Les troubles de la mémoire des patients alcooliques sous-estimés

Boire pour oublier ? Avec pour risque la survenue de réels troubles de la mémoire. Si on estimait jusqu'alors que seuls les patients alcooliques présentant un « syndrome de Korsakoff » avaient des pertes de mémoire significatives, une équipe du laboratoire « Neuropsychologie cognitive et neuroanatomie fonctionnelle de la mémoire humaine » (Unité Inserm U923), à Caen, vient de montrer que les autres patients alcooliques présentent également des troubles plus ou moins graves des différentes composantes de la mémoire. Sachant qu'en France deux millions de personnes sont alcoolo-dépendantes, les chercheurs estiment indispensable la mise en place d'une évaluation neuropsychologique systématique des patients alcooliques. Ces travaux sont publiés dans l'édition de juillet de Alcoholism : Clinical and Experimental Research.

On considérait jusqu'à présent que l'alcoolisation chronique ne présentait d'effet toxique sur la mémoire que dans le cadre d'un syndrome amnésique sévère, dit syndrome de Korsakoff. Ce syndrome, particulièrement handicapant, ne touche heureusement qu'une faible proportion de patients alcooliques et survient principalement en cas d'association avec une importante carence en une vitamine, la thiamine. Les travaux dirigés par Anne-Lise Pitel, psychologue et doctorante au sein de l'unité Inserm de Francis Eustache, visaient à détailler précisément les déficits de la mémoire de ces patients atteints du syndrome de Korsakoff. Divers tests ont été menés chez un groupe de patients alcooliques Korsakoff, un groupe de patients alcooliques non Korsakoff et un groupe témoin non alcoolique. Les chercheurs ont par exemple proposé à chaque sujet des 3 groupes l'apprentissage de 6 mots présentés à 6 endroits et 6 moments différents. A la fin de la journée, les sujets devaient se souvenir du maximum de mots possible ainsi que des moments et lieux où ils avaient été présentés. Ces épreuves neuropsychologiques avaient notamment pour but d'évaluer les capacités des sujets à enregistrer puis récupérer les informations et leur contexte spatial et temporel d`encodage. Contre toute attente, les résultats ont montré que les patients alcooliques, qu'ils présentent un syndrome de Korsakoff ou non, ont des troubles similaires de la mémoire, à différents degrés. Il s'agit à la fois de perturbations de la mémoire épisodique (celle qui permet de se remémorer des événements, de se projeter dans l'avenir) et de la mémoire de travail (qui permet, par exemple, de se souvenir d'un numéro de téléphone juste après l'avoir regardé). Une première dans l'étude des troubles de la mémoire chez les patients alcooliques. La seule différence observée chez les patients Korsakoff est un déficit plus sévère de la mémoire épisodique. Toutefois, chez les patients alcooliques non-Korsakoff, les déficits les plus sévères de la mémoire épisodique correspondent à ceux des patients Korsakoff aux troubles les moins sévères. Cette étude montre donc que même les patients alcooliques non atteints par le syndrome de Korsakoff présentent des troubles plus ou moins sévères des différentes composantes de la mémoire. "A la lumière de ces résultats, il apparaît essentiel de réexaminer la théorie de la continuité des effets de l'alcool sur la cognition, proposée au début des années 70, puis abandonnée." explique Anne-Lise Pitel. "Nos travaux suggèrent aujourd'hui qu'il existe bien une progression régulière des atteintes mnésiques des patients alcooliques, mais indépendante des modalités de consommation d'alcool (quantité, durée, âge de début...). Le degré d'atteinte est probablement lié à une susceptibilité individuelle, peut-être génétiquement déterminée, aux effets de l'alcool sur le cerveau." Sachant qu'en France deux millions de personnes sont alcoolo-dépendantes, et qu'actuellement lors des sevrages on ne prend pas nécessairement en compte les troubles cognitifs des patients s'ils ne sont pas touchés par le syndrome de Korsakoff, les chercheurs estiment indispensable la mise en place d'une évaluation neuropsychologique systématique des patients alcooliques. Le dépistage de ces troubles permettrait d'améliorer les prises en charge, et d'éviter l'évolution vers l'amnésie ; d'autant qu'il existe des traitements préventifs contre le syndrome. Pour en savoir plus De la psychologie clinique à la recherche en alcoologieAnne-Lise Pitel, caennaise, est l'auteur principal de cette publication. Psychologue de formation, elle a ensuite intégré le laboratoire de neuropsychologie de Francis Eustache pour préparer une thèse sur les troubles cognitifs dans l'alcoolisme chronique avec ou sans Korsakoff. Son projet de recherche, coencadré par Hélène Beaunieux, a été financé par l'Inserm dans le cadre d'un programme de recherche baptisé ATC alcool (Action Thématique Concertée), lançant pour la première fois des travaux chez les alcooliques dans l'Unité Inserm 923. Ses travaux de recherche ont été menés dans le service d'alcoologie du CHU de Caen, avec l'aide de François Vabret, médecin alcoologue.Une collaboration engagée entre l'Université de Standford et l'Unité Inserm U923Au sein de l'université californienne de Standford, le laboratoire dirigé par Edith Sullivan et Adolf Pfefferbaum est le spécialiste mondial des atteintes cérébrales et cognitives liées à l'alcoolisme. Ce laboratoire n'ayant jamais travaillé sur la mémoire, la collaboration avec l'Unité Inserm 923 permettra aux deux équipes de mutualiser leurs recherches. Le laboratoire français apporte ses connaissances de la mémoire, de son exploration et de son évaluation, l'équipe américaine y ajoute son expertise dans l'étude des patients alcooliques.Anne-Lise Pitel, qui a rejoint le laboratoire californien en mai, est chargée d'initier cette collaboration. Elle travaillera dans la continuité de ses travaux actuels, en étudiant cette fois les atteintes cérébrales en lien avec les troubles mnésiques des patients. Par des techniques de neuro-imagerie, elle explorera au niveau cérébral les atteintes des patients alcooliques avec ou sans syndrome de Korsakoff. Sa publication ayant montré les nombreux points communs entre les deux types de patients, il s'agira cette fois de déterminer si leurs atteintes cérébrales sont proches ou complètement différentes. Existe-t-il une certaine continuité également au point de vue de l'anatomie du cerveau ? "Episodic and Working Memory Deficits in Alcoholic Korsakoff Patients: The Continuity Theory Revisited"Anne Lise Pitel, Hélène Beaunieux, Thomas Witkowski, François Vabret, Vincent de la Sayette, Fausto Viader, Béatrice Desgranges, and Francis Eustache.From the Inserm-EPHE-Université de Caen/Basse-Normandie, Unité U923, GIP Cyceron, CHU Côte de Nacre (ALP, HB, TW, FVa, VdlS, FVi, BD, FE), Service d'Alcoologie, CHR Clémenceau, (FVa), and Département de Neurologie, CHU Côte de Nacre (VdlS, FVi) Caen, France.Alcoholism : Clinical and Experimental Research

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