Une activité motrice dans les premiers jours de la vie participe au développement normal du cerveau

Comment se met en place la carte sensori-motrice qui, dans le cortex, constitue une représentation du corps (le fameux petit bonhomme ou homunculus) ? Quelle est le rôle de l'inné et de l'acquis dans la formation de cette carte : est-ce que la carte est programmée d'emblée ou est ce que des informations d'origine périphérique contribuent à son câblage au cours de la maturation cérébrale ? 

On sait depuis longtemps que les embryons – humains comme animaux – ont des mouvements coordonnés générés en périphérie. On ne savait pas cependant si ceux-ci génèrent des réponses dans les centres nerveux et donc, à ce titre, peuvent intervenir dans la formation de cette carte, en influençant les événements in vivo.

Pour l'étudier plus précisément, l'équipe dirigée par Rustem Khazipov de l'INMED (Institut de neurobiologie de la Méditerranée, Unité Inserm 29 « Epilepsie et ischémie cérébrale », dirigée par Yehezkel Ben-Ari) a effectué les tout premiers enregistrements chroniques de neurone immature in vivo chez le très jeune rat. Les chercheurs montrent que la maturation du cerveau est, dans ce cas, consécutive à des contractions répétées des muscles, semblables aux mouvements du fœtus humain dans le ventre de sa mère. Le détail des ces résultats est publié dans la revue Nature datée du 9 décembre 2004.

A l'aide d'un appareillage électrophysiologique adapté, l'équipe de Rustem Khazipov a enregistré, chez de jeunes rats (âgés d'un à 8 jours) l'activité de l'aire primaire du cortex somatosensoriel, principalement impliquée dans le traitement des signaux sensoriels extérieurs (auditifs, visuels, etc.). En plus d'être moins régulière, l'activité de décharge du cortex primaire du nouveau-né présente deux caractéristiques fondamentalement différentes de celles de l'adulte :les décharges sont beaucoup plus localisées et corrélées à l'activité motrice.

Point majeur : les activités électrographiques spontanées enregistrées au niveau périphérique précèdent –et ne suivent pas, contrairement à ce qui était attendu–, les activités centrales enregistrés au niveaux des structures corticales sensori-motrices. En d'autres termes, la formation de la « carte » corticale qui gère les informations et détermine les actions motrices peut être modulée par des structures périphériques dont l'activité spontanée importante et présente chez l'homme et l'animal in utero obéit à des règles et un patron de décharge immuable décrit par le laboratoire de Yehezkel Ben-Ari il y a une quinzaine d'années. Ces observations renforcent l'idée que la périphérie joue un rôle central dans la maturation cérébrale et la possibilité d'influences majeures de l'environnement sur cette construction. Les auteurs ont aussi montré que l'activité décelée est due à des interactions entre synapses à GABA –acide gamma amino-butyrique : principal neurotransmetteur inhibiteur et synapses à glutamate – neurotransmetteur excitateur. En d'autres termes, des synapses fonctionnelles sont présentes très tôt et peuvent contribuer à moduler le circuit central.

En conclusion, les auteurs expliquent que l'activité du cortex somatosensoriel est caractérisée par un réseau localisé de décharges, déclenchées par des informations sensorielles envoyées par des contractions saccadées des muscles, et des secousses réflexes des membres du corps. Les chercheurs soulignent que les mouvements du fœtus humain in utero sont semblables aux mouvements du rat nouveau-né suivi dans cette étude. « Selon nous, analysent Yehezkel Ben-Ari et son équipe, ces mouvements du fœtus pourraient être la principale source d'afférences sensorielles au cortex somatosensoriel in utero. ». L'équipe suggère finalement que cette coordination dans le temps et dans l'espace du mouvement pourrait servir à ancrer les représentations du corps dans le cortex somatosensoriel en cours de construction. Elle contribuerait ainsi à l'établissement d'une bonne coordination entre perception sensorielle et motrice. Ces résultats relancent le débat inné/acquis dans le domaine de la maturation cérébrale. Ils sont en phase avec de nombreuses données récentes qui suggèrent que la périphérie exerce un rôle important dans la construction des centres nerveux.

Pour en savoir plus

Source

"Early motor activity drives spindlebursts in the developing somatosensory cortex"

Rustem Khazipov (1,2,3), Anton Sirota (2), Xavier Leinekugel (1,2,4), Gregory L. Holmes (3), Yehezkel Ben-Ari (1) & György Buzsaki (2)

1 = Inmed, Unité Inserm 29 « Epilepsie et ischémie cérébrale », Avenue de Luminy, B.P. 13, 13273 Marseille, France

2 = CMBN, Rutgers University, 197 University Avenue, Newark, New Jersey, USA

3 = Section of Neurology, Neuroscience Center at Dartmouth, Dartmouth Medical School, One Medical Center Drive Lebanon, New Hampshire, USA

4 = Equipe mixte Inserm 224, 105, Boulevard de l'Hoˆpital 75013 Paris, France

Nature, 9 décembre 2004, vol 432, n°7018

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