ANTIBIOTHERAPIE ET ANTIBIORESISTANCE

Comme toute évolution en profondeur, la baisse de consommation d'antibiotiques a des conséquences tangibles sur le terrain, pour la pratique des médecins. Plusieurs questions légitimes sur l'antibiothérapie et la résistance bactérienne se posent de manière récurrente. Le Professeur Choutet, infectiologue, a accepté d'y répondre.

• La baisse de consommation d'antibiotiques n'entraîne-t-elle pas une recrudescence de foyers épidémiques de maladies infectieuses, comme la scarlatine en 2003 ?

L'utilisation croissante du TDR permet au contraire de mieux traiter les infections dues au streptocoque A et d'évaluer plus précisément leur impact réel. Dans la mesure où le TDR permet de distinguer en quelques minutes l'origine virale ou bactérienne d'un angine, le streptocoque A, responsable également de la scarlatine, peut ainsi être plus systématiquement identifié et éradiqué.

A un niveau plus général, aucune donnée épidémiologique n'a permis, à ce jour, d'établir de corrélation entre une recrudescence de foyers d'infections ORL et la baisse de consommation d'antibiotiques. Dans cette optique, il est important de rappeler qu'il faut tenir compte du degré d'incidence global des épidémies en France. Les médecins peuvent avoir l'impression, sur le terrain, qu'une recrudescence d'épidémies au niveau local est causée par la baisse de consommation d'antibiotiques, alors qu'elle est plutôt due aux variations naturelles d'une année sur l'autre.

En limitant les antibiothérapies au cours des angines, ne va-t-on pas favoriser la recrudescence des cas de Rhumatisme Articulaire Aigu ?

L’antibiothérapie probabiliste de première intention, basée sur des études de prévalence bactérienne, répond à des règles précises sur le choix de l’antibiotique, sa posologie, sa fréquence d’administration et la durée du traitement. Ses principes 12 visent à mieux cibler les patients nécessitant réellement une antibiothérapie tout en leur évitant, par une meilleure prescription, le risque de complications.

En cas de TDR faussement négatif (5% des cas au maximum), il peut s’agir de la présence, dans la gorge, de streptocoques A non détectés par le test. Mais cela peut être aussi un résultat négativé par un traitement antiseptique local ou antibiotique (automédication), qui, en réduisant la quantité de bactéries, empêche le test dedétecter un foyer infectieux bien présent. Quoiqu’il en soit, le risque de RAA après une angine à SBHA non traitée est de l’ordre de 1 à 3%. D’autre part, par modèle mathématique 13 , il a été démontré, dans le contexte épidémiologique de la France métropolitaine et avec un TDR ayant une sensibilité d’au moins 90%, que l’abstention d’antibiothérapie pour tous les cas d’angine à TDR négatif ne risquait d’augmenter le nombre de cas de rhumatisme articulaire aigu que de 1 cas par an au maximum. L'examen médical reste l'élément capital pour estimer le risque de RAA (migrants venant de zones d'endémie, etc…).

Est-il vrai que certains antibiotiques sont plus générateurs de résistances bactériennes que d'autres ?

Il n'existe pas, en réalité, d'antibiotiques qui créent "plus" ou "moins" de résistances. L'idée selon laquelle les antibiotiques plus récents induisent moins de résistances que les premières générations est fausse. De même, la croyance en de "petits" antibiotiques, moins puissants que d'autres, donc moins générateurs de résistances est erronée. Le phénomène de résistance bactérienne est un effet inéluctable de l'utilisation du traitement antibiotique: à partir du moment où un antibiotique est actif contre une ou plusieurs bactéries, il est sélectionnant. La pression de sélection, qui a pour conséquence l'apparition de bactéries résistantes, ne dépend ni de la nature, ni de "l'ancienneté" de l'antibiotique.

Le choix d'un traitement antibiotique qui limite au maximum la pression de sélection se fait en fonction de trois critères: la nécessité réelle, pour le patient, de recevoir ou non un traitement antibiotique; les molécules d'antibiotique qui seront actives, autrement dit auxquelles le germe visé est théoriquement sensible; le respect des recommandations de l'AFSSAPS concernant la durée du traitement, les doses à prescrire et le rythme d'administration du médicament.

La non-prescription d'antibiotiques chez un malade ayant de la fièvre, des maux de gorge et des maux de tête ne risque-t-elle pas de laisser évoluer une méningite ?

Il n'est pas scientifiquement prouvé qu'un traitement antibiotique oral puisse prévenir une méningite même débutante car la concentration en est insuffisante dans les méninges pour la guérir. A contrario, une prescription d'antibiotiques préventive, en masquant les symptômes, retarde, voire même empêche de diagnostiquer la méningite.

La prescription d'un antibiotique par voie orale est à distinguer de la conduite à tenir en cas de méningococcémie comme le purpura fulminans 14 . Compte tenu de la gravité de l'infection et du risque vital, il est recommandé de procéder immédiatement à une injection d'antibiotiques (ceftriaxone) par voie intraveineuse ou intramusculaire et d'organiser le transfert en urgence dans un service de soins intensifs. La dose et le mode d'administration conditionnent un degré d'activité différent de la molécule, qui, dans ce cas, est efficace contre le méningocoque.

Le moyen le plus s ûr de ne pas laisser évoluer une méningite n'est pas de prescrire des antibiotiques de manière préventive, mais d'évaluer la situation clinique par un examen approfondi et répété et au moindre doute, transférer le patient en service hospitalier pour une ponction lombaire.

Une bactérie est rarement résistante à plusieurs classes d’antibiotiques. Pourquoi n’existe-t-il pas de formulations associant plusieurs antibiotiques ?

La résistance d’une bactérie à plusieurs familles d’antibiotiques est moins fréquente que la résistance à une seule catégorie. Toutefois, chaque antibiotique ayant un mode d'action spécifique, une bactérie peut être résistante à différentes familles d'antibiotiques après acquisition des mécanismes de résistances propres à chacune d'elles. L’exemple le plus connu en médecine de ville est la résistance ou la moindre sensibilité du pneumocoque aux pénicillines, qui s’accompagne, entre autres, d’une diminution de la sensibilité ou d’une résistance aux macrolides.

En pratique de ville, les associations d'antibiotiques sont exceptionnelles. Elles sont utilisées uniquement lorsque les germes suspectés développent fréquemment plusieurs résistances aux antibiotiques ou en cas d'infection à plusieurs germes, qui ont des sensibilités différentes aux diverses familles d'antibiotiques. La seule indication d’une association d’antibiotiques fixe et prédéterminée en médecine praticienne reste la tuberculose, dont le bacille est multi-résistant (d'où la nécessité de prescrire, en première intention, une association de quatre antibiotiques).

12 Voir les sites de l’Afssaps ( afssaps.sante.fr/htm/5/5000.htm ) et l’Assurance Maladie (www.ameli.fr/8/DOC/276/article.html) ; les fiches “ Connaissances et actualités thérapeutiques en pathologies infectieuses courantes ” sont disponibles auprès du service médical de votre lieu d’exercice.

13 Consulter les RBP de l’AFSSAPS (agmed.sante.gouv.fr/htm/5/angsyn.htm) ou COSTAGLIOLA (D.), ROPERS (J.): Evaluation de l'impact a priori d'une nouvelle recommandation basée sur l'utilisation de tests de diagnostic rapide pour le diagnostic et le traitement des angines. Approche par simulation. Agence du Médicament. Rapport interne. Octobre 1998. 14 Voir les recommandations officielles sur www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/cshpf/a_mt_100300_meningite_01.htm

Source

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