Tribune libre : Un grain de prévention vaut bien des millions de vies humaines

Par le docteur Peter LampteyVice président chargé des programmes contre le sida de FHI
Le docteur Willard Cates Vice président chargé des affaires biomédicales

Suite à la XIème Conférence internationale sur le sida qui s'est tenue à Vancouver en juillet 1996, les rapports de percées technologiques en matière de traitement de la maladie ont suscité un renouveau d'espoir et d'espérances. Selon les chercheurs, les nouveaux inhibiteurs de la protéase, pris en conjonction avec d'autres médicaments pour le sida tels que l'AZT, le ddC et le 3TC, peuvent réduire le taux de VIH dans les sujets atteints au point d'obtenir des proportions imperceptibles. Certains chercheurs ont avancé, quoique précautionneusement, la possibilité éventuelle de complètement éradiquer le VIH dans les patients actuellement atteints. En témoignage de cet optimisme, un des principaux périodiques américains, le Time, a proclamé le docteur David Da-i Ho, membre de l'Institut de recherche Aaron Diamond de New York, son "homme de l'année" pour 1996, en raison de sa prédominance dans les efforts scientifiques visant le traitement de la maladie.

Les résultats obtenus à partir des essais d'une nouvelle génération de médicaments contre le VIH sont effectivement très encourageants. Cela dit, cette effervescence aurait tendance à masquer ce qui est -- et continuera d'être --notre arme principale dans la lutte contre le virus, à savoir la prévention. Pire encore, elle risque de nuire aux efforts de prévention en avançant, à tort, que les chercheurs aient effectivement trouvé un "remède" pour le sida.

Ceux qui travaillent dans le domaine de la santé reproductive, quel que soit leur secteur d'activité, ne doivent jamais perdre de vue le besoin universel et pressant de stratégies efficaces de prévention contre le VIH, et que ce besoin se fera sentir pendant de nombreuses années à venir. Pour ceux concernés principalement par la planification familiale, les efforts pour trouver des moyens efficaces et économiques d'incorporer à leurs programmes existants des activités de prévention contre les MST et le VIH doivent continuer à faire partie de leurs priorités.1 La promotion de l'utilisation des préservatifs auprès des clients à risque n'est qu'un des nombreux moyens déjà utilisés par les responsables de planification familiale de nombreux pays pour promouvoir la lutte contre le VIH à travers la prévention.

Il n'y a pas de substitut

Certes, l'utilisation de puissantes combinaisons de drogues antivirales permettra d'améliorer et de prolonger la vie d'un grand nombre de imgpatients séropositifs, mais elle ne remplacera jamais la prévention. En Amérique du Nord, ce type de thérapie s'avère déjà inabordable pour ceux qui sont soit démunis, soit dépourvus d'assurance médicale adéquate. En ce qui concerne les pays en développement, là où se trouvent 90 pour cent des cas de VIH/sida actuels, le coût annuel de ce type de traitement, de l'ordre de 10.000 dollars US par patient, est plus que prohibitif pour la majorité de ceux atteints. Même pour ceux dont les moyens le permettent, ces "cocktails" de médicaments ne sont pas un remède. Non seulement ne connaissons-nous pas la durée prévisible de leur efficacité, mais ils ne marchent pas pour tout le monde. De surcroît, se conformer aux indications n'est pas évident pour tous : les trois médicaments doivent être pris plusieurs fois par jour, accompagnés de plus d'un litre d'eau, parfois à jeun, parfois à la suite d'un repas ayant un taux élevé de matière grasse.

