Le gel des tarifs asphyxie les cliniques privées

Le gel des tarifs asphyxie les cliniques privées Faillites en chaîne, déficits record et fermetures de services : le modèle économique des cliniques privées françaises vacille. En toile de fond, une politique tarifaire publique jugée insuffisante pour compenser les effets de l’inflation et les contraintes structurelles.

15 cliniques privées menacées de faillite

L’annonce du redressement judiciaire de l’Institut mutualiste Montsouris (IMM), établissement parisien reconnu pour ses soins en cancérologie, n'était que le sommet de l’iceberg d’une crise bien plus large, jusqu’ici contenue dans l’ombre.

Derrière ce cas emblématique, c’est tout un pan du système de santé privé qui s’effondre. D’après les déclarations de Sébastien Proto, président exécutif du groupe Elsan, au Figaro, « une quinzaine d’établissements privés sont sous le coup d’une procédure, en redressement judiciaire ou en liquidation ». Il souligne que même les groupes organisés peinent à absorber le choc tarifaire : « tous les acteurs souffrent ».

En 2023, la FHP estimait que 40 % des cliniques étaient déficitaires, un chiffre qui pourrait grimper à 60 % en 2024 si aucune mesure n’est prise. Ce constat alarmant est relayé par une étude du cabinet Roland Berger pour la FHP .

La politique tarifaire au cœur des critiques

Les cliniques privées pointent directement l’État. Dans les colonnes du Figaro, Lamine Gharbi, président de la FHP, dénonce des tarifs « qui ne sont pas à la hauteur des difficultés des établissements ». En 2023, le différentiel était flagrant : 0,3 % d’augmentation pour le privé contre 4,3 % pour l’hôpital public.

Pour 2024, les deux secteurs devraient être alignés... sur une hausse très modeste de 0,5 %. Sébastien Proto souligne l’absurdité de cette approche : « Cette année encore, l’inflation ne sera pas financée à due concurrence par l’Assurance maladie. Nous sommes dans une situation paradoxale où la couverture de l’inflation est plus forte pour les sociétés d’autoroute que pour les cliniques privées »

La dépendance des cliniques vis-à-vis des décisions de l’Assurance maladie est quasi absolue : la très grande majorité de leurs recettes provient du nombre d’actes médicaux réalisés, multiplié par un tarif déterminé unilatéralement par les pouvoirs publics. Ce modèle économique laisse peu de place à l’initiative et rend les établissements particulièrement vulnérables aux politiques tarifaires restrictives.

Des ruptures visibles dans les territoires

Les conséquences sont tangibles : plans de licenciements, fermetures de services, voire d’établissements entiers. À Albi, la clinique Claude Bernard (groupe Elsan) restructure ses services et réduit ses effectifs, provoquant la colère du personnel. À Hyères, la clinique Sainte-Marguerite a été placée en redressement judiciaire après un incendie, une gestion jugée opaque par les syndicats, et le non-versement des salaires de février 2025. Une offre de reprise partielle par le groupe Almaviva a été validée le 8 mai, mais des dizaines de salariés restent sans solution

À Châtellerault, la clinique Kapa, en redressement judiciaire depuis janvier 2025, cumule pertes récurrentes, perte de certification HAS et retrait de son principal actionnaire. La mobilisation des autorités locales et de l’ARS n’a pas suffi à redresser la trajectoire, laissant planer la menace d’une fermeture dans un bassin de santé déjà fragilisé.

Un modèle à bout de souffle

Le manque d’investissements dans les cliniques privées constitue une menace croissante pour leur fonctionnement à moyen terme. Privés de marges financières suffisantes, plusieurs groupes réduisent leurs capacités et adaptent leur stratégie en fermant certains services jugés non rentables. Ainsi, Vivalto Santé envisage la fermeture d’une maternité à Saint-Martin-Boulogne, après celle déjà intervenue à Saint-Germain-en-Laye. De son côté, le groupe Ramsay a mis fin aux activités chirurgicales de la clinique Blomet à Paris.

La réduction de l’activité ne se limite pas aux fermetures : certains établissements revoient leur organisation hebdomadaire pour contenir les coûts. Des blocs opératoires pourraient ainsi ne plus fonctionner que quatre jours par semaine, tandis que la fermeture de certains services durant le week-end est sérieusement envisagée dans des cliniques moins fréquentées. Ces ajustements traduisent une pression économique permanente qui pèse désormais sur la qualité et la continuité des soins.

Quel avenir pour les cliniques ?

Dans un contexte de vieillissement accéléré de la population, la pérennité des cliniques privées devient un enjeu majeur d’aménagement sanitaire du territoire. Ces établissements assurent une part significative de l’activité chirurgicale et constituent, dans de nombreuses zones sous-dotées, la seule offre de soins accessible rapidement. Pourtant, leur avenir demeure incertain, faute de garanties financières et d’une vision stratégique claire.

La demande d’un financement pluriannuel revient avec insistance parmi les professionnels du secteur. Un tel dispositif leur permettrait de planifier les investissements indispensables à la modernisation des plateaux techniques et à l’adaptation de l’offre aux besoins croissants liés au grand âge. Or, les politiques publiques tardent à inscrire ce soutien dans une perspective cohérente, préférant des ajustements à court terme dont les effets se révèlent limités.

Cette inertie a contribué à précariser durablement l’un des piliers de l’offre de soins en France. Sans un changement de cap significatif, la crise qui secoue aujourd’hui les cliniques privées pourrait rapidement s’étendre au système de santé dans son ensemble, en compromettant l’accès équitable aux soins pour des milliers de patients sur tout le territoire.

Chiffres clés du secteur

  • 45 % des cliniques privées françaises étaient déficitaires en 2023

  • 0,3 % de revalorisation des tarifs en 2023 pour le privé (contre 4,3 % pour le public)

  • 92 % des revenus des cliniques dépendent des tarifs fixés par l’Assurance maladie

  • Environ 15 cliniques sous procédure de redressement ou liquidation judiciaire (estimation Elsan)

  • Risque de déficit pour 60 % des établissements en 2024 si aucune mesure n'est prise (projection FHP)

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