L’intégration des innovations dans la recherche et les essais cliniques

L’intégration des innovations dans la recherche et les essais cliniques Dans le cadre des Rencontres de la Cancérologie Française 2019, Pr Christophe Le Tourneau, oncologue médical à l’Institut Curie, explique dans l’interview ci-dessous, l’impact des innovations dans la recherche, avec en particulier l’arrivée de l’immunothérapie, ses impacts sur la prise en charge et la pratique. Pr Le Tourneau met également en avant le travail à poursuivre dans la prévention des cancers et sur l’image des essais cliniques.

L’intégration des innovations dans la recherche et les essais cliniques Pr Christophe Le Tourneau
Oncologue médical à l’Institut Curie et Professeur de médecine à l’université Paris-Saclay.
Chef du Département d’Essais Cliniques Précoces (D3i), ainsi que de l’oncologie ORL.

Ø Quelles ont été les récentes innovations thérapeutiques en cancérologie ?

En dehors des avancées dans le domaine des traitements locaux tels que la chirurgie et la radiothérapie, les innovations thérapeutiques en cancérologie sont de l’ordre de 3 grandes avancées. La première a été la chimiothérapie. Puis, depuis la fin des années 90, du fait d’une meilleure compréhension de la biologie de la cellule tumorale, sont nées les thérapies ciblées. Contrairement à la chimiothérapie, elles ciblent exclusivement l’altération moléculaire présente dans la cellule tumorale. Elles sont donc souvent moins toxiques et plus appropriées puisque l’on sélectionne spécifiquement ce qui différencie les cellules tumorales des cellules saines. Au final, peu de patients sont éligibles pour ces traitements, mais leur efficacité est majeure dans certains sous-types de cancers en particulier de cancers du sein, avec maintenant des taux de guérison bien plus importants qu’avant. Depuis les années 2010, l’immunothérapie a été une révolution avec des médicaments qui ne ciblent pas la cellule tumorale, mais le système immunitaire des patients pour le rendre de nouveau actif. C’est ensuite le système immunitaire du patient qui détruit les cellules tumorales.

L’innovation thérapeutique actuelle repose en grande partie sur les résultats obtenus avec l’immunothérapie, car ce sont ces médicaments qui produisent les résultats les plus spectaculaires. Nous avons en effet certains patients qualifiés auparavant d’incurables, qui sont actuellement en rémission et peut-être guéris de leur cancer grâce à l’immunothérapie. C’est donc devenu la pierre angulaire d’une grande partie de la recherche en cancérologie. En immunothérapie, l’innovation continue via le développement de nouveaux médicaments qui consistent à modifier génétiquement des cellules du système immunitaire, en particulier des lymphocytes du patient, et dont l’efficacité a été démontrée en hématologie. Ces cellules sont modifiées, puis réinjectées pour tuer les cellules tumorales, en particulier pour les leucémies et en développement pour les tumeurs solides. Nous avons également désormais des médicaments qui ciblent l’épigénétique, c’est-à-dire les facteurs qui régulent la transcription des gènes et non l’ADN de la cellule tumorale. Ces médicaments sont efficaces dans certains types de lymphomes.

L’innovation thérapeutique en termes de médicament est toujours au cœur des échanges, étant le domaine le plus actif. Mais, en cancérologie, l’innovation thérapeutique touche tous les domaines dans la prise en charge du patient et s’intéresse aussi à l’intégration des robots en chirurgie, ou encore à la radiothérapie avec de nouvelles techniques de plus en plus précises. Par exemple, les nanoparticules d’hafnium font partie des récentes innovations thérapeutiques. Elles sont injectées dans la tumeur et démultiplient ainsi l’effet de la radiothérapie. Autre exemple, l’intégration de l’intelligence artificielle en cancérologie qui permet la construction d’algorithmes de traitement pour tenter de déterminer le meilleur traitement pour les patients. Plusieurs essais ont été réalisés à l’Institut Curie à Paris et à Saint-Cloud. Il s’agit d’établir la carte génétique du cancer des patients, afin de définir précisément le traitement du patient.

