Dépassements d’honoraires : abus ou juste compensation ?

Dépassements d’honoraires : abus ou juste compensation ? Depuis la publication du rapport du HCAAM, le débat public s’est cristallisé en un « procès en sur-tarification » visant les spécialistes de secteur 2. L’étude, parue le 2 octobre 2025, recense 4,3 Mds € de dépassements en 2024, en hausse d’environ 5 % par an depuis 2019, et décrit une baisse des actes au tarif opposable en secteur 2, des écarts territoriaux marqués et une prise en charge d’environ 40 % par les complémentaires[1][2]. La question posée est nette : ces compléments d’honoraires sanctionnent-ils un abus, ou compensent-ils des tarifs opposables restés trop bas ?

Un « procès en sur-tarification » ?

L’accusation s’ancre dans l’histoire du secteur 2, ouvert en 1980 pour accorder une liberté tarifaire encadrée aux spécialistes. Sa progression depuis la période Covid a ravivé l’idée d’un « dérapage ». La publication, le 2 octobre 2025, de l’état des lieux du HCAAM a servi de déclencheur médiatique : la plupart des titres ont mis en avant les inégalités d’accès et l’augmentation des montants, parfois sans rappeler le rôle des tarifs opposables et des charges. Dans le même temps, la CNAM a estimé que « les dépassements ne sont plus sous contrôle » et a annoncé vouloir revoir les règles du secteur 2, renforçant la perception d’une responsabilité médicale directe[1][2][8][18].

Le contexte politique entretient ce cadrage. Les commissions parlementaires 2025 sur l’accès aux soins examinent des régulations et des conditionnalités d’installation. La narration dominante associe dépassements et inégalités, alors que les travaux du HCAAM et de la DREES décrivent aussi des déterminants structurels : sous-valorisation d’actes techniques, dispersion par spécialité et effets territoriaux[1][3][4][20][21].

Ce que disent les chiffres depuis 2019

Les dépassements d’honoraires des médecins spécialistes ont atteint 4,3 milliards d’euros en 2024, avec une hausse d’environ 5 % par an en valeur réelle depuis 2019[1][2]. La part de médecins spécialistes en secteur 2 se stabilise autour de 56 %, et près des trois quarts des nouvelles installations s’y font désormais[1].

« Pour 10 % d’entre eux, le dépassement est de 184 %, c’est-à-dire que le tarif facturé représente presque trois fois le tarif opposable »[3].

Cette dispersion intra-spécialité, particulièrement visible en chirurgie, nourrit les caricatures. Elle traduit aussi des coûts de plateau technique et des organisations très hétérogènes entre cabinets et cliniques.

Que contient le rapport du HCAAM

Le rapport 2025 dresse un panorama précis. Il établit que 56 % des spécialistes exercent en secteur 2 et qu’environ trois quarts des nouvelles installations s’y font. Les montants de dépassements progressent depuis 2019 pour atteindre 4,3 Mds € en 2024. Le HCAAM observe par ailleurs une diminution des actes réalisés au tarif opposable chez les médecins de secteur 2 depuis 2020, signe d’un équilibre économique fragilisé.

La dispersion est forte entre spécialités et territoires. Paris se situe significativement au-dessus de la moyenne nationale. En parallèle, les complémentaires remboursent en moyenne autour de 40 % des dépassements. L’instance pointe une « illisibilité » du système pour les patients et des difficultés de pilotage pour les pouvoirs publics[1][2][3].

Les rapporteurs rappellent que les dépassements représentent, dans leur ensemble, une part « relativement modeste » des dépenses de santé et du reste à charge, qu’ils sont pris en charge à environ 40 % par les complémentaires, et que les bénéficiaires de la CSS doivent être soignés sans dépassement. Près de la moitié des patients consomment des soins exclusivement à tarif opposable[18].

« Charge financière significative, très variable, et imprévisible au cours des prises en charge », avec parfois un « manque d’alternative à tarif opposable dans de nombreux territoires », ce qui conditionne l’accès aux possibilités financières des patients[18].

Le rapport souligne un effet sur les volumes : « les volumes d’activité, mesurés en nombre d’actes, sont d’autant plus faibles que les médecins ont des taux de dépassements élevés ». Il pointe aussi un effet d’attractivité territoriale orientant l’installation vers des zones aisées, aggravant les inégalités d’accès dans les territoires défavorisés[18]. Ces constats complètent les données de dispersion intra-spécialité en chirurgie, où les dépassements moyens atteignent 58 % du tarif opposable et 184 % pour les 10 % les plus élevés[3].

