51), facilitant la coordination ville-hôpital.
Impacts pour les professionnels de santé libéraux
Les libéraux joueront un rôle clé, mais devront s’adapter :
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contractualisation territoriale : les contrats d’engagement territoriaux (article 20) lieront les revalorisations tarifaires à des objectifs de santé publique ;
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pertinence des soins : les CPAM pourront moduler les tarifs selon l’adéquation aux pratiques recommandées (article 8) ;
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prévention renforcée : les libéraux bénéficieront de financements pour des actes préventifs (article 19) ;
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coordination facilitée : les CPTS seront soutenues par des financements conditionnés ;
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risque administratif : la contractualisation et le reporting pourraient alourdir la charge administrative. La FHF propose des guichets uniques (article 27) pour simplifier les démarches.
Faire de la santé un pilier de souveraineté
Dans un contexte géopolitique tendu, la santé est érigée en enjeu stratégique, comparable à la Défense. Le communiqué de SantExpo 2025 insiste sur la nécessité de « rompre avec la résignation ambiante ». Cela passe par :
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un budget sanctuarisé, à l’image de la Défense ;
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une politique industrielle souveraine pour sécuriser l’accès aux médicaments ;
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un plan de cybersécurité pour protéger les hôpitaux ;
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une prise en compte des déterminants environnementaux, comme les PFAS.
Un consensus politique et sociétal
En septembre 2024, quatorze fédérations du secteur ont appelé à une loi de programmation. Le Premier ministre François Bayrou, le 14 janvier 2025, a soutenu ce virage pluriannuel, tandis qu’Arnaud Robinet a rappelé à SantExpo 2025 que « chaque euro dépensé en santé doit être un euro utile ».
La Cour des comptes estime qu’un an d’espérance de vie en bonne santé économiserait 1,5 milliard d’euros par an à l’Assurance maladie.
Ecouter le terrain : les réactions des professionnels libéraux
La proposition de la FHF, largement débattue depuis SantExpo 2025, suscite des réactions contrastées parmi les médecins libéraux.
Certains dénoncent une intrusion de la FHF dans la médecine de ville, critiquant la modulation tarifaire (article 8) et les justifications de prescriptions (article 11) comme une menace à leur autonomie. « On nous rajoute de l’administratif alors que l’État finance des assistants médicaux pour gagner du temps », déplore un généraliste.
D’autres pointent une fracture avec l’hôpital public, dont les effectifs ont crû de 15 % en 15 ans, contre une baisse équivalente pour les libéraux.
Cependant, des voix appellent à la responsabilité collective. Une généraliste évoque une patiente diabétique sans suivi, contrainte de se rendre aux urgences, illustrant les enjeux d’accès aux soins (article 33). Un autre médecin propose des gardes obligatoires et un accueil ponctuel des patients sans médecin traitant, en écho aux contrats territoriaux (article 20).
Face à ces préoccupations, la FHF promet des outils numériques (article 51) et une gouvernance inclusive via les Conseils territoriaux de santé (article 49), tout en invitant les libéraux à co-construire les critères de pertinence pour limiter la charge administrative.
Un appel aux professionnels pour façonner l’avenir
La loi de programmation de la FHF vise à « mieux dépenser pour mieux soigner », offrant un cadre stable pour que les professionnels se concentrent sur leur mission : prévenir, soigner, innover.
La réforme proposée concerne directement l’ensemble des professionnels de santé, dont les compétences, les conditions d’exercice et l’implication territoriale sont au cœur de sa mise en œuvre. Leur participation active au sein des Conseils territoriaux de santé et des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé constituera un levier essentiel pour assurer la réussite de cette transformation.
Comme l’a déclaré Arnaud Robinet, « programmer, c’est rompre avec l’incertitude pour bâtir une santé durable ». Le temps de l’action est venu.
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