Fiscalité : les députés s’acharnent sur la médecine de ville

Fiscalité : les députés s’acharnent sur la médecine de ville Les députés socialistes et apparentés ont adopté, le 27 octobre 2025, un amendement au projet de loi de finances pour 2026 qui modifie la fiscalité des médecins conventionnés. Présenté comme un outil contre les déserts médicaux, ce texte restreint deux abattements fiscaux majeurs aux seuls praticiens installés en zones sous-dotées, au risque d’alourdir la charge des autres et de décourager l’exercice en libéral. Alors que le gouvernement s’est abstenu de s’y opposer fermement, cette mesure, adoptée par 173 voix contre 85, soulève une vague de contestations parmi les professionnels de santé

Une fiscalité plus lourde pour la majorité des praticiens

L’amendement n° I-635, déposé par un groupe de députés socialistes dont Christine Pirès Beaune, vise l’article 93 du code général des impôts. Il complète ce texte par un 11e alinéa qui cible les médecins conventionnés exerçant dans des zones non qualifiées de sous-dotées, selon l’article L. 1434-4 du code de la santé publique. Ces praticiens conservent un abattement forfaitaire sur leur bénéfice non commercial (BNC), compris entre 770 et 3 050 euros en fonction de leur activité et de leur chiffre d’affaires, ainsi qu’une déduction complémentaire de 3 % de leur BNC. Pour les autres, ces dispositifs disparaissent, ne laissant que l’abattement de 2 % au titre des frais professionnels, réservé aux conventionnés secteur 1.

Selon les auteurs, ces abattements cumulables coûtent actuellement 350 millions d’euros par an aux finances publiques, avec un « effet d’aubaine élevé » peu documenté. L’économie visée atteindrait 200 millions d’euros annuels, réorientés vers le soutien aux centres de santé en zones fragiles.[1][5] Mais pour les syndicats, cette restriction pénalise les médecins urbains ou ruraux non éligibles, augmentant leur impôt sur le revenu de plusieurs centaines d’euros par an.

« C’est à qui voudra la peau du médecin généraliste »[2]

MG France dénonce, dans un communiqué du 30 octobre 2025, un cumul avec d’autres mesures du PLFSS 2026 comme la stagnation des tarifs.

Ce ciblage sélectif décourage l’exercice libéral en général. Les jeunes médecins, déjà confrontés à des études longues et un démarrage tardif (vers 30 ans), voient leur rémunération nette rognée sans contrepartie.

Un praticien libéral témoigne :

« On est en train de construire les conditions d’un exode des gens formés et une crise de la vocation »[8]

Il souligne les responsabilités écrasantes et l’absence de pauses. Sur LinkedIn, un autre professionnel exprime sa frustration :

« Voilà. À travail égal, ils viennent de baisser les revenus des médecins de manière substantielle… certains vont jeter l’éponge, d’autres changeront leur façon d’exercer… Seul avantage, c’est que tous ceux qui votent de pareilles sottises laissent leur trace… des fossoyeurs du système de santé… qu’on ne nous rebatte plus les oreilles avec l’augmentation conventionnelle… ils viennent de récupérer une partie non négligeable de cette hausse… »[13]

« Ils veulent supprimer progressivement tous les avantages du secteur 1. Bientôt aussi la fin de la prise en charge des cotisations maladie de l’URSSAF par la CNAM ? Le secteur 3 va devenir l’unique échappatoire surtout si zéro avantage du secteur 1. »[14]

Résultat : une attractivité en berne pour la médecine, aggravant les délais d’accès aux soins partout sur le territoire.

Rendre l’exercice de la médecine moins attractif

Les parlementaires socialistes arguent d’une mesure incitative pour l’installation en désert médical, alignée sur le « pacte de lutte contre les déserts » du gouvernement. La littérature scientifique documente pourtant clairement que les incitations financières seules ne suffisent pas à retenir durablement les praticiens dans les zones isolées, contrairement à ce que sous-entendent les députés. Ces primes ou exonérations fiscales ne compensent pas les contraintes quotidiennes endurées dans ces territoires, comme l’isolement professionnel ou les charges administratives accrues. Une approche globale s’impose pour attirer et fixer les médecins : améliorer les conditions de vie et de travail avec des horaires flexibles, des infrastructures médicales modernes, un soutien familial (logements adaptés, écoles de qualité) et un environnement professionnel stimulant. Des études confirment que ces facteurs holistiques surpassent les seuls leviers monétaires pour une installation pérenne. Voir aussi  : les incitations financières ne suffisent pas.

Ce vote ignore aussi clairement les signaux d’alarme des professionnels. Adopté sans consultation préalable des syndicats, l’amendement surprend par sa discrétion.[3] Le gouvernement, bien que non favorable, n’a pas mobilisé ses troupes, laissant passer une disposition qui réduit des avantages fiscaux obtenus dans les années 70.

