Non au déclin de la Chirurgie

Les causes de cette crise de vocation ont été bien identifiées et sont d’une part liées aux exigences propres à cette profession et d’autre part à des éléments qui lui sont extérieurs et sur lesquels celle-ci n’a guère d’emprise :

- en effet, la chirurgie qui se doit d’être une spécialité d’excellence demande : un savoir approfondi, une formation initiale de haut niveau relayée par une expérience pratique considérable, la nécessité de maintenir de façon continue les connaissances en raison des progrès incessants de la science médicale ; surtout, une grande disponibilité et un investissement personnel permanent. Cette « pénibilité », comme cela est exprimé communément ici et là, le stress que génère tout acte chirurgical difficile avec parfois pour l’opéré le risque d’une atteinte permanente à la qualité de vie devenue aujourd’hui un paramètre important, sont de plus en plus considérés comme hors de proportion avec leur reconnaissance sociale et matérielle. A cela s’ajoute une judiciarisation croissante de la profession, véritable épée de Damoclès pour les chirurgiens en exercice, et possiblement dissuasive pour ceux, trop rares de nos jours, qui se destineraient à cette spécialité.

- les contingences extérieures ont également contribué au mal-être du monde chirurgical. Il s’agit notamment de l’effet cumulatif et délétère d’une gestion imprévoyante depuis deux décennies de la démographie médicale à l’origine du déficit alarmant en chirurgiens, du poids croissant des charges pour ceux qui exercent dans le secteur libéral, de la complexité des structures administratives qui alourdissent sans cesse l’exercice quotidien, des contraintes économiques que subissent les établissements hospitaliers, et plus récemment de la réduction importante du temps de travail médical disponible du fait des directives européennes.

En réalité, la diminution en trop grand nombre des médecins n’a pas donné lieu aux résultats escomptés en terme de dépenses de santé, et nonobstant un certain nombre de mesures qui ont été prises, celles-ci continuent d’augmenter. En sont responsables en grande partie le vieillissement de la population, l’acquisition de nouveaux médicaments et de technologies efficaces mais d’un prix élevé, ainsi qu’une certaine déresponsabilisation de toute la chaîne des soins.

De nombreux appels ont été lancés par les chirurgiens et d’excellents rapports circonstanciés ont été rédigés, soulignant tous la gravité de la situation, mais aucune réponse réellement spécifique n’a été donnée, si ce n’est un certain nombre de décisions visant à améliorer l’organisation de l’hôpital. Pourtant en pratique, à ce jour, aucune disposition concernant plus précisément la chirurgie n’a été prise, qui soit susceptible de représenter un message fort pour mettre en terme à la démotivation des chirurgiens.

Or, les remèdes existent et la profession les a mis en exergue en soulignant notamment la nécessité de revaloriser, à son juste niveau, c’est-à-dire de façon significative l’acte chirurgical, de plafonner les primes d’assurances dont le co ût a augmenté de façon exorbitante au cours de ces dernières années, de « flécher » pour une durée limitée, le temps de reconstituer les effectifs de la discipline, des postes de chirurgie lors du choix des internes, et enfin de mieux faire apparaître les aspects positifs de la profession auprès des étudiants en médecine.

Toute profession connaît des vicissitudes et la chirurgie n’échappe pas à la règle du mouvement pendulaire, alors que les progrès réalisés depuis plusieurs décennies placent volontiers cette spécialité sur la « ligne de crête ». Mais il s’avère que les difficultés économiques actuelles, l’état d’esprit de plus en plus consumériste de certains patients considérant bien souvent le médecin comme un simple prestataire de service, de même que l’insuffisance d’implications des chirurgiens dans la promotion et la défense de leur profession, sont autant de facteurs qui ont amplifié le malaise auquel nous assistons actuellement .

Quelles que soient les difficultés conjoncturelles que traverse notre spécialité, celle-ci reste, dans son essence, extraordinaire et passionnante et ce d’autant plus que les progrès scientifiques et technologiques à venir sont à bien des égards prometteurs, car potentiellement salvateurs pour les malades. Et les chirurgiens qui dispensent tant d’énergie au service de leurs patients, sont riches de tant de potentialité, ils ne doivent ni se résigner ni baisser les bras car l’avenir ne peut être que meilleur.

Le diagnostic de la crise étant établi et les remèdes connus, il convient maintenant de prendre des mesures pour inverser ce courant dévastateur et pour cela s’inspirer des principes même de la chirurgie, c’est-à-dire la volonté de relever les défis et de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires à la réussite des démarches entreprises, en surmontant vaille que vaille les difficultés.

Il faut aujourd’hui sensibiliser l’opinion publique aux problèmes difficiles que connaît la profession chirurgicale et convaincre les politiques de mener à bien des actions concrètes pour rendre confiance aux chirurgiens. Loin des revendications purement catégorielles, la crise actuelle de la chirurgie met gravement en péril la qualité des soins de nos concitoyens. La mise en place récente par le Ministre de la Santé du Conseil National de la Chirurgie est, sans nul doute, le présage de la prise en compte de la gravité de la situation et laisse augurer, de solutions probantes et claires à une des crises les plus dramatiques qu’ait jamais connue la chirurgie. Les chirurgiens libéraux viennent de déclencher un mouvement inégalé et de grande ampleur que rien ne semble devoir ralentir. L’Association Française de Chirurgie en tant que société savante s’associe pleinement aux revendications exprimées et affiche haut et fort sa solidarité avec tous ceux qui oeuvrent pour que la chirurgie française reste à son plus haut niveau.

Professeur Christian MEYER

Président de l’Association Française de Chirurgie

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