Et si la médecine ne se limitait plus qu’à la prise en charge du Covid-19 ?

Et si la médecine ne se limitait plus qu’à la prise en charge du Covid-19 ? Le Docteur Olivier Dubois, médecin psychiatre, Directeur des Cliniques psychiatriques et des Thermes de Saujon livre ici une tribune sur les limites de la téléconsultation et l’urgente nécessité de « vivre la présence de l’autre » en commençant par reprendre les consultations en présentiel.

La téléconsultation ou les limites de la technologie 

La « guerre » contre le Covid-19 nous amène à des mesures d’adaptation nombreuses et variées. Chacun fait preuve d’imagination pour s’adapter. Certaines mesures se révèlent efficaces pour gérer la situation, d’autres démontrent leurs importantes limites. L’exemple de la téléconsultation est éclairant.

On nous explique qu’il faut rester confiné, qu’il ne faut plus sortir de chez soi, que seules les situations exceptionnelles le justifient.

Ainsi les patients n’auraient plus à sortir de chez eux. Les hôpitaux et cliniques privées ne recevraient plus de patients non urgents et seraient ainsi disponibles pour recevoir tous les patients covid. Et la qualité du soin n’en pâtirait pas.

Il semble pourtant aujourd’hui que cette expérience a plutôt mis en évidence les limites, les insuffisances, voire les dangers de cette nouvelle méthode de soin.

Si la téléconsultation a subi un formidable essor et a rendu d’indiscutables services face à la panique et aux interdits du moment, cet instrument a mis tout autant en valeur ce dont a le plus besoin la médecine, aujourd’hui : le contact, l’humanisme !

Une de mes patientes, particulièrement angoissée par la crainte d’être infectée par le virus SARS-CoV-2 et qui hésite à sortir de chez elle pour tout motif, a pris RDV à mon cabinet de consultation. Contrairement à ce que j’avais imaginé, elle m’informait se porter plutôt bien. Durant l’entretien, alors qu’elle me faisait part de sa crainte extrême de la maladie, elle m’expliquait qu’elle avait un besoin plus puissant encore de consulter, que cela présentait pour elle un caractère indispensable.

De l’urgente nécessité de la reprise des liens humains 

La durée du confinement met de plus en plus en évidence le besoin viscéral des personnes de se parler, de se regarder, d’échanger de visu. Nous sommes des êtres de chair, de contact. Ce que nous vivons est un supplice pour beaucoup d’entre eux, pour beaucoup d’entre nous.

Il existe tellement d’éléments infra-verbaux, indicibles à la simple attention orale, qui se passent dans le regard, l’attitude, le comportement…

Nous avons tellement développé, avec la mondialisation, la finesse de nos capacités de perception et de lecture des ressentis de chacun, qu’il est une évidence, pour tout médecin attaché à la spécificité de l’interrogatoire et de l’examen clinique, que la consultation téléphonique n’est qu’un triste palliatif à notre métier !

Au-delà de l’utilité de l’interrogatoire pour le médecin qui sert également à rassurer (tout simplement) le patient inquiet de sa maladie, n’en va-t-il pas de même pour tout un chacun dans ses besoins relationnels ?

Nous ressentons tous la nécessité de se rapprocher, de se retrouver, de vivre la présence de l’autre, de se toucher, d’exprimer de la tendresse en sachant que celle-ci passe avant tout par la proximité réelle, la chaleur, l’expression du regard…

Ne percevons-nous pas une certaine tension, une certaine irritabilité intérieure à vivre cette sécheresse de l’absence de la relation où chacun est éloigné, où nous dépendons de l’outil technique ?

A quand, la prochaine partie de foot pour nos adolescents ; à quand, la prochaine virée dans un bar ; à quand un bon cinoche pour ressentir les vraies émotions nous envahir, devant le grand écran… ?

Raisonnablement, tout cela peut paraître secondaire, sans importance face au danger du virus. Mais inversement, à quoi nous sert-il de vivre durablement cette « pauvreté » si c’est pour rester continuellement dans l’hiver ? Est-ce l’esprit de l’humanité de se refermer durablement sur lui-même, de vivre dans la peur, de marcher avec le frein à main en permanence ?

Peu à peu nous sentons que l’esprit d’extrême prudence actuellement édicté va de plus en plus être remis en question ; que l’absence de vie réelle, l’absence d’engagement social et sociétal pour chacun, le ralentissement de l’économie va de plus en plus se faire entendre.

Prenons l’exemple des soignants qui sont honorés chaque soir.

Mais que ressentent donc ces mêmes soignants, dont je suis, à voir leurs services hospitaliers, leurs cliniques privées, à moitié vide depuis 2 mois ; nos cabinets médicaux ne plus recevoir que des urgences ; nos centres thermaux et l’ensemble des curistes qui y séjournent être interdits de séjour.

Peut-être qu’en dehors des urgences vitales, la médecine ne sert à rien, après tout ?

Peut-être que nos soins n’ont pour principal but que de les sortir de leur ennui, en temps normal ?

Peut-être que la chronicité d’une maladie ne justifie plus de suivi ni de prévention et que seul comptera désormais le renouvellement occasionnel des médicaments ?

Peut-être que l’examen médical ne servira plus que pour distinguer l’abdomen souple de la gastroentérite, du ventre dur signifiant un début de péritonite ?

Un projet pour demain : laisser les patients revenir voir les soignants 

Je lance un cri :

Hormis dans les centres de réanimation davantage chargés aujourd’hui qu’avant, la plupart de nos lieux d’activité médicale tournent à régime réduit ! N’est-ce pas regrettable et illogique ?

Les soignants demandent qu’on les laisse travailler et que l’on cesse d’apeurer les patients en leur conseillant de rester chez eux.

Nous souhaitons reprendre nos entretiens en cabinet et ne pas laisser germer de nouveau problème de santé pour nombre de nos concitoyens !

Encourageons les patients à revenir vers nous, y compris dans nos établissements de soin !

Préconisons à tous nos dépressifs qui perdent peu à peu espoir et la force de tenir dans cette épreuve, de se faire soigner comme il se doit, que ce soit dans nos cabinets désormais sécurisés, dans nos hôpitaux et cliniques psychiatriques privées qui sont structurées et équipées en masques, tests, et unités covid, mais aussi dans nos établissements thermaux qui sont des lieux formidablement organisés pour devenir des centres de « déconfinement » pour décompensations anxieuses, dont le nombre ne cessera évidemment de croître dans les prochains mois.

 

Docteur Olivier Dubois

Descripteur MESH : Médecine , Patients , Maladie , Hôpitaux , Attention , Cabinets médicaux , Services hospitaliers , Santé , Personnes , Lecture , Vie , Soins , Temps , Vide , Toucher , Face , Perception , Caractère , Panique , Peur , Ennui , Émotions , Masques , Réanimation , Urgences , Gastroentérite , Virus

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