Pourquoi des microorganismes transgéniques dans les aliments

La commercialisation des premières plantes transgéniques s’accompagne d’un vaste débat d’idées et de passions.

Le risque éventuel pour la santé publique, et notamment le développement d’allergies, que pourrait faire courir la consommation d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ou des produits qui en sont dérivés est souvent mis en avant. En fait, ce risque n’est pas propre aux OGM : dès lors qu’une protéine est ingérée, un risque allergique peut être suspecté. Peut-on le prévoir ou l’estimer ? La question revêt plusieurs aspects.

Si le transgène code pour un allergène connu, il est tout à fait probable que la plante transgénique va exprimer la protéine exogène avec son potentiel allergénique.
C’est ce qui s’est passé lorsque la Société américaine Pioneer Hi Bred Int. a voulu intégrer dans le soja l’albumine 2S de la noix du Brésil. C’est une protéine de réserve riche en méthionine et cystéine dont l’introduction dans le soja visait à rééquilibrer la composition protéique de la graine (naturellement pauvre en acides aminés soufrés) et donc à augmenter la valeur biologique du soja pour l’alimentation animale. Malheureusement, l’albumine 2S est un allergène reconnu par les patients sensibles à la noix du Brésil, et ces mêmes patients reconnaissent tout autant cette protéine lorsqu’elle est exprimée par le soja transgénique. Il en de même pour la ß-lactoglobuline, un allergène majeur du lait de vache.
Nous avons produit de la ß-lactoglobuline recombinante dans une bactérie et montré qu’elle possédait les mêmes propriétés allergéniques que la protéine native.

Inversement, la transgénèse peut être conçue comme un moyen de diminuer l’allergénicité d’un aliment. Des chercheurs japonais ont fabriqué un riz transgénique en insérant un ADN, anti-sens de l’ADN codant pour une globuline considérée comme l’allergène majeur. Ce riz contient effectivement moins de cette globuline que le riz naturel, mais cette protéine reste toujours présente en quantité non négligeable, et d’autres allergènes "mineurs" n’ont pas été éliminés ; il n’est donc pas établi que ce riz " hypo-allergénique " soit toléré par des individus sensibles.

L’évaluation de l’éventuelle allergénicité de la molécule d’intérêt, exprimée par le transgène est difficile du fait de l’insuffisance des données historiques, cliniques et épidémiologiques. Il faut donc se tourner vers des méthodes indirectes d’évaluation ou de prédiction de l’allergénicité. L’expérimentation animale ne permet pas de fournir, pour l’instant, de modèles pertinents extrapolables à l’homme. Dans le cas de l’étude de l’allergénicité de la noix du Brésil, les essais sur souris avaient même conduit à considérer la " fameuse " albumine 2S comme un allergène mineur, voire à un tolérogène !

Par ailleurs, il n’existe pas de lien étroit entre la fonction d’une protéine et son caractère allergène éventuel. Ce risque est alors estimé par un faisceau de présomptions :

1. le transgène ne doit pas provenir d’un organisme reconnu pour son allergénicité ;

2. certaines propriétés physico-chimiques sont considérées comme des éléments défavorables, par exemple la stabilité à la température, aux pH acides, aux traitements technologiques, ou encore la résistance aux attaques par les enzymes digestives. Par opposition, une protéine recombinante labile sera présumée présenter un risque allergénique faible ou nul. Ces critères n’ont cependant pas de valeur absolue : ainsi, la caséine, protéine dégradée lors de la digestion, se révèle être un allergène aussi puissant que la ß-lactoglobuline, protéine résistante aux protéases.

Une approche complémentaire se fonde sur l’analyse des homologies de séquences pouvant exister entre la protéine étrangère exprimée et des allergènes dont la structure est connue et répertoriée dans des banques de données accessibles sur Internet.

Des programmes de comparaison de séquences permettent d’identifier des fragments analogues, plus ou moins longs. L’existence de fragments comportant une succession de 8 (ou plus) résidus d’acides aminés identiques ou chimiquement similaires est considérée comme une présomption d’allergénicité. Cette approche permet d’éliminer rapidement des constructions à risque. Par contre, l’absence de séquences communes ou voi-sines d’une telle longueur ne constitue pas une garantie formelle d’innocuité en raison :

1. de la pauvreté des informations disponibles dans les banques de données où trop peu d’allergènes sont répertoriés ;

2. du fait que des petites séquences homologues de moins de 8 acides aminés peuvent se rapprocher lors du repliement de la molécule et participer à la formation de structures immuno-réactives.

De plus, l’allergénicité d’un aliment est rarement, pour ne pas dire jamais, due à un constituant unique, mais, au contraire, à un grand nombre de protéines, généralement des glycoprotéines.

Cette constatation de l’origine multigénique des allergènes alimentaires soulève dans le cas des OGM une question supplémentaire : le transgène inséré peut-il, en particulier, modifier le niveau d’expression de certaines protéines allergéniques présentes dans les lignées naturelles ? Chez le soja, des chercheurs américains ont montré que l’introduction du gène codant la protéine qui confère la résistance à un herbicide, le glyphosate, ne semble pas avoir entraîné de modifications tant qualitative que quantitative, visibles dans la composition en allergènes " naturels " de différentes variétés commerciales, mais la technique utilisée était relativement peu discriminante.

Rien ne permet donc de considérer les OGM comme étant plus ou moins allergéniques que les organismes naturels correspondants, et à ce jour, on ne peut pas évaluer de manière fiable et objective leur allergénicité.

Ne sachant pas répondre à la question : " qu’est-ce qui fait d’une glycoprotéine a priori banale, un allergène puissant ", il convient d’étudier de manière plus approfondie l’impact des technologies modernes sur l’apparition de nouvelles structures allergènes.

Jean-Michel WAL, Laboratoire d’Immuno-Allergie Alimentaire

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