Un malade reçoit un foie de cadavre et donne le sien à deux patients

Des chirurgiens français ont réalisé une première mondiale en utilisant le foie d’un patient, lui-même receveur d’une greffe hépatique, pour en transplanter les deux moitiés à deux autres malades.

L’équipe du centre de chirurgie hépato-biliaire l’hôpital Paul Brousse (Villejuif) justifie sa démarche par l’importante pénurie de greffons hépatiques en France.

Le foie d’un patient âgé de 61 ans et décédéà Marseille d’un accident vasculaire cérébral a été transplantéà Villejuif le 15 septembre dernier à un patient de 52 ans qui souffre d’une maladie métabolique, une neuropathie amyloïde.

Quant au foie du patient atteint de neuropathie amyloïde, une fois divisé en deux, il a servi à deux autres transplantations. Chacun de ces deux receveurs souffrait depuis de plus de dix ans d’une hépatopathie chronique parvenue au stade terminal de cirrhose. L’un est parisien, âgé de 56 ans, était en attente de greffe de foie depuis un an. L’autre patient, résidant dans un département limitrophe de l’Ile-de-France, a 59 ans et figurait sur la liste d’attente des greffes hépatiques depuis plusieurs mois.

La neuropathie amyloïde est une maladie autosomique dominante causée par une mutation ponctuelle dans le gène de la protéine transthyrétine (TTR), anciennement connue sous le terme de préalbumine. Elle se traduit par une polyneuropathie périphérique d’apparition progressive et une atteinte du système nerveux autonome (dysfonctionnement érectile et vésical, troubles gastro-intestinaux et cardiovasculaires) et une malnutrition. Le foie de ces patients synthétise la protéine TTR anormale mais assure néanmoins normalement les fonctions hépatiques essentielles (métabolisme, coagulation, etc). Le décès survient généralement par malnutrition et insuffisance cardiaque.

Transplantations domino

Plusieurs facteurs ont contribuéà la faisabilité de ces greffes à la chaîne, de cette transplantation ‘domino’ dans le jargon des transplanteurs. Tout d’abord, le fait de pouvoir disposer de très gros moyens logistiques, en l’occurrence 42 personnes du personnel médical et paramédical à Marseille et Villejuif.

De plus, il fallait que les chirurgiens maîtrisent l’ensemble des techniques chirurgicales en matière de transplantation hépatique : transplantation classique d’un foie entier, et bipartition in situ, technique qui a été décrite par l’équipe du Pr Bismuth en 1988 dans British Journal of Surgery. De plus, les chirurgiens ont utilisé la technique dite de donneur vivant, même si dans ce cas il n’existe pas de lien de parenté.

Enfin et surtout, l’hôpital Paul Brousse a monté depuis plus de quatre ans un programme de transplantation domino pour pallier à la pénurie de greffons hépatiques. Il s’agit de transplanter un malade atteint de neuropathie amyloïde avec un foie cadavérique et de récupérer son propre foie pour transplanter un dixième malade. Habituellement, ce foie non utilisé est considéré comme “résidu opératoire”.

C’est cette notion de résidu opératoire qui a valu à l’équipe de l’hôpital Paul Brousse d’obtenir de l’Etablissement Français des Greffes (EFG) et la Direction Générale de la Santé (DGS) l’autorisation de développer ce programme domino.

A ce jour, 12 patients souffrant de neuropathie amyloïde ont été les donneurs de leur propre foie dans le cadre du programme domino, mais jusqu’à présent chaque organe prélevé n’avait jamais été transplantéà plus d’un patient.

Un pour trois, en attendant un pour six

Au total, ces trois greffes ont nécessité d’avoir recours à toutes les techniques disponibles en transplantation hépatique. Elles constituent une première dans la mesure où le foie greffé aux deux patients a été partagé in situ chez un patient se comportant comme un donneur vivant et un receveur.

Ainsi, la chaîne des événements a commencé avec un foie cadavérique pour aboutir à la transplantation de trois adultes avec un foie entier et deux moitiés de foie. Selon le Dr Azoulay, membre de l’équipe chirurgicale à l’hôpital Paul Brousse, “l’objectif est de parvenir en bout de chaîne à six greffes en commençant avec un foie cadavérique si celui-ci peut lui-même être partagé en deux moitiés, ce qui n’est possible que si certaines conditions sont réunies chez le patient en état de mort clinique”.