« Nous n’avons pas à nous excuser »[6]

Jérôme Marty, président de l’UFML-Syndicat, le 3 novembre 2025 sur X, refuse toute « servitude » supplémentaire.

« C’est méprisant et insultant […] c’est dire “ce que vous faisiez hier ne valait pas ça”; c’est l’annonce d’une “érosion continue de notre système de santé”. »[7]

En conditionnant les allègements fiscaux à une installation forcée en zones sous-dotées – où les infrastructures et la qualité de vie posent souvent problème –, les députés découragent non seulement les installations nouvelles mais aussi les reconductions d’exercice. Plus de 10 % des Français n’ont déjà pas de médecin traitant, selon Public Sénat en mai 2025 ; ce vote risque d’étendre ce fléau aux territoires mieux dotés, par simple effet de dissuasion. Les praticiens y voient une vision comptable qui traite le soin comme une ligne budgétaire, au détriment de la pertinence médicale et de l’équilibre territorial réel.

 

Comment décourager l'exercice libéral de la médecine ? 

Dans ce contexte, la séquence législative compose un triptyque limpide : en secteur 3, le déremboursement des soins ; en secteur 2, la sur-cotisation, l’encadrement des dépassements sans revalorisation corrélative des bases ; en secteur 1, la suppression des contreparties fiscales (groupe III et déduction de 3 %), après des années de revalorisations chiches.

S’y ajoute, dénoncent les représentants professionnels, une latitude accrue laissée à la CNAM pour retoucher les règles conventionnelles en cours de route, au gré d’avenants et décisions de gestion, ce qui renforce l’imprévisibilité pour les cabinets. L’ensemble produit le même signal, quel que soit le mode d’exercice : exercer coûte plus, rapporte moins et devient moins prévisible. Les effets attendus sont connus — bascule vers des activités non conventionnées, désengagement partiel, installations différées, baisse des vocations — avec à la clé des délais qui s’allongent et des reports vers l’hôpital. À force de raboter, contraindre, changer les régles, le législateur ne corrige pas la pénurie : il la fabrique, et persévère dans ce qui s’apparente à un acharnement réglementaire.

 

Repère historique — des exonérations conçues comme contreparties du conventionnement

Les allégements spécifiques au secteur 1 (forfait « groupe III » et déduction complémentaire de 3 %) ont été instaurés dans les années 1970 pour « compenser les sujétions du conventionnement à tarifs opposables ». La doctrine fiscale les décrit comme des avantages accordés en raison de l’adhésion à la convention, distincts de l’abattement de 2 % qui, lui, représente des frais professionnels.[9][10] Le barème groupe III est publié et actualisé par l’administration fiscale, avec des montants forfaitaires par tranches (ex. 770 € à 3 050 €).[11]

À l’origine donc, ces mécanismes sont une contrepartie au choix d’exercer à tarifs opposables, afin de maintenir l’attractivité du secteur 1 par rapport aux autres formes d’exercice. Les travaux de synthèse sur la démographie médicale rappellent cet esprit compensatoire et soulignent que les seuls leviers monétaires ne suffisent pas à orienter durablement les installations sans amélioration des conditions d’exercice.[9]

 

Références

1. L’Essentiel de l’Éco, « Fiscalité des médecins : deux abattements supprimés », 31/10/2025. lien

2. MG France, « Le PLFSS canarde la médecine générale ! », 30/10/2025. lien

3. Le Quotidien du Médecin, « Menace sur les abattements fiscaux des médecins libéraux : l’amendement (adopté) que personne n’avait vu venir », 29/10/2025. lien

4. Egora, « Les abattements fiscaux des médecins rabotés par les députés », 02/11/2025. lien

5. Capital.fr, « Budget 2026 : les députés veulent modifier les abattements fiscaux des médecins », 28/10/2025. lien

6. X/@DrJeromeMarty, post du 03/11/2025. lien

7. X/@barriere_dr, post du 18/10/2025. lien

8. X/@ZeClint, post du 28/10/2025. lien

9. DREES, « Remédier aux pénuries de médecins : leçons internationales », 09/12/2021. lien

10. BOFiP, BOI-BNC-SECT-40 : « Médecins conventionnés » — distinction 2 % frais vs avantages liés au conventionnement, 12/05/2021. lien

11. BOFiP, BOI-BAREME-000025 : barème groupe III (770 € – 3 050 €), 05/08/2015. lien

12. Réaction d’un médecin sur LinkedIn, 11/2025. Témoignage communiqué par le lecteur, sans URL publique.

13. Réaction d’un médecin sur LinkedIn, 11/2025. Témoignage communiqué par le lecteur, sans URL publique.

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