Un test simple pour déterminer si un patient est conscient ou non

Est-il possible de déterminer si un individu est conscient en observant l'activité de son cerveau ? Cette épineuse question scientifique est également cruciale pour les cliniciens qui prennent en charge des malades non communicants en réanimation ou des patients qui émergent d'états inconscients tels que le coma ou l'état végétatif. Une équipe française de l'Inserm et du Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière (Assistance Publique - Hôpitaux de Paris) dirigée par le Dr Lionel Naccache, associant le Dr Tristan Bekinschtein, neuroscientifique post-doctorant argentin, et le Pr Stanislas Dehaene, directeur de l'unité Inserm/CEA "Neuroimagerie cognitive" à Neurospin vient de mettre au point un test combinant les principes de la psychologie de la perception auditive avec l'enregistrement de l'activité cérébrale. Il permet de détecter l'existence d'une vie mentale consciente sans reposer sur les signes souvent limités de l'examen clinique.

Ces travaux, publiés dans la prochaine édition avancée en ligne des PNAS, s'inscrivent dans un récent mouvement de recherches neuroscientifiques appliquées aux malades comateux, végétatifs et non-communicants qui tendent à modifier notre regard sur ces malades et à rechercher de nouveaux modes de communication innovants. Est-il possible de déterminer si un individu est conscient en observant l'activité de son cerveau ? Répondre à cette question représente une gageure pour la prise en charge de nombreux malades en incapacité de communiquer. Chez ces derniers, il est en effet extrêmement difficile, voire impossible, de déterminer un état conscient sur la base d'un examen neurologique traditionnel. En l'absence de ces informations, le diagnostic, et nécessairement le pronostic, sont parfois délicats. L'équipe de Lionel Naccache a, dans un premier temps, mis au point un test basé sur l'étude de la réponse cérébrale à un stimulus auditif particulier, enregistrée au moyen d'un casque munis d'électrodes. Dans ce premier test, une activité électrique cérébrale spécifique est observée en réponse à l'émission d'un son différent après une série de sons identiques : (AAAAB par exemple, après une série de AAAAA). C'est ce que les chercheurs appellent une "violation de la régularité temporelle locale". Il est connu depuis les années 70 que notre cerveau génère dans cette situation des signaux électriques spécifiques, certains non conscients (Mismatch Negativity ou MMN) et d'autres correspondant à la prise de conscience d'une nouveauté (potentiel évoqué tardif ou composantes tardives de la réponse P300). Il est cependant très difficile d'isoler précisément ce qui relève de la prise de conscience. En France, quelques rares services de neurophysiologie clinique utilisent déjà quotidiennement chez des patients en réanimation ou en soins intensifs diverses versions de cette technique depuis la fin des années 90. Elle leur permet d'identifier ceux d'entre eux qui sont encore sensibles à l'environnement lorsque les cliniciens ont des doutes sur le niveau de fonctionnement cérébral et le pronostic. C'est le cas de l'équipe du Dr Catherine Fischer à l'hôpital neurologique des Hospices Civils de Lyon, et de celle de Lionel Naccache au sein du Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière à Paris. Ainsi, un malade comateux qui présente une réponse de type MMN a un pronostic de réveil du coma de l'ordre de 80% dans les jours ou semaines qui suivent. Mais ce type de test ne permet pas de distinguer avec précision ce qui relève d'un traitement conscient ou inconscient. Comment distinguer alors un malade inconscient d'un malade conscient mais en incapacité de se mouvoir et de parler ?  Les chercheurs ont alors mis au point un second test plus complexe, reprenant le principe de l'irrégularité locale en y ajoutant une irrégularité globale. Il s'agit d'une série de sons dont la compréhension de la règle par le sujet nécessite d'intégrer une information auditive sur plusieurs dizaines d'essais successifs, et donc un état de conscience. (AAAAB, AAAAB, AAAAB, AAAAA...). Ici la règle est : "AAAAB" est la normalité et "AAAAA" la violation de la règle. Pour que le sujet détecte que "AAAAA" correspond à une violation de la règle, il faut nécessairement qu'il soit conscient. Les auteurs ont alors pu isoler la signature électrique de cette  réponse cérébrale à l'irrégularité globale. Après avoir vérifié chez des sujets sains que la présence de cette réponse du cerveau était un marqueur très spécifique de l'état conscient, les chercheurs ont analysé par IRM fonctionnelle les réseaux cérébraux activés. Les résultats ont confirmé que la réponse cérébrale émise lors de ce second test activait spécifiquement les lobes frontaux et pariétaux du cerveau, zones connues pour être associées à un travail conscient. Enfin, les chercheurs ont validé ce test auprès de 8 malades. Quatre dans un état végétatif, c'est-à-dire présentant des cycles veille-sommeil mais aucune activité volontaire et intentionnelle lors des phases d'éveil, et quatre dans un état de "conscience minimale", état fluctuant de conscience souvent délicat à caractériser. Aucun des malades végétatifs n'a montré d'effet global, en accord avec leur évaluation clinique. Par contre, 3 des 4 patients en état de conscience minimale ont présenté un effet global, ce qui confirme là aussi le diagnostic clinique. Considérés dans leur ensemble, ces résultats montrent que ce test pourrait être utile chez les nombreux malades dont l'état de conscience est difficile à établir sur les seules bases de l'examen clinique. Ces travaux innovants permettent de proposer une méthode assez simple d'usage et relativement peu coûteuse pour détecter l'existence d'un état conscient chez des individus non communicants ou dans les nombreuses situations difficiles à trancher sur la base des seules données cliniques. Les auteurs soulignent toutefois que ce test n'a de valeur prédictive que positif : la présence d'un effet global indique avec certitude un état conscient alors que son absence ne permet pas de tirer des conclusions négatives (le patient peut dormir durant le test ou présenter des troubles de la mémoire). Néanmoins, cet outil devrait permettre d'améliorer la prise en charge difficile de ces malades et notamment d'identifier au plus tôt leur retour à la conscience afin d'engager une communication avec eux.    Ces travaux ont bénéficié du soutien financier de l'Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM) qui ouvrira prochainement ses portes à de nombreuses équipes de neurosciences françaises et internationales afin d'améliorer la compréhension et la prise en charge des maladies neurologiques.

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