Cannabis thérapeutique : l’Académie de Pharmacie déplore le manque de rigueur scientifique de l’expérimentation en cours

Cannabis thérapeutique : l’Académie de Pharmacie déplore le manque de rigueur scientifique de l’expérimentation en cours Alors que le cadre réglementaire visant à sécuriser l’expérimentation de l’usage du cannabis thérapeutique vient tout juste d’être fixé par les autorités sanitaires, l’Académie nationale de Pharmacie tire la sonnette d’alarme et s’inquiète du manque de rigueur scientifique de l’expérimentation qui ne prévoit pas à ce stade la mise en place d’essais cliniques randomisés en double insu. L’académie doute également de la qualité des produits utilisés dont l’absence de concentration cible les rend peu compatibles avec les exigences de sécurité qui incombent aux médicaments.

L’Académie exprime les plus grandes réserves concernant les conditions de la mise en œuvre par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) de l’expérimentation en cours « relative à l’usage médical du cannabis sous la forme de médicament » 1

UNE PROCÉDURE D’EXCEPTION INJUSTIFIÉE

Le décret relatif à l’expérimentation de l’usage médical du cannabis instaure une procédure dérogatoire pour l’obtention de l’AMM qui contrevient sans raison aux exigences réglementaires, sécuritaires et éthiques en matière de médicament.

L’Académie rappelle qu’il importe non seulement de vérifier qu’une substance est efficace, mais aussi que ses avantages l’emportent sur ses effets indésirables, en tenant compte de la gravité de la maladie cible. L’Académie de Pharmacie rappelle que certaines spécialités pharmaceutiques à base de tétrahydrocannabinol (THC) et/ou de cannabidiol (CBD), voire de cannabinoïdes, peuvent présenter un intérêt médical dans des indications thérapeutiques précises, lorsqu’elles sont validées par des essais cliniques randomisés en double insu. À l’issue de ces études, il convient également de prendre en compte le service médical rendu évalué par la Commission de transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) en fonction de l’efficacité et de l’utilité des médicaments. Or, au regard de l’arrêté du

16 octobre 2020 qui fixe « les spécifications des médicaments à base de cannabis », ceux-ci seraient dispensés de passer par un essai clinique randomisé seul à même d’évaluer leur rapport bénéfice/risque, comme l’a rappelé un récent communiqué tri-académique2 : « En période de pandémie aussi bien qu’en situation ordinaire, les règles de l’évaluation critique des méthodes et des résultats doivent s’appliquer ».

UN MANQUE DE RIGUEUR SCIENTIFIQUE

La plante Cannabis sativa L et ses extraits utilisés pour l’expérimentation ne sont pas des produits purs, mais des mélanges de plus de deux cents substances, dont les quantités et les proportions varient en fonction des modalités de culture, de récolte et de conservation. En l’absence de concentrations cibles de leurs principaux principes actifs THC et CBD, ces mélanges végétaux ne peuvent en aucun cas garantir la qualité et la sécurité exigées pour un médicament. En effet, seuls sont mentionnés des ratios, qui ne sont même plus fixés comme initialement, mais donnés uniquement à titre indicatif sous le libellé « concentrations supérieures à… » ou « inférieures à… », sans aucune limite supérieure au regard des effets indésirables des composants. Pour mémoire, en 1953, la plante aux effets pharmacologiques pourtant faibles à l’époque, mais déjà reconnue pour ses principaux méfaits avait été retirée de la pharmacopée française.

UNE NÉCESSITÉ DE TRANSPARENCE DANS LÉVALUATION ET LE SUIVI

Le décret et les arrêtés précisent que les informations recueillies par les médecins prescripteurs et les pharmaciens au cours du suivi des 3000 patients prévus dans l’expérimentation seront rapportés dans un registre dont l’analyse sera confiée au directeur de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM). Comment sera menée et contrôlée cette analyse ? les centres de pharmacovigilance et d’addictovigilance seront-ils associés ?

L’Académie nationale de Pharmacie

  • Considère que l’expérimentation ne peut être soumise à une pression médiatique ou politique, mais doit reposer exclusivement sur des critères scientifiques reconnus garantissant la santé publique.
  • Estime indispensable d’évaluer le rapport bénéfice/risque pour chacun des cinq groupes de pathologies prévues dans l’expérimentation, en tenant compte des doses de THC et CBD des différentes préparations (formes orales, sublinguales, ou à inhaler).
  • Recommande que les centres régionaux de pharmacovigilance et d’addictovigilance soient associés à la fois à la collecte d’informations et à l’évaluation précise des risques éventuels.

1.Décret n° 2020-1230 du 7 octobre 2020 relatif à l’expérimentation de l’usage médical du cannabis — Arrêté du 16 octobre 2020 fixant les spécifications des médicaments à base de cannabis utilisés pendant l’expérimentation prévue à l’article 43 de la loi no 2019-1446 du 24 décembre 2019 - Arrêté du 29 octobre 2020 fixant les modalités et conditions techniques du registre national électronique prévu à l’article 4 du décret no 2020-1230 du 7 octobre 2020 relatif à l’expérimentation de l’usage médical du cannabis.

2.Avis de l’Académie Nationale de Médecine, de l’Académie Nationale de Pharmacie, de l’Académie des Sciences « Essais cliniques au cours de la pandémie Covid-19 : Cibles thérapeutiques, exigences méthodologiques, impératifs éthiques » (29 mai 2020)

 

Académie de Pharmacie

Descripteur MESH : Pharmacie , Thérapeutique , Cannabis , Sécurité , Santé , Pharmacovigilance , Électronique , Essai clinique , Essais , Médecins , Pharmaciens , Politique , Santé publique , Médecine , Pression , Mémoire , Méthodes , Tétrahydrocannabinol , Cannabidiol , Cannabinoïdes , Maladie

Pratique médicale: Les +