Sous-valorisation des actes techniques : le nœud du problème

Comment se fabrique un tarif

Un acte technique est valorisé via la CCAM par une combinaison de composantes (difficulté, durée, ressources mobilisées) et une valeur de point nationale. Cette mécanique suppose des mises à jour régulières pour suivre l’évolution des pratiques, des durées opératoires, de la sécurité et des coûts fixes. Or, pour de nombreux gestes, la révision est restée parcellaire pendant des années, d’où un écart croissant entre le « temps réel » et le tarif opposable[5].

Pourquoi le gel produit des effets en chaîne

Quand le tarif opposable ne couvre plus les charges incompressibles — plateau technique, assurance RCP, dispositifs médicaux, personnels — le cabinet compense par un complément d’honoraires ou réduit l’offre d’actes au tarif opposable. Les spécialités à forte intensité technique subissent davantage le gel tarifaire, ce qui explique des taux de dépassement moyens plus élevés, particulièrement en chirurgie[3]. L’attractivité s’en ressent : sans revalorisations suffisantes ou paramètres OPTAM adaptés, une partie des jeunes bascule vers le secteur 2[1][5].

Ce que changent les revalorisations 2025–2026

La convention 2024–2029 enclenche des hausses ciblées sur les actes techniques dès janvier 2025 et programme une refonte CCAM. Objectif : réaligner la nomenclature avec les réalités de pratique et sécuriser l’OPTAM pour les secteurs 2 à tarifs maîtrisés. Une partie du calendrier est décalée vers 2026, ce qui laisse un « trou d’air » transitoire dans certains cabinets, en particulier ceux fortement exposés aux actes techniques[5][6].

Quelques exemples concrets et sourcés

Format “avant/après” avec dates et sources publiques.

  • Canal carpien, abord direct (AHPA009) : ≈102 € en 2005 (CCAM V2, « tarif cible » publié, doc technique) | 104,50 € en 2025 2,5 % en 20 ans[12][13].
  • Canal carpien, vidéochirurgie (AHPC001) : 96 € en 2005 (CCAM V2) | 111,08 € en 2025 15,7 % en 20 ans[12][14].
  • Cataracte, anesthésie associée : 111 € (ancienne cotation d’anesthésie, avant réforme) | 57 € (ZZLP030, anesthésie complémentaire après changement de cotation) → –49 %[15].
  • Injection intravitréenne (BGLB001) : 83,60 € en 2025. Série historique publique indisponible en euros pour 2005–2015 sur les sites officiels ouverts, ce qui illustre le manque de transparence sur les évolutions nominales[16][17].

Ces exemples montrent une progression très modérée, voire des baisses sur des composantes essentielles, malgré l’alourdissement des contraintes techniques et médico-légales.

Sans rebasage régulier de la CCAM, les compléments d’honoraires ne relèvent pas d’un « abus » mais d’un mécanisme d’équilibrage pour maintenir qualité, disponibilité et sécurité des gestes. À défaut, la tentation est grande de baisser les volumes d’actes au tarif opposable, ce que le HCAAM observe chez les spécialistes de secteur 2 depuis 2020[1].

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Débat public : cadrage, réactions et controverses

Le débat ne se limite pas aux données du HCAAM. Les syndicats médicaux mettent en avant la sous-valorisation historique des actes et demandent le respect du calendrier conventionnel (CSMF, SML, UFML-S). À l’inverse, des associations d’usagers et des collectifs parlent de « santé à deux vitesses », en liant dépassements et inégalités d’accès.

Sur les réseaux sociaux, plusieurs messages publiés les 8–9 octobre 2025 amplifient ces lignes de fracture : une professionnelle paramédicale relaie une pétition demandant d’« en finir avec les dépassements d’honoraires », en arguant qu’ils creusent les inégalités. D’autres comptes accusent le Rassemblement national d’avoir voté contre le remboursement des dépassements pour certaines reconstructions mammaires post-cancer, illustrant la politisation du sujet.

Des comptes institutionnels rappellent les chiffres et appellent à une action publique rapide : @viepubliquefr souligne les 4,3 Mds € en 2024 et relaie l’appel à agir « avec urgence » cité par le HCAAM ; @DILA_officiel insiste sur l’accélération depuis 2019. Parmi les pistes évoquées en ligne figurent l’interdiction des dépassements pour certains actes de prévention (coloscopies, mammographies).

