Plainte de la SPILF : pourquoi le Professeur RAOULT ne risque-t-il (probablement) rien ?

Plainte de la SPILF : pourquoi le Professeur RAOULT ne risque-t-il (probablement) rien ? Puisqu’il est de tradition, désormais acquise, que les plus éminents médecins de ce pays règlent leurs comptes à travers tribunes et espaces médiatiques interposés, la France entière a eu le plaisir de découvrir dans les colonnes du Figaro que la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF) a déposé une plainte ordinale détaillée contre le Professeur RAOULT, que la presse a pu lire dans le détail, semble-t-il. L’IHU, pour sa part, a indiqué ne pas avoir pris connaissance de