Le coût et la complexité du régime aux trois médicaments (la "trithérapie"), sans parler de la capacité formidable du VIH à s'adapter plus rapidement que tout autre virus connu, soulève le spectre de la résistance aux combinaisons de médicaments multiples. Si le patient ne prend pas ses médicaments comme prévu, ou bien si le traitement est interrompu pour cause d'effets secondaires ou du manque de moyens financiers de la part du patient, de nouvelles souches de la maladie apparaîtront pour résister à la majorité, sinon à l'ensemble, du nombre limité de drogues disponibles. Ces nouvelles souches, de part leur résistance accrue, se propageront et rendront les combinaisons de drogues inefficaces contre le VIH, même pour ceux qui n'en ont jamais pris auparavant.

imgDe nouvelles recherches vont sans doute apporter des traitements plus efficaces et plus faciles à respecter, et nous devons tout faire pour que ceux-ci soient mis à la portée de tous. Une possibilité consiste en une tarification à deux niveaux qui rendrait ces nouvelles combinaisons de médicaments plus abordables dans les pays en développement. Les entreprises des pays industrialisés qui tirent d'énormes bénéfices de la production des médicaments contre le VIH sida ont une obligation morale de travailler avec les organisations gouvernementales et non gouvernementales, ainsi qu'avec ceux atteints par le VIH et le sida, afin d'accroître les possibilités d'accès à ces thérapies essentielles.

Le soutien des recherches sur la prévention du VIH pourrait rapporter des dividendes encore plus importants. Nous savons, grâce aux recherches appliquées entreprises par les programmes de lutte contre le VIH/sida au niveau mondial, que les trois stratégies principales du projet AIDSCAP de FHI et du programme VIH/sida de l'ONU (UNAIDS) -- la communication en vue de modifier les comportements, la promotion des préservatifs et l'amélioration des services de MST -- aident à limiter la transmission du virus. Des études financées par les Instituts nationaux de la santé des Etats-Unis au titre du consortium HIVNET (réseau consacré aux essais en matière de prévention) sur neuf sites internationaux gérés par FHI permettront d'identifier de nouveaux moyens d'appliquer ces trois stratégies dans les pays en développement. Parmi les moyens envisagés se trouvent les vaccins, les microbicides, de nouvelles approches dans le domaine du counseling, et les médicaments prophylactiques périnataux.

La prévention est efficace

Il est évident que l'accès universel à une thérapie antivirale, à la fois efficace et abordable, constitue un objectif lointain. La bonne nouvelle -- celle qui ne fait pas souvent la "Une" des journaux -- est que nous pouvons effectivement réduire les besoins de traitement. Les statistiques démontrent non seulement que la prévention du VIH marche, mais que sont coût ne représente qu'une fraction de celui des traitements médicamenteux.2

Comme lors des recherches fondamentales et des recherches cliniques sur le VIH/sida, les années d'études et de pratique dans la prévention commencent à porter leurs fruits. Cela fait plus d'une décennie que les professionnels de la santé publique et les éducateurs raffinent l'efficacité de leurs approches en vue de ralentir la propagation du VIH.

Nous avons pu déterminer quelles stratégies étaient les plus efficaces et comment les rendre culturellement sensible, politiquement acceptable et économiquement faisable dans plusieurs des régions les moins développées du monde.

Nous avons appris que certains secteurs de la population -- notamment les femmes et les jeunes -- sont particulièrement vulnérables, et qu'ils nécessitent des programmes spéciaux qui s'adressent à leurs besoins particuliers. Aussi, avons-nous trouvé le moyen de travailler avec les organisations locales afin de profiter de leurs liens étroits avec la communauté et ainsi assurer la pérennité des efforts de prévention.

Voici ce que nous avons découvert :

L'éducation de la prévention et la communication permettent de réduire les comportements à risque. Les programmes d'éducation, de counseling et de communication apportent aux populations les connaissances, le savoir-faire et le soutient dont ils ont besoin pour éviter la transmission du VIH. En Ouganda, par exemple, le message "ABC" (acronyme anglais signifiant "abstinence, modification de comportement et préservatif") parvient aux jeunes à travers les écoles, les programmes communautaires et les médias. Ainsi, une réduction de 35 pour cent des cas de VIH parmi les jeunes femmes qui obtiennent des soins prénataux suggère une réduction sensible dans le nombre de nouveaux cas de VIH parmi les jeunes filles et les femmes de 15 à 25 ans entre les périodes 1990-93 et 1994-95.3

Aux Etats-Unis, en Australie et en Europe occidentale, les cas de VIH semblent se stabiliser, grâce en grande partie, à l'efficacité des efforts de prévention dans les cercles homosexuels. Même dans les camps de réfugiés du Rwanda, où la simple survie au quotidien aurait tendance à faire du sida une préoccupation mineure, nombreux sont ceux qui ont réagi aux efforts de prévention en restant fidèle à leurs partenaires.