Bipartition du foie chez un patient vivant

“Pendant que notre équipe prélevait à Marseille le foie cadavérique, les transplanteurs à Villejuif opéraient le patient atteint de neuropathie amyloïde. Ils ont procédé, en utilisant un bistouri à ultrasons, à la bipartition de son foie jugé suffisamment volumineux constitutionnellement pour être partagé en deux”, indique à caducee.net le Dr Daniel Azoulay, spécialiste en chirurgie hépatique à l’hôpital Paul Brousse.

Ce partage a eu lieu in situ afin de réduire au minimum le temps d’ischémie froide, période pendant laquelle le greffon n’est pas vascularisé et risque de subir de graves lésions. Celle-ci a été de 85 et 80 minutes pour les deux hémi-greffons, un temps remarquablement court puisqu’il est généralement de l’ordre de 12 heures.

Durant cette procédure, le foie qui devait servir de greffon à deux futurs receveurs est resté vascularisé en attendant que le foie cadavérique arrive à l’hôpital Paul Brousse. Il n’y a eu ni clampage, ni transfusion. Surtout, pendant que les chirurgiens partageaient le foie in situ, deux autres équipes ont commencéà réaliser une hépatectomie totale chez les deux receveurs qui allaient chacun recevoir un greffon pesant l’un 800 grammes, l’autre 580 grammes.

“Tout cela s’est passé au premier étage du service à l’hôpital Paul Brousse et a mobilisé pendant 18 heures quatorze chirurgiens répartis dans trois salles. Quatre chirurgiens opéraient dans la première salle le patient atteint de néphropathie amyloïde, quatre dans la deuxième, six dans la troisième”, commente le Dr Azoulay qui fait partie de l’équipe qui a opéré sur le patient atteint de neuropathie amyloïde.

Greffer un foie de malade

La transplantation d’un greffon hépatique provenant d’un patient atteint de neuropathie amyloïde à un patient pose d’évidentes questions médicales et éthiques.

“On peut s’attendre à ce que le greffon de la personne malade continue, chez le receveur, de produire la protéine anormale et que celle-ci finisse par s’accumuler dans les nerfs périphériques des deux personnes greffés. Or l’histoire naturelle de cette affection nous montre que les premiers signes cliniques n’apparaissent qu’après un délai minimal d’une vingtaine d’années et que le décès intervient après un minium de 15 ans d’évolution de la maladie”, commente le Dr Azoulay.

“En d’autres termes, poursuit-il, la transplantation d’un greffon provenant d’une personne atteinte de neuropathie amyloide ne devrait pas entraîner chez un receveur de 60 ans de signes cliniques avant l’âge de 80 ans, sous réserve que la transplantation en soi et le traitement immunosuppresseur ne modifie pas l’histoire naturelle de la maladie”.

Les deux patients receveurs ont été sélectionnés sur une dizaine de patients qui, comme eux, étaient en attente d’une transplantation hépatique semi-urgente. Les critères de sélection ont été le volume prévu du foie du premier donneur et celui du foie du patient atteint de neuropathie amyloïde.

Il est en effet possible d’estimer ce volume en connaissant le poids de la personne, sa taille et sa surface corporelle, puis d’évaluer le poids du foie droit et du foie gauche. De plus, il importe pour se mettre dans des conditions favorables de fonctionnement précoce du greffon que le rapport poids du greffon sur poids corporel soit supérieur ou égal à 1%, par exemple 800 g pour un receveur de 80 kg.

“Tous les patients ont donné leur consentement écrit au programme domino. De plus, notre équipe s’est engagée à proposer à tous les receveurs de foie domino, qu’il reçoive un demi-foie ou un foie entier, une retransplantation dans cinq ans avec un foie totalement sain”, souligne le Dr Azoulay.

Pénurie de donneurs

Ce spécialiste précise que l’équipe de transplantation hépatique de l’hôpital Paul Brousse a procédéà ce type de greffe très particulier car elle estime qu’il permet de pallier à la pénurie de greffons hépatiques dans notre pays. “Nous observons en particulier une chute très importante du nombre des donneurs cadavériques en Ile-de-France. En 1992, notre équipe a réalisé 170 transplantations, alors nous n’en ferons en 1999 même pas 60 si la tendance depuis le début de l’année se confirme”, déclare le Dr Azoulay.

Ce spécialiste ajoute que cette situation est notamment imputable au fait que “l’établissement français des greffes n’a pas une politique très volontaire pour faire en sorte que le nombre de prélèvements en France augmente”. Et de citer l’Espagne qui a “vu le nombre de transplantations hépatiques monter en flèche avec une augmentation de plus de 100% grâce à la mise en place depuis trois-quatre ans d’un système de recrutement des coordinateurs et d’information de la population”.

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