La CNAM estime que « les dépassements d’honoraires ne sont plus sous contrôle » et souhaite revoir les règles du secteur 2[8]. Les syndicats médicaux insistent sur les retards de revalorisations et demandent le respect des engagements financiers, tandis que le SML plaide pour une appréciation contextualisée des « tarifs excessifs »[9][10]. Du côté des salariés, l’UNSA appelle à « stopper d’urgence » les dépassements, signe d’un débat social vif autour des pistes de régulation[11].

Pour les cabinets, la séquence annonce des négociations tendues : la soutenabilité passe par une revalorisation de la base pour limiter la dépendance aux compléments, et par des règles d’encadrement lisibles qui n’alourdissent pas la charge administrative. Pour les patients modestes, malgré une prise en charge moyenne d’environ 40 % par les complémentaires, le risque de renoncement subsiste dans certains territoires sans alternative à tarif opposable. Enfin, la mission parlementaire attendue mi-octobre pourrait rouvrir le dossier du conventionnement sélectif.

Cap sur une régulation efficace

Quatre leviers cohérents émergent :

1) revaloriser durablement les actes techniques à forte intensité de compétences pour réduire la pression au dépassement[5] ;

2) inciter à l’OPTAM sans alourdir la bureaucratie de cabinet ;

3) publier des indicateurs comparables sur coûts, volumes d’actes au tarif opposable et reste à charge réel, agrégés et anonymisés pour respecter le secret médical ;

4) renforcer l’attractivité des professions libérales de santé par une visibilité pluriannuelle des tarifs et charges, une simplification administrative, des garanties RCP et des dispositifs d’installation ciblés. 

 

Références

[1] HCAAM – « Les dépassements d’honoraires des médecins : état des lieux », sécurite-sociale.fr, 2 octobre 2025. Lien

[2] Vie-publique – « Santé : des dépassements d’honoraires en hausse en 2024 », 8 octobre 2025. Lien

[3] Medscape – « Les dépassements d’honoraires des médecins spécialistes : ce que dit le HCAAM », 3 octobre 2025. Lien

[4] DREES – « Revenu des médecins libéraux », Études & Résultats n° 1322, 20 décembre 2024. Lien

[5] Ameli – « Revalorisation des actes techniques et refonte de la CCAM », Convention 2024–2029, consultée le 10 octobre 2025. Lien

[6] Ameli – « Convention médicale 2024–2029 : l’essentiel », mise à jour 2025. Lien

[7] CNAM – « Présentation du rapport Charges et Produits pour 2026 », communiqué, 24 juin 2025. Lien

[8] Egora – « Les dépassements d’honoraires ne sont plus “sous contrôle” : le directeur de la Cnam veut revoir les règles du secteur 2 », 6 octobre 2025. Lien

[9] Le Quotidien du Médecin – « “Trahison”, “coup de massue” : les spécialistes privés de révalos en juillet… », 1ᵉʳ juillet 2025. Lien

[10] Le Quotidien du Médecin – « 130 € la consultation : un généraliste sanctionné… », s.d. Lien

[11] UNSA – « Dépassements d’honoraires des médecins : à stopper d’urgence », 1ᵉʳ octobre 2025. Lien

[12] CCAM V2 « scores et charges » : tableau des tarifs cibles, incluant AHPA009=102 et AHPC001=96 (doc AFRH, extraction CCAM 2005). Lien

[13] MedShake – Fiche AHPA009, tarif 2025 : 104,50 €. Lien

[14] AideAuCodage – Fiche AHPC001, tarif 2025 : 111,08 €. Lien

[15] Le Quotidien du Médecin – « Changement de cotation de la cataracte… », 2023. Lien

[16] AideAuCodage – Fiche BGLB001, tarif 2025 : 83,60 €. Lien

[17] SideCare – Fiche BGLB001, tarif 2025 : 83,60 €. Lien

[18] Le Monde – « En hausse, les dépassements d’honoraires des médecins sont un facteur d’aggravation des inégalités, selon un rapport », 2 octobre 2025. Lien

[20] IRDES – « Les dépassements d’honoraires : pratiques des médecins, part dans leurs revenus et impacts », rapport n°596, octobre 2025. Lien

[21] Assemblée nationale – « Commission d’enquête accès aux soins : comptes rendus 2025 », 11 juin 2025. Lien

[22] UFML-S – « Lettre ouverte à François Bayrou – Dr Jérôme Marty Président de l’UFMLS », 25 juillet 2025. Lien

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