Dossier médical partagé : en dépit des premiers succès, les obstacles demeurent

Dossier médical partagé : en dépit des premiers succès, les obstacles demeurent Après quinze années d’errance industrielle et près de 500 millions d’euros engloutis selon la Cour des comptes, Nicolas Revel, directeur de la CNAM et Agnès BUZYN ont relancé mardi dernier en grande pompe le dossier médical partagé (DMP). Si avec 15 millions d’euros de budget annuel et 100 000 ouvertures par semaine, la CNAM affiche un objectif de 40 millions de dossiers ouverts en 5 ans, le chemin promet d’être d’autant plus long que des obstacles majeurs demeurent.

15 ans d’arlésienne

C’était le 24 mai 2004. Le ministre de la Santé se nomme Philippe Douste-Blazy et présente à la clinique Pasteur de Toulouse le dossier médical partagé, élément central d’une réforme de l’assurance maladie qui vise à générer 3,5 milliards d’euros d’économies par an. Si le projet est suspendu en 2012, il aura tout de même englouti 210 millions d’euros d’investissement pour 158 000 dossiers créés, dont la moitié totalement vide. Un échec industriel retentissant dont le maintient coûte chaque année 35 millions d’euros selon la Cour des comptes jusqu’à ce qu’il soit relancé en 2015 par Marisol Touraine, qui confie le bébé à la CNAMTS.

En 2017, l’assurance maladie relance donc le projet à l’échelle de 9 départements et obtient les premiers résultats encourageants. Non seulement elle revendique la création de 10 000 DMP chaque semaine, mais elle affirme aussi qu’ils sont réellement consultés par les professionnels de santé.

Quoi de neuf dans ce DMP ?

Dans cette nouvelle version, à l’ergonomie améliorée, le DMP a été conçu pour pouvoir y accueillir différents types d’informations médicales :
– L’historique des remboursements de l’assurance maladie
– les antécédents médicaux (pathologie, allergies...)
– les résultats d’examens (radios, analyses biologiques...)
– les comptes rendus d’hospitalisations
– Les coordonnées des proches du patient à prévenir en cas d’urgence
– Les directives anticipées pour sa fin de vie ou tout autre document que le patient jugerait utile 

Le volet de synthèse médical (VSM)

Pierre angulaire du DMP, le VSM rassemble des renseignements administratifs et cliniques qui seront particulièrement utiles aux urgentistes, aux anesthésistes aux médecins de garde, mais aussi à tous les professionnels de santé qui ne connaissent pas le patient.

Il agrège sous forme synthétique les pathologies en cours, les antécédents du patient y compris allergies et intolérances médicamenteuses, les antécédents familiaux, les facteurs de risque liés au mode de vie et à la profession, les traitements au long cours et les points de vigilance.

Ce document, dont le contenu a été défini fin 2013 par la HAS et l’ASIP santé fait l’objet d’une incitation financière, qui est devenue peu lisible, dans le cadre du forfait patientèle. Si son contenu a été pensé pour que sa rédaction soit produite de façon automatique, en pratique peu de logiciels métiers permettent une telle prouesse.

Des niveaux d’habilitation ont été créés

Si le médecin traitant est le seul professionnel de santé habilité à consulter d’emblée l’ensemble du dossier du patient, la CNAM a travaillé avec les différentes instances ordinales pour différencier les droits d’accès des différents documents du DMP en fonction du métier du professionnel de santé qui le consulte. Il en est ressorti une matrice d’habilitation qui a été validée par la CNIL.

De nouveaux modes d’accès pour donner plus de pouvoir au patient.

Pour favoriser l’appropriation du DMP par les patients et permettre également un usage nomade depuis les smartphones, un site web, www.dmp.fr et une application mobile sont disponibles. Ces nouveaux modes d’accès devraient permettre aux patients d’exercer leurs nouvelles prérogatives sur leur DMP notamment en ce qui concerne l’alimentation en contenu qu’ils pourront en faire ainsi que les droits d’accès qu’ils peuvent librement donner à tel ou tel professionnel de santé.

Ils peuvent par ailleurs choisir d’accepter ou non la procédure dite « bris de glace » qui permet en cas de situation d’urgence médicale de donner un accès au professionnel de santé qui assure la prise en charge. Enfin ils pourront à l’avenir déposer dans leur DMP leurs directives anticipées sur la fin de vie, mais aussi stocker des données médicales issues d’objets connectés. Le poids, la glycémie, la tension artérielle pourront ainsi être conservés dans le DMP de chaque patient qui le désire.

 

Quel intérêt du DMP pour les professionnels de santé ?

Pour les professionnels de santé, les situations où l’accès aux informations du DMP présente un intérêt évident sont multiples : 

– toutes les situations d’urgence,
– lors d’une hospitalisation,
– lors d’une première consultation en médecine de ville qui souvent se traduit par une corvée de numérisation de documents en tout genre que le patient promène dans une chemise cartonnée. Avec le DMP, les documents auront déjà été scannés par le patient ou les confrères.

