Retour d’expérience sur le vécu des structures douleurs chroniques durant la pandémie covid-19

Retour d’expérience sur le vécu des structures douleurs chroniques durant la pandémie covid-19 Dans un contexte difficile pour le système de santé durant la pandémie Covid-19, les équipes des Structures Douleur Chronique (SDC) ont été fortement bousculées. La Société Française d’Étude et de Traitement de la douleur, SFETD, a lancé une enquête qualitative, du 5 juin au 5 juillet, ayant pour but de décrire le vécu des soignants durantcette période si exceptionnelle, quelle que soit leur profession.

LES STRUCTURES DOULEUR CHRONIQUE DURANT LA PANDÉMIE

La pandémie de Covid-19, qui frappe le monde entier et dont l’Europe a été l’épicentre, engendre dans les pays une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent. C’est un défi majeur pour la communauté scientifique et pour les systèmes de santé européens.

Les Structures Douleur Chronique (SDC) ont été fortement impactées tant dans leur organisation des soins que dans leur structure de financement. Leur financement est assuré en grande partie par des dotations de type Mission d’Intérêt Général (MIG) qui ont pour objet de financer les surcoûts associés aux consultations longues et/ou pluridisciplinaires. Le montant total des dotations MIG dédiées aux SDC, inchangé depuis des années, est réparti sur les 243 centres et consultations. La pérennité de ce financement n’est nullement garantie et le personnel qui travaille dans ces structures partage souvent son temps avec une autre activité telle que l’anesthésie.

Seuls 3% des patients douloureux chroniques bénéficient d’une prise en charge dans ces SDC alors que près de 20% de la population souffrent de douleurs chroniques. Le délai d’attente moyen est de 13 semaines alors que 30% de ces structures risquent de disparaître faute de financement ou de personnel suffisant pour un fonctionnement pérenne.

ADAPTATION ET CRÉATIVITÉ DES STRUCTURES DOULEUR CHRONIQUE

Les SDC ont dû s’adapter, se réorganiser, faire preuve de réactivité et de créativité pour poursuivre la prise en charge de leurs patients douloureux chroniques ou atteints de pathologies chroniques, notamment concernant des thérapeutiques ne permettant pas un report de soins. Les professionnels de ces structures se sont mobilisés et impliqués à tous les moments de la crise sanitaire. Pour beaucoup, les équipes ont été réaffectées dans les espaces dédiées à la Covid-19 pour renforcer les services hospitaliers face à l’affluence de patients.

Face à cette restructuration des Hôpitaux (Plan Blanc), les SDC ont mis en place de nouvelles organisations pour maintenir la prise en charge des patients :

  • Limitation des consultations en présentiel dans un premier temps, puis adaptation de la rencontre ou développement d’autres moyens.
  • veloppement de la téléconsultation pour pallier les problématiques de déplacement, de RDV en présentiel afin d’assurer le suivi de patients douloureux chroniques stables à leur domicile et maintenir le lien (Ex : pour un renouvellement et ajustement des traitements ; ordonnances faxées aux pharmacies de ville). A travers le maintien de ce lien, l’alliance thérapeutique qui est un élément fondamental du projet de soin a pu se maintenir.
  • Accueil des nouveaux patients. Selon les demandes et surtout selon les situations individuelles et les conséquences d’un report de rendez-vous, la prise en charge des nouveaux patients a été maintenue mais avec une grande adaptation des conditions de la rencontre. Dans certains cas, la prise en charge a été reportée dans un délai raisonnable.
  • Mise en place de solutions plus créatives et qui se poursuivent avec les mesures sanitaires qui impactent largement l’activité des SDC (adaptation du soin ou de l’intervention dans le respect des gestes barrières, développement de la téléconsultations, développement d’outils d’intervention à distance (vidéo explicative).
  • Maintien des prises en charge pour les pathologies lourdes ou instables, pour les dispositifs et soins complexes : douleurs du cancer, pathologies chroniques ou thérapeutiques ne permettant pas un report de soins de patients à la santé fragile en danger ou en perte de chance. (Ex : oncologues ou radiothérapeutes pour bilan complémentaire et/ou HDJ pour chimio et/ou consultation). En oncologie, un effort de regroupement des consultations a été fait, pour limiter la venue des patients à l’hôpital. Pour ceux en soins dans l’établissement, ils ont été vus en consultation externe ou en hospitalisation de jour.
  • En définitif, les équipes douleurs ont assuré le maintien du lien relationnel avec les patients et les familles.

Rassurer et accompagner les familles par le lien téléphonique a été compliqué, certaines fois. Le climat anxiogène sur la période a laissé place à une angoisse partagée par les patients et leur famille. L’appel téléphonique ne laissant aucune place au non verbal, chaque mot, chaque silence, chaque hésitation a un impact considérable. Progressivement, les équipes douleurs ont trouvé un rythme, un ton et en quelques jours la fluidité de la relation s’installe.

