Les aliments génétiquement modifiés sur la sellette dans Nature

L’autorisation d’introduire aux Etats-Unis et en Europe des aliments génétiquement modifiés devrait reposer sur des tests biologiques, toxicologiques et immunologiques et non sur des critères uniquement chimiques, estiment dans la dernière livraison de Nature des chercheurs britanniques dans un éditorial très critique vis-à-vis des instances officielles qui ont en charge le dossier des OGM.

Jusqu’à présent, rappellent-ils, les autorités gouvernementales et les comités conjoints de Food and Agriculture Organization (FAO) et de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) se basent sur le “principe d’équivalence substantielle” entre un aliment génétiquement modifié et son homologue naturel pour décider qu’un produit alimentaire issu des biotechnologies ne pose pas de risques sanitaires et peut donc être commercialisé. Autrement dit, tant que la composition chimique d’un aliment génétiquement modifié ne s’écarte pas trop de celle du produit naturel, il n’est pas nécessaire de réaliser des tests toxicologiques.

Ce concept d’équivalence substantielle a été introduit pour la première fois en 1993 par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et a été repris en 1996 par la FAO et l’OMS. “Il n’a jamais été clairement défini” et agit comme une “entrave à la conduite de nouvelles recherches sur les possibles risques liés à la consommation d’aliments génétiquement modifiés”, écrivent Erik Millstone de l’Université du Sussex à Brighton, Eric Brunner de l’University College de London et Sue Mayer de l’organisation britannique GeneWatch.

Ces chercheurs soulignent que ce concept est apparu lorsque les sociétés de biotechnologies qui avaient développé plusieurs aliments transgéniques ont voulu rassurer les consommateurs en cherchant à avoir l’aval des autorités sanitaires qui n’avaient pas pour mission de s’occuper de ces questions.

Une solution aurait été que ces dernières considèrent sur le plan réglementaire les aliments transgéniques au même titre que de nouveaux médicaments ou produits chimiques, indiquent-ils. Mais cela aurait eu pour effet de contraindre les industriels à mener de très coûteux tests toxicologiques et donc de différer la mise sur le marché sur leurs produits. Les chercheurs estiment le surcoût de ces analyses à environ 25 millions de dollars par produit et le retard à la commercialisation à au moins 5 ans.

Mettre sur le même pied aliments génétiquement modifiés et médicaments aurait surtout marginaliser les aliments génétiquement modifiés au sein de la filière alimentaire. En effet, expliquent les chercheurs, qui dit tests toxicologiques dit apport journalier acceptable.

Cette norme correspond, par définition, au centième de la dose maximale tolérée par des animaux de laboratoire. Ainsi, dans le meilleur des cas, l’apport journalier en ces nouveaux aliments n’aurait pu dépasser 1% du régime quotidien alimentaire d’un être humain. Inacceptable pour les industriels qui ambitionnent de vendre des aliments (céréales, légumes, fruits) pouvant représenter jusqu’à 10% de la nourriture de base, font-ils remarquer.

Selon eux, “on ignore la relation entre les composants génétiques, la composition chimique et le risque toxicologique. C’est donc prendre ses désirs pour la réalité que de se baser sur le concept d’équivalence substantielle”.

Les chercheurs citent le cas du soja génétiquement modifié pour devenir résistant à un composant commun à de nombreux herbicides, le glyphosate. Cette céréale transgénique est considérée comme substantiellement équivalente au soja non génétiquement modifié sur la base de teneurs comparables entre les deux produits en protéines, glucides, vitamines, minéraux, acides gras, fibres, isoflavonoïdes et lécithine.

“Ce jugement n’est pas crédible”, déclarent-ils. “On sait en effet depuis plus de dix ans que l’application de glycophosate sur des graines de soja change significativement leur composition chimique, notamment leur teneur en composés phénoliques comme les isoflavonoïdes”. Or, ajoutent-ils, les tests biochimiques sur le soja génétiquement modifié ont été conduits sans que l’on ait appliqué l’herbicide utilisé pour détruire les parasites et ce alors même que les cultures de soja transgénique seront toujours exposées à ce produit chimique.

“L’équivalence substantielle est un concept pseudo-scientifique car commercial et le jugement politique tend à le faire passer pour scientifique. Il est surtout intrinsèquement anti-scientifique dans la mesure où il a été principalement créé pour servir d’excuse pour ne pas réclamer d’examens biochimiques et toxicologiques”, concluent les trois chercheurs britanniques qui pressent les “pouvoirs publics d’abandonner ce concept s’ils entendent correctement protéger les consommateurs et véritablement les rassurer”.

Source : Nature, vol.401, N°6753, p. 525-26, 7 octobre 1999.

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