En cancérologie, nous avançons à petits pas. Le grand défi que nous pose le cancer est d’être une maladie hétérogène. Il n’y a pas deux patients qui ont le même cancer, et il y aussi des cellules différentes au sein d’une même tumeur chez un même patient, ce qui complexifie la recherche.

Ø Comment ces innovations changent-elles les pratiques et les prises en charge en cancérologie ?

Pour les traitements comme l’immunothérapie par exemple, la prise en charge des patients est modifiée avec de nouvelles toxicités à prendre en compte propres à l’immunothérapie. L’immunothérapie peut en effet surstimuler le système immunitaire et créer des réactions auto-immunes, qui sont des réactions que nous n’avions pas l’habitude de traiter avant en cancérologie. Ces nouvelles toxicités nécessitent de s’adapter dans les hôpitaux, pour pouvoir les prévenir, les détecter et les soigner.

Avec le séquençage des tumeurs, aujourd’hui il est également indispensable d’avoir la carte génétique des cancers des patients. Cela peut déboucher sur des médicaments disponibles en cas d’une altération moléculaire bien particulière, et ce, indépendamment du type de cancer. Or pour obtenir cette carte génétique, il faut réaliser un séquençage, qui n’est actuellement pas dans les standards. Un des changements majeurs est donc d’intégrer l’analyse du cancer du patient dans le parcours de soin, via des prélèvements non habituels, et le dépassement de contraintes. 

La France en ce sens a créé un plan, le plan « Médecine France Génomique 2025 », qui consiste à mettre en place au niveau national le séquençage des cancers des patients. Ce plan a pour le moment une plateforme à Paris, à laquelle l’Institut Curie participe, ainsi que l’IGR (Gustave Roussy) et l’APHP, et une deuxième à Lyon. L’idée est de couvrir tout le territoire.

Ø Quelles améliorations souhaiteriez-vous voir mises en place ?

Le dépistage en termes de prévention secondaire pour détecter un cancer qui existe déjà et la prévention primaire, le fait de ne pas s’exposer aux agents cancérigènes, ne sont malheureusement pas des domaines de recherche très actifs. Les avancées médicamenteuses sont des domaines de recherche plus investis, car elles engendrent des bénéfices industriels et économiques évidents. Pour la prévention, il est plus compliqué d’obtenir des financements, car ce sont des enjeux de santé publique très importants, mais sans enjeux économiques majeurs pour des industriels. Au-delà de l’innovation, il faudrait effectivement être plus actif dans la prévention. Je pense notamment à notre ennemi numéro 1, le tabac. Si nous éradiquions le tabac, nous éradiquerions un tiers des cancers. Ce serait déjà une belle avancée.

À côté de cela, je pense également que l’image de la recherche clinique pourrait être davantage valorisée. Il y a parfois des patients et même des médecins qui n’ont pas confiance dans les essais cliniques de nouveaux traitements. Les patients y associent parfois une image négative avec cette idée « d’être des cobayes ». Et pourtant, il a été montré que les patients qui participent à la recherche clinique s’en sortaient globalement mieux que les autres. Car les essais cliniques, c’est aussi l’accès à des médicaments des années avant qu’ils ne soient commercialisés. Par exemple, je suis des patients qui ont eu accès à l’immunothérapie via des essais cliniques avant leur commercialisation en France et qui sont actuellement en rémission. Certes, les essais cliniques en tant qu’expérimentation ont un risque de toxicité et de ne pas être efficaces, mais c’est aussi une chance de bénéficier d’un traitement qui peut fonctionner et qui n’est pas disponible en routine. Il faut donc davantage communiquer sur ces avantages d’accès précoce à l’innovation pour les patients et d’accès à ces traitements qui plus est ne coûtent rien à la société, ni aux hôpitaux.

 

Les RCFr 2019 se dérouleront le 26 et 27 novembre 2019 prochains à Paris au Pavillon Cambon, autour de l’intégration en cancérologie. Retrouvez le programme complet sur : https://www.rcfr.eu/programme/le-programme.htm

 

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