Crise aux urgences du CHU de Caen : suspension des stages d'internes pour six mois
Un encadrement défaillant au cœur de la décision
La suspension des stages touche 30 internes, dont 14 en médecine générale et 16 en spécialités comme la médecine d'urgence ou la gériatrie, pour une durée de six mois, jusqu'au printemps 2026[2]. Cette mesure rarissime, décidée collégialement entre la faculté, le CHU et l'ARS, répond à des signalements répétés des étudiants sur une charge de travail excessive et un accompagnement insuffisant. « Les conditions pour apprendre n'étaient plus respectées », a déclaré la ministre de la Santé, Stéphanie Rist, lors d'une intervention télévisée le 4 novembre 2025[3]. Les internes, souvent confrontés à des journées de 60 à 70 patients en attente sur brancard, sans supervision adéquate, risquaient un épuisement psychique et une formation compromise.
Cette situation n'est pas isolée au CHU de Caen. Un urgentiste normand expérimenté, désormais en poste ailleurs, décrit une spirale de dégradation : « Dégradation des conditions de travail avec un total dédain des services d’aval pour les urgences (60 à 70 personnes le matin sur un brancard…), gouvernance générale de la structure déficiente, refus de changement ou évolution, difficulté de management interne au service, départ des médecins progressifs avec perte de la compétence et de l’expérience, propos dédaigneux des DG sur les périphériques qui volent les docs du chu »[4]. La présidente de l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI), Mélanie Debarreix, pointe un malaise généralisé : « C’est partout pareil en France : les internes ont peur de parler, par crainte des répercussions »[5]. À titre de comparaison, les urgences du CHU de Toulouse ont restreint leur capacité d'accueil jusqu'à fin décembre 2025 pour les mêmes raisons d'effectifs. Pour les professionnels de santé, cette crise souligne un paradoxe : les urgences, porte d'entrée essentielle du système hospitalier, peinent à former les générations futures en raison d'un sous-effectif chronique, avec un manque de 35 médecins à temps plein au CHU de Caen[6].
Témoignages de terrain : une déliquescence progressive
Au-delà des chiffres, les voix des soignants révèlent une érosion quotidienne qui a conduit à cette suspension. Un biologiste médical et vice-président de l'association Les Bioméd, Eric Guiheneuf, analyse cette décision comme « la dernière étape d'une lente dégradation due à un management catastrophique »[7], soulignant comment les dysfonctionnements internes ont accéléré les départs de praticiens seniors et juniors. Un autre urgentiste, Sabrina Ali Benali, auteure et candidate politique, partage une réalité concrète : « À l’hôpital, on a presque 300 passages jours aux urgences avec des temps d’attente allant parfois jusqu’à 5 h avant même d’avoir pu voir le médecin »[8], illustrant les pressions sur les équipes restantes et l'impact sur les patients.
Ces récits font écho à des préoccupations plus larges. Un chef urgentiste, connu pour ses analyses sur la santé publique, défend la mesure comme une protection nécessaire : « Est-ce que ça valait le coup d’exposer des internes à un stage où ils ne pouvaient pas être encadrés / formé ? »[9]. Un collègue en médecine d'urgence renchérit sur les conséquences systémiques : « Cette gestion nocive, visiblement dénuée de compétence et de pragmatisme basique est endémique dans l'hôpital public. Ça tue aussi des patients »[4]. Ces témoignages, issus de praticiens directement impliqués, mettent en exergue non seulement les failles locales mais aussi un besoin urgent de réformes pour retenir les talents et restaurer la confiance dans la formation hospitalière.
Mesures d'urgence et perspectives à long terme
Face à cette dégradation, la direction du CHU a mobilisé des renforts internes, en déplaçant des praticiens d'autres services, et territorialement, via une solidarité avec des urgentistes extérieurs. L'ARS Normandie, dirigée par François Mengin-Lecreulx, assure une continuité transparente pour les patients : « Pour le patient qui se présentera aux urgences, c'est neutre »[1]. Parallèlement, la ministre Rist a annoncé la mobilisation de la réserve sanitaire, avec l'arrivée imminente de cinq médecins supplémentaires[10]. Le dispositif de régulation des accès, en place depuis juillet 2025 dans le Calvados, renforce l'appel préalable au SAMU (le 15) pour trier les cas, protégeant ainsi les urgences des flux non prioritaires.
La CGT du CHU dénonce néanmoins une « situation catastrophique », avec une ligne médicale au bord de la rupture[2]. Déborah Le Lièvre, secrétaire générale CGT, alerte : « Il n’y aura plus d’internes pendant 6 mois »[5]. Zaynab Riet, secrétaire générale de la Fédération hospitalière de France (FHF), plaide pour une meilleure planification : « Cela doit nous alerter sur une organisation et des moyens justes pour l’hôpital public »[11]. Pour les soignants, ces annonces immédiates pallient l'urgence hivernale, mais appellent à des réformes profondes : recrutement accéléré, ouverture de lits d'aval et coordination renforcée avec la médecine de ville. Sans cela, la formation des internes risque de devenir un vecteur de fuite des talents vers le privé ou l'étranger.
Références
[1] CNEWS. « "C'est un vrai délire" : faute de médecins pour les encadrer, le CHU de Caen est privé d'internes ». 4 novembre 2025. Lien
[2] Le Monde. « Au CHU de Caen, il n’y aura plus d’internes aux urgences à partir de lundi ». 2 novembre 2025. Lien
[3] France 3 Normandie. « Les urgences du CHU de Caen vont se passer d'internes pendant 6 mois : la CGT dénonce "une situation catastrophique" ». 3 novembre 2025. Lien
[4] X/@mathkoz (thread incluant @TheFrenchPOCUS). 2 novembre 2025. Lien
[5] Paris-Normandie. « Crise aux urgences du CHU de Caen : le gouvernement promet des renforts ». 3 novembre 2025. Lien
[6] RTL. « "Une centaine de malades à gérer complètement seul" : pourquoi la situation au CHU de Caen va empirer après la perte de ses internes ». 2 novembre 2025. Lien
[7] X/@DrEricGuiheneuf. 2 novembre 2025. Lien
[8] X/@DrSabrinaaurora. 9 octobre 2025. Lien
[9] X/@linternedegarde. 1er novembre 2025. Lien
[10] Franceinfo. « Urgences du CHU de Caen : "Cinq médecins arriveront dans les jours qui viennent et il n'y aura pas d'internes pendant six mois", assure la ministre de la Santé, Stéphanie Rist ». 4 novembre 2025. Lien
[11] Franceinfo. « Urgences du CHU de Caen : il faut "éviter la fuite des médecins seniors" qui encadrent les internes, plaide la Fédération hospitalière de France ». 3 novembre 2025. Lien
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