Le traitement des maladies sexuellement transmissibles aide à prévenir la transmission du VIH.4 La présence de MST évitables peut multiplier la susceptibilité à l'infection par le VIH par un facteur de neuf. Des recherches initiales en Tanzanie ont confirmé que le traitement des MST permet de réduire par plus de 40 pour cent le taux de transmission du VIH. Cela pourrait faire une différence considérable dans les pays en développement où l'on trouve la majorité des cas d'infections sexuellement transmissibles curables.

La promotion de l'utilisation des préservatifs a pour résultat des taux d'infection inférieurs.5 En Thaïlande, la promotion agressive des préservatifs à travers le pays, ainsi que l'action coercitive de l'état en vue de faire respecter l'emploi des préservatifs dans les maisons closes, a entraîné une réduction dans la transmission du VIH et des autres MST. La croissance spectaculaire des ventes de préservatifs dans des pays où, il y a à peine 10 ans de cela, il était pratiquement impossible de les distribuer gratuitement, témoigne encore du succès des activités de prévention du VIH.

Des programmes de commercialisation sociale visant à rendre les préservatifs plus accessibles et plus attrayant pour les utilisateurs potentiels ont vu augmenter les ventes de ceux-ci dans de nombreux pays, depuis l'Haïti jusqu'au Népal, en passant par l'Ethiopie. En Afrique sub-saharienne, les ventes annuelles de préservatifs sont passées de moins de 1 million en 1988, à plus de 167 millions en 1995.6

L'encouragement de modifications au niveau des politiques nationales rend la prévention du VIH possible. Adopter des mesures qui aident à soutenir plutôt qu'à entraver les efforts de prévention est un des moyens les plus importants dont dispose un état pour protéger la population contre l'infection par le VIH. Au Brésil, les ventes de préservatifs se sont décuplées suivant la décision de l'état de supprimer la taxe de 15 pour cent imposée sur les préservatifs d'importation. La politique du "préservatif à 100 pour 100", instaurée par le gouvernement Thaï pour encourager l'utilisation systématique des préservatifs chez les prostituées, a contribué à la réduction des cas de transmission du VIH et des MST, en plus d'avoir inspiré des mesures analogues aux Philippines et en République dominicaine. Partout au monde, lorsque les responsables gouvernementaux se sont prononcés en faveur de mesures de prévention contre le VIH et le sida, leur ouverture d'esprit a encouragé une réponse plus énergique face à l'épidémie.

Renforcer les organisations locales de lutte contre le sida constitue le meilleur moyen de toucher les diverses communautés et de soutenir les efforts de prévention. Entre 1991 et 1995, lorsque l'instabilité politique et l'embargo international paralysait l'Haïti, les organisations non gouvernementales haïtiennes continuaient vaillament leurs efforts de prévention. Avec l'appui du projet AIDSCAP de FHI, financé par l'USAID, ces petits groupes ont initié des programmes de prévention efficaces dans les lieux de travail, les écoles, les églises et les centres communautaires, leur permettant ainsi d'atteindre à la fois les populations urbaines et rurales. En Tanzanie, AIDSCAP a aidé les diverses ONG à abandonner leurs notions de concurrence pour collaborer dans des programmes de prévention visant les régions du pays les plus atteintes par le VIH/sida.

Les programmes globaux de lutte contre le VIH sont ceux qui ont le plus d'impact. L'expérience a démontré que cette réunion des approches de prévention multiplie leur efficacité, créant ainsi un milieu socio-politique qui apporte son soutien aux efforts de modification des comportements à longue échéance et à la réduction des risques. De même que la réunion des diverses thérapies contre le VIH est plus efficace dans le traitement des malades, la combinaison des diverses approches dans les efforts de prévention du VIH ont-elles plus d'impact sur le virus dans les populations les plus atteintes. Les professionnels de la planification familiale ont un rôle essentiel à jouer dans cette approche globale.

