Vaccins Covid : l’OMC entérine la levée des brevets pendant 5 ans dans un accord en trompe l’œil pour la Santé publique

Vaccins Covid : l’OMC entérine la levée des brevets pendant 5 ans dans un accord en trompe l’œil pour la Santé publique Le 17 juin dernier après 5 journées de négociation, l’OMC a arraché aux forceps un accord portant sur la levée temporaire des brevets liés à la fabrication des vaccins anti-covid. Concrètement pendant 5 ans les pays en développement pourront donc utiliser tous les éléments nécessaires à la fabrication des vaccins sans le consentement du détenteur du droit, dans la mesure nécessaire pour lutter contre la pandémie de COVID-19.

Une partie de cette production locale de vaccin pourra par ailleurs être utilisée à l’export vers d’autres pays éligibles à la levée des brevets.

Un accord a minima sans réelle portée sur la santé publique

L’accord entériné le 17 juin est en effet d’une portée bien plus restreinte que le projet présenté en octobre 2020 par l’Inde et l’Afrique du Sud qui proposait la levée de la propriété intellectuelle sur l’ensemble des dispositifs de lutte contre la pandémie incluant vaccins, tests et médicaments.

«Nous sommes déçus qu’une véritable renonciation à la propriété intellectuelle, proposée en octobre 2020, couvrant tous les outils médicaux contre le Covid-19 et incluant tous les pays, n’ait pu être convenue, même pendant une pandémie qui a coûté la vie à plus de 15 millions de personnes», regrette Christos Christou, président international de Médecins sans frontières pour le monde.fr.

Phillipe Lamoureux, directeur du LEEM, explique pour les Échos que cet accord sera probablement sans effet sur la santé publique en mettant en exergue que l’offre de vaccins dépasse aujourd’hui largement la demande mondiale. Si 13,9 milliards de doses de vaccins ont été produites dans le monde, seules un peu plus de 10 milliards ont été administrées. « L’accès aux vaccins n’est pas un problème de production insuffisante du fait de l’existence de brevets, mais un problème de distribution et de confiance des populations »

Le LEEM souligne par ailleurs dans un communiqué que « les conditions de prix pratiquées et le soutien sans faille des entreprises à l’initiative COVAX sont de nature à garantir l’accessibilité à tous les pays. Près de 2 milliards de doses ont ainsi été distribuées par COVAX dans 146 pays différents.

L’accord de l’OMC n’augmentera pas les niveaux de vaccination dans les pays à faibles revenus. Au contraire. La remise en cause de la protection intellectuelle par les brevets met en péril les approvisionnements mondiaux en entravant la production et les collaborations, en freinant la recherche et les investissements nécessaires pour faire face aux pandémies actuelles et futures. Tout en ouvrant une brèche au détournement de matières premières et fournitures depuis les chaînes de production bien établies, vers des sites de fabrication où la productivité et la qualité peuvent poser problème. »

L'avis de l'expert

Le texte adopté le 17 juin prévoit une dérogation provisoire aux accords ADPIC, qui régissent les échanges internationaux en matière de propriété industrielle pour les pays membres en développement. Concrètement, il est désormais possible, dans les pays concernés, « d’exploiter un brevet » pour lutter contre la covid-19 sans le consentement de son détenteur.

Il convient de noter que la décision de l’OMC porte uniquement sur les brevets sur les vaccins. À l’inverse, les brevets portant sur les traitements ou les diagnostics ne sont pas concernés à ce stade bien que l’OMC se réserve la possibilité d’étendre la portée à ces brevets.

Néanmoins, il convient de préciser qu’il existe de nombreux types de brevets sur les vaccins : ils peuvent porter sur la composition du vaccin, sur le produit lui-même, ou encore sur un procédé ou des procédés utilisés dans la fabrication du produit ou son mode d’administration.

À ce jour, l’Organisation Mondiale de la Santé décompte ainsi plus de 360 candidats vaccins de la covid 19 et chacun peut faire l’objet de plusieurs brevets selon le produit utilisé, sa composition et/ou les procédés mis en œuvre pour l’obtenir.

Ce sont ces brevets qui pourront être exploités, sans autorisation du titulaire, dans les pays en développement membres de l’OMC qui le décideront.

Concrètement, cela signifie qu’un laboratoire pharmaceutique d’un pays en développement qui souhaiterait fabriquer un vaccin contre la covid-19 a le droit de le faire, sans risquer de se faire poursuivre par le titulaire du brevet. Ceci à condition que l’État en ait décidé ainsi par un mécanisme juridique national, quel qu’il soit. Le laboratoire du pays en développement n’aura donc pas besoin de prouver qu’il a fait la demande de licence au laboratoire qui détient le brevet : il pourra simplement commencer à produire et commercialiser, et même exporter, le vaccin dans un autre pays du sud.

Le détenteur du brevet sera indemnisé. C’est ce qu’on appelle le mécanisme de licence obligatoire. Mais le montant de cette rémunération fixé par l’État concerné sera sans doute symbolique, puisqu’il est fait mention d’un objectif humanitaire et non lucratif des programmes visant à donner un accès équitable aux vaccins à des prix abordables.

Par ailleurs, plusieurs questions subsistent quant à la capacité des pays admissibles membres de l’OMC, qui auraient besoin d’activer ce mécanisme pour commencer à avoir une production sur leur sol, car beaucoup n’ont pas — à quelques exceptions près — de capacité de production existante non mobilisée. Se posent également les questions de disponibilité de matière première et du transfert de compétence : comment obliger les détenteurs des brevets à transmettre « ce qui n’est pas écrit dans le brevet » c’est-à-dire le savoir-faire, qui garantit la qualité du produit ?

Il est donc aisé de voir en quoi cette décision interpelle. D’autant plus qu’elle aura certainement des effets négatifs sur le financement de l’innovation. Le système des brevets reposant sur le principe que l’inventeur aura une rémunération à terme grâce aux licences et aux revenus générés par son invention, et donc que l’industriel aura un retour sur son investissement dans la R&D grâce au titre de propriété que constitue le brevet, les actionnaires des entreprises innovantes seront certainement plus frileux pour financer la recherche dans le futur si les entreprises peuvent se voir imposer une licence obligatoire sur leurs brevets.

Cyra NARGOLWALLA
Associée du cabinet Plasseraud IP
Conseil en Propriété Industrielle
Mandataire agréée près l’Office Européen des Brevets

Crédit photo : DepositPhotos

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