SOUTIEN AUX SOIGNANTS

Mobilisés dès les premières heures, avant même qu’une prise de conscience générale ne se fasse, les soignants ont toujours été en première ligne. La ferveur nationale qui a suivi, amenant tous les soirs à 20h00 des manifestations de remerciements, les messages nombreux et les actions de solidarité de part et d’autre ont accompagné cette première phase, permettant d’amoindrir peut-être le premier impact.

Cependant, maintenant que le pic de la crise est passé et que la vie reprend peu à peu une “certaine normalité”, le contexte est autre.

Ajouter à cela, l’exposition à un nombre croissant de cès chez les malades hospitalisés, la douleur des familles privées des habituels moments de recueillements et rituels autour du décès, l'accumulation des services et des missions* des répercussions apparaissent chez les professionnels de santé telles que la fatigue souvent plus proche de l’épuisement, l’incertitude, le moral des soignants mis à mal. La spécificité de la maladie tient aux nombres de décès mais également au caractère fulgurant de la pathologie, pouvant en quelques heures provoquer des tableaux cliniques extrêmement grave, défiant les repères des soignants. Des troubles psychologiques sont observés (hyperémotivité, niveau d’anxiété élevé, insomnies), allant jusqu’au syndrome de stress post-traumatique.

*Beaucoup de soignants ont dû quitter presque du jour au lendemain leurs missions habituelle.

Liéaux conditions de travail éprouvantes imposées pendant plusieurs mois aux équipes de soins, ces troubles psychologiques se manifestent chez nombre de soignants au moment de la décompression, une fois la crise passée.

Dans une prise de conscience plus accessible, proche de l’évidence, de nouveaux dispositifs ou espaces ont été créés pour les soignants épuisés. Des permanences d’écoute ou la proposition de soins directement aux soignants.

Exemple encore marginal et largement sous représenté sur le territoire : « La bulle des personnels » de l’Hôpital Saint- Joseph - Paris. Cet espace réservé aux professionnels, leur permet de décompresser, de faire une pause dans un espace calme et relaxant. Des professionnels de santé formés aux approches complémentaires tels que l’hypnose, la relaxation, mais aussi des psychologues, des tabacologues, etc… étaient présents pour apporter un peu de bien-être aux soignants lors de ces quelques moments de répit. Des mécènes ont également répondu présents à l’appel de l’hôpital pour fournir des fauteuils massant, des canapés confortables, une enceinte de musique, des diffuseurs d’odeurs etc. Ce lieu est important car il permet aux soignants de se sentir écouté, de prendre soin d’eux-mêmes et des autres soignants.

L’hôpital a fait appel à la Fondation de France pour apporter une aide financière afin que cette « bulle » perdure dans le temps.

ENQUÊTE SUR LE VÉCU DES SOIGNANTS

En cette période particulière, les derniers mois ont fortement bousculé les habitudes des soignants. La SFETD a tout d’abord ouvert un espace COVID-19 pour rassembler toutes les informations, communiqués sur la maladie. Elle a ensuite proposé un espace d’expression qui a donné lieu à une première série de témoignages écrits et en vidéo. Depuis le 5 juin et jusqu’au 5 juillet prochain, une enquête réalisée par la SFETD est proposée afin d’évaluer le vécu des soignants durant cette période si singulière, quel que soit leur métier habituel.

L’enquête en cours présente des différences au niveau des régions du fait de l’impact plus ou moins important de la Covid-19 sur certains territoires.

Premiers témoignages recueillis :

« L’Hôpital de Jour de médecine interne pour adolescents a été fermé dès le 16 mars. Les six adolescents douloureux chroniques accueillis sont retournés à leur domicile. Ils ont bénéficié d’un suivi par leur médecin adresseur et ont été scolarisés par voie virtuelle soit par les enseignants de la Clinique soit par ceux de leur établissement de référence.

Le service a déménagé et a dû réduire son activité de trente à quinze lits pour permettre l’ouverture de deux secteurs de quinze lits dédiés à la prise en charge de patients adultes COVID : un secteur de pneumologie et un secteur de néphrologie hémodialyse. Des personnels (IDE et médecins) du service de médecine interne pour adolescents ont été redéployés vers les autres secteurs. Du fait de cette organisation, quinze patients adolescents dont neuf douloureux chroniques, (en début ou en fin de prise en charge) sont sortis prématurément du service. »

Dr. A. Tonelli – Clinique FSEF E. Rist

« Vendredi 13 mars 16h, le plan blanc est déclenché. Le CETD doit cesser immédiatement son activité de consultation. Seules les consultations médicales « urgentes et/ou indispensables » peuvent être maintenues. Mon affectation en service COVID est annoncée. Après 18 ans de travail en CETD, retour à mon cœur de métier d’infirmière…

Suis-je encore capable ? Serais-je à la hauteur ? Comment protéger mes proches d’une potentielle contamination après mon service ?... Et bien d’autres questions encore qui se bousculent mais avec le sentiment immédiat d’être là où je dois être.»