Le meilleur investissement

Malgré la réussite de ces stratégies préventives, et malgré le fait qu'aucun remède ou vaccin efficace et abordable n'est encore envisageable, seul un faible pourcentage des fonds réservés aux efforts de lutte contre le VIH/sida est consacré aux programmes de prévention. Et quand bien même nous trouverons un vaccin efficace contre le VIH, il restera imparfait, et nous devrons tout de même avoir recours à l'ensemble des moyens de prévention. Ainsi, cette combinaison de stratégies de prévention du VIH au niveau de la population est-elle analogue à la combinaison des traitements du VIH nécessaires chez l'individu.

Ce besoin devient de plus en plus pressant. D'ici la fin de la décennie, le VIH risque d'atteindre 40 millions d'individus. Dans certaines régions, des générations entières seront dévastées par la maladie, laissant derrière elle des centaines de milliers d'orphelins à la merci de la charité et des services sociaux. Lorsque les travailleurs succomberont au sida pendant leurs années les plus productives, et que les budgets de santé nationaux seront émincés par la croissance des frais de soins que ces malades nécessiteront, les retombées économiques ne manqueront pas de miner les économies fragiles des pays en développement. De telles retombées risquent d'intensifier l'instabilité politique dans ces sociétés fragilisées.

Si nous négligeons de poursuivre nos efforts de prévention contre le VIH en attendant la panacée d'un "remède magique", les conséquences en seront catastrophiques. Quoique nous devons nous féliciter des progrès accomplis par la recherche biomédicale sur le sida, nous ne devons cependant pas oublier que la prévention contre le VIH reste l'un des meilleurs investissements que nous pouvons faire si nous espérons créer un monde plus sain, plus productif et plus stable.

Le docteur Lamptey dirige le projet AIDSCAP de l'USAID, tandis que le docteur Cates supervise la participation de FHI au projet HIVNET de NIH. Cet article a été tiré d'un article des docteurs Lamptey et Cates paru dans le périodique du projet AIDSCAP, AIDScaptions.

Notes

Notes

  1. Cates W Jr. Sexually transmitted diseases and family planning: Strange or natural bedfellows, revisited. Sex Transm Dis 1993;20:174-78. Stein Z. Editorial: Family planning, sexually transmitted diseases, and the prevention of AIDS -- divided we fail? Am J Public Health 1996;86:783-84.
  2. St Louis ME, Wasserheit JN, Gayle HD. JANUS considers the HIV pandemic: Harnessing recent advances to enhance AIDS prevention. Am J Public Health, in press. Coates TJ, Aggleton P, Gutzwiller F, et al. HIV prevention in developing countries. Lancet 1996;348:1143-48.
  3. The Status and Trends of the Global HIV/AIDS Pandemic Symposium, Final Report. (Arlington, VA: AIDSCAP/Family Health International, Harvard School of Public Health and UNAIDS, 1996) 17.
  4. Dallabetta G, Laga M, Lamptey P. Control of Sexually Transmitted Diseases: A Handbook for the Design and Management of Programs. Arlington, VA: AIDSCAP/Family Health International, 1996; Grosskurth H, Mosha F, Todd J, et al. Impact of improved treatment of sexually transmitted diseases on HIV infection in rural Tanzania: Randominzed control trial. Lancet 1995;346:530-36; Committee on Prevention and Control of Sexually Transmitted Diseases, Eng TR, Butler WT, eds. The Hidden Epidemic: Confronting Sexually Transmitted Diseases. Washington: National Academy Press, 1996.
  5. Hanenberg RS, Rojanapithayakorn W, Kunasol P, et al. Impact of Thailand's HIV-control programme as indicated by the decline of sexually transmitted diseases. Lancet 1994;334:243-45.
  6. Population Services International sales reports, unpublished.

    Network, Hiver 1997, Volume 17, Numéro 2 .
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    © Copyright 1999, Family Health International (FHI)




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