Au-delà de ces situations relativement peu ordinaires, le DMP constitue également un atout au quotidien pour :
– fiabiliser le parcours de soins et les pratiques pluridisciplinaires notamment dans le cadre du suivi de malades chroniques ou souffrants de pathologies multiples,
–  soutenir la décision diagnostique et thérapeutique en garantissant une disponibilité des informations au moment utile (interactions/double prescription)
– améliorer la coordination, la qualité et la continuité des soins grâce à la traçabilité de l’information
– crédibiliser la communication avec le patient

C’est pour faciliter la coordination des soins entre professionnels de santé et respecter le droit du patient à être informé sur son état de santé que le DMP a été institué par loi.

 

Une ouverture des dossiers facilitée, les pharmaciens en première ligne

Si jusqu’à présent, seuls les médecins pouvaient ouvrir un DMP pour leur patient, la CNAM semble miser dorénavant sur les pharmaciens. En effet, c’est avec les pharmaciens que l’assurance maladie a négocié un avenant conventionnel qui leur permet de percevoir un euro de rémunération pour chaque DMP ouvert. Les résultats semblent être au rendez-vous si l’on se fie aux chiffres communiqués par la CNAM.

Selon Nicolas Revel, depuis juillet dernier 8 000 pharmacies ont créé 300 000 DMP et pas moins de 80 000 la semaine dernière. Dans les spots TV qui seront diffusés pour promouvoir l’opération, la Pharmacie y apparaît clairement comme un des lieux où l’on peut ouvrir son DMP.

La création d’un DMP se fait en 5 étapes :

  • identification du patient par la lecture de sa carte vitale ;
  • connexion du pharmacien via son logiciel métier ou directement sur le site www.dmp.fr  ;
  • recueil du consentement oral du patient et de son autorisation pour accéder au DMP en cas d’urgence et enregistrement de sa réponse ;
  • information du patient sur le fait qu’il peut interdire l’accès à son DMP à des professionnels de santé de son choix en les désignant dans son DMP à la rubrique « Gestion du DMP »/« Gestion des autorisations » ;
  • demande au patient s’il souhaite consulter son DMP sur internet. Si c’est le cas, saisie de ses coordonnées. Pour finir, impression de l’accusé de réception de l’ouverture du DMP ou remise au patient de son identifiant et de son premier mot de passe pour consulter son DMP.

 

Au-delà des pharmaciens, la CNAM a bien conscience qu’elle doit mobiliser toutes les parties prenantes. Si elle encourage les patients à ouvrir leur DMP en ligne sur le site https://www.dmp.fr/ ou en contactant les conseillers des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), elle cherche aussi à mobiliser les autres professionnels de santé pour assister leur patient dans l’ouverture de leur dossier à travers leur logiciel métier. C’est pourquoi la CNAM songe à étendre aux infirmières libérales le dispositif conventionnel qu’elle a négocié avec les pharmaciens.

 

Éviter le syndrome de la page blanche

Pour éviter, le syndrome de la page blanche, dès leur ouverture les DMP seront automatiquement enrichis par deux années d’historique des remboursements actualisés à chaque nouveau remboursement. À l’inverse du compte Amelipro qui ne donne que la somme des remboursements et non leur détail, on trouvera sur le DMP le nom des médicaments prescrits, les pathologies diagnostiquées, le motif des séjours d’hospitalisation. De quoi éviter certaines interactions médicamenteuses ou des prescriptions inutiles.

« Les DMP sont ainsi d’emblée riches d’un premier niveau d’information utile. C’est dès lors plus facile d’inciter les professionnels de l’enrichir à leur tour, dès lors qu’ils voient qu’il y a déjà de la matière. » Nicolas REVEL pour le Quotidien du Médecin.

 

Éviter la double saisie en rendant les logiciels métiers DMP compatibles

C’est l’un des principaux écueils que le DMP n’avait pas su franchir dans ses versions précédentes : offrir aux professionnels de santé des procédures d’enrichissement du DMP qui soient faciles, peu chronophages et intégrées avec leur logiciel métier.

Pour assurer cette interopérabilité du DMP avec les logiciels métiers, l’assurance maladie a commencé à mettre la main à la poche en faisant de la compatibilité du logiciel métier avec le DMP l’un des nouveaux critères du forfait structure. Il en résulte une progression lente, mais constante du nombre de logiciels compatibles qui s’établit à 146 à ce jour.  

Ainsi avec un logiciel DMP compatible, les professionnels de santé peuvent accéder au DMP de leur patient de façon nettement plus rapide que les 17 étapes nécessaires à la consultation web du DMP.

Au dela de la consultation, les éditeurs de logiciels sont priés par la CNAM de bien vouloir mettre à la disposition de leur client des procédures d'alimentation du DMP les plus simples possibles. Si en pratique, le temps passé à alimenter le DMP peut être très variable d’un logiciel à l’autre, même les professionnels les plus férus d’informatique seront ravis de ne pas avoir à saisir deux fois les mêmes informations, une fois pour leur propre dossier de soins et l’autre pour le DMP. 

L’adhésion des médecins libéraux reste incertaine

Dans les 9 départements qui ont pu tester la nouvelle version du DMP, seuls 18 % des médecins ont joué le jeu pour remplir les dossiers de leur patient. Car pour beaucoup cela reste compliqué, trop chronophage et l’intérêt est parfois limité.

C’est en tout cas l’avis de Jean-Louis Bensoussan, secrétaire général de MG France, qui affirme au journal Le Monde n’avoir jamais réussi à télécharger des documents dans le DMP. « Tel qu’il est conçu, ce dossier médical n’est pas intéressant pour les médecins, juge-t-il. Pour 95 % de mes patients que je connais déjà, je reçois directement les informations nécessaires via mon dossier patient. Pour les autres, ce sont des pathologies bénignes pour lesquelles l’accès à un dossier partagé ne m’apporterait pas grand-chose. »

Pour Yannick Schmitt, médecin généraliste dans le Bas-Rhin, et président de Reagjir, un syndicat de jeunes médecins, « Les éditeurs de logiciels n’ont pas tous développé les bonnes interfaces, vous pouvez perdre plusieurs minutes à intégrer les documents ».

Faute de moteur de recherche, même la consultation d’un DMP bien tenu peut être parfois ressentie comme trop chronophage par les médecins traitants.

Et prendre quelques minutes à chaque consultation, quand on en fait en moyenne 22 chaque jour lorsqu’on est généraliste, ça fait vite soit entre une et deux heures de travail en plus quotidiennement ou quelques consultations en moins. Et cela sans compter le temps nécessaire à la rédaction du volet de synthèse médicale qui peut parfois être long pour les malades chroniques ou les patients souffrant de pathologies multiples.

En l’état des technologies disponibles, pour les professionnels de santé, tenir à jour le DMP de ses patients est donc une vraie contrainte économique qui n’est hélas pas reconnue comme telle par l’assurance maladie.

Miser sur le bénévolat est suicidaire

Pour le directeur de la CNAM, M. REVEL, il est pour le moment hors de question de prévoir une rémunération liée à la bonne tenue du DMP.

« Je n’ai jamais envisagé de déclencher une rémunération chaque fois qu’un hôpital, un laboratoire, un médecin ou un infirmier verse une information dans le DMP. Ça n’a pas de sens, ce n’est pas sain et ça ne me paraît pas raisonnable. Ce d’autant que ces alimentations ne se feront en masse que si elles sont simples, voire automatiques. Le DMP est un service rendu au patient et un investissement collectif pour construire ensemble une meilleure prise en charge. »

Voilà là un obstacle majeur qui n’est pas prêt d’être surmonté tant la position de la CNAM et celles d’un grand nombre de médecins libéraux sont éloignées.

Au contraire de centaines de réseaux de soins qui fonctionnent depuis plusieurs années avec pour principal support de concertation un dossier de soins spécialisés, partagé sur le web, le DMP national serait donc quasiment le seul projet de dossier partagé où les promoteurs refusent de financer la saisie des données. Pour ceux qui suivent de près l'informatique médicale, cela a de quoi surprendre.

Tout comme les 15 millions d'euros de budget de fonctionnement alloué au DMP, si on les met en balance avec les 35 millions d'euros annuels qu'il coûtait auparavant ou les milliards d'euros d'économies annuelles qui justifiaient le projet il y a 15 ans.

En matière de stratégie de déploiement, il pourrait sembler pour le moins hasardeux sinon suicidaire de tout miser sur le bénévolat de professionnels de santé surmenés et sur la motivation inégale des éditeurs de logiciels métiers à développer, sans contreparties financières, des procédures d'alimentation qui soient peu chronophages et hautement sécurisées.

 

Sur le même sujet : Dossier médical partagé : dubitatifs, les médecins veulent être rémunérés

Descripteur MESH : Santé , Médecins , Logiciel , Maladie , Soins , Patients , Pharmaciens , Vie , Rémunération , Directives , Temps , Syndrome , Directives anticipées , Pharmacies , Économies , Continuité des soins , Moteur de recherche , Informatique médicale , Informatique , France , Internet , Lecture , État de santé , Travail , Bras , Pharmacie , Médecine , Recherche , Interactions médicamenteuses , Vide , Conscience , Motivation , Communication , Facteurs de risque , Risque , Hospitalisation , Thérapeutique , Glycémie , Main

1 réaction(s) à l'article Dossier médical partagé : en dépit des premiers succès, les obstacles demeurent

  • MyPassion

    JP GILLE| 28/11/2019- REPONDRE

    Qui s'engage sur la sûreté des centres collecteurs ?
    Qui en prend la responsabilité en terme d'indemnisation ?
    Pour les quelques affaires de diffusion de données illicites qui sont médiatisées, par exemple dans le domaine médical, combien d'évènements se sont réellement produit?
    pourquoi ne pas prévenir les assurés et autres personnes concernées?

Informatique médicale: Les +