Gillet – CETD, consultation infirmière

« À l’Institut du Cancer Avignon-Provence, pas d’accueil de patients Covid mais des mesures draconiennes sont prises car la population est à haut risque. Les psychologues sont fortement mobilisés dans ce contexte de crise sanitaire, pour ces patients très anxieux (patients évolutifs, en détresse, parfois en fin de vie ...). Télétravail pour certains, activité d’hospitalisation pour les autres. »

Dr. S. Rostaing – Institut du Cancer Ste-Catherine

« Pendant cette période inédite, nous avons dû renoncer à recevoir nos patients douloureux en consultation à l’hôpital . Mais nous nous sommes tous organisés afin de maintenir le lien avec les patients qui devaient avoir RDV pendant toute cette période (1er RDV ou suivi). Les médecins ont appelé par téléphone l’ensemble des patients, l’infirmière a gardé

le lien avec les plus fragiles et a créé une vidéo éducative pour l’emploi du TENS. L’ensemble de l’équipe s’est porté en renfort des gardes aux urgences et a participé au comité éthique de l’hôpital. Nous avons repris les consultations douleur chronique à partir du 11 mai (50% de présentiel et 50% de téléconsultations) »

P. Wiedemann Toutzevitch – Psychologue Hôpital St-Joseph – Paris


« A l’image de très nombreux établissements, l’hôpital de la Croix Rousse de Lyon - HCL a dû faire face à un afflux de patients et à la réorganisation des équipes qui se sont très rapidement adaptées à une situation inédite et sur certains aspects, effrayante (nous sommes classés « hôpital BIOTOX »). Une alchimie s’est créée entre des professionnels exemplaires qui n’ont pas hésité malgré les risques à changer de poste, parfois de métier, pour lutter contre cette maladie inconnue. L’équipe douleur a été, comme les autres unités, fortement mobilisée, tant au niveau des ressources que des locaux qui ont été mis à la disposition de la médecine du travail.

Les médecins ont été répartis sur d’autres secteurs dont la réanimation REB/COVID, l’anesthésie d’urgence. Des solutions ont été trouvées pour continuer de suivre les patients par téléphone afin de les rassurer. Les infirmières ont été postées sur d’autres théâtres d’opération et les psychologues ont mis en place une organisation exemplaire de suivi des familles mais aussi du personnel en allant au contact des équipes REB (Risque Épidémiologique et Biologique). Ce témoignage ressemble certainement à tant d’autres et prouve une nouvelle fois les fortes capacités d’adaptation de professionnels totalement dévoués au service des patients, quels qu’ils soient. Nous avons vécu des moments forts que nous ne devons pas oublier. Quant au suivi des patients qui ont séjourné dans les services de soins critiques, il va s’imposer car il n’est pas exclu que des douleurs notamment neuropathiques apparaissent à distance de ces séjours.

Une attention particulière est portée à la prise en charge de la douleur lors de la phase aiguë. Les équipes se développent et sont de mieux en mieux formées. Il est encore un peu tôt pour connaître l’impact de la COVID-19 sur la douleur des patients. Pour les douleurs post-COVID-19, des témoignages commencent à apparaître. Il est cependant là aussi trop tôt pour avoir des informations précises. Les patients confrontés à des forme grave de la COVID-19 étant encore en phase subaiguës, il n’y a pas de répercussions et d’arrivée massive de nouveaux patients pour l’instant en SDC.

Il est toutefois nécessaire de rester attentif. »

Pr Frédéric Aubrun, Président de la SFETD

À PROPOS DES STRUCTURES DOULEURS CHRONIQUES

Les Structures de prise en charge de la Douleur Chronique sont labellisées ARS-DGOS depuis 2001.

Il s’agit de structures de soin et de prise en charge de patients douloureux avec une douleur qui dure depuis plusieurs mois ou résiste aux différents traitements proposés par les médecins généralistes. Son organisation est nécessairement pluri- professionnelle et pluridisciplinaire, associant au minimum un médecin, une infirmière et un psychologue, avec une formation spécifique. La SDC se veut de proximité, égalitaire, avec plusieurs niveaux de compétence, parfois ultraspécialisée et/ou orientée vers une population ciblée telle que la pédiatrie ou la prise en charge du cancer.

Les 243 SDC en France accueillent chaque année 400 000 patients, soit 3% des patients douloureux qui nécessiteraient une prise en charge spécialisée. Plus d’informations sur le site internet.

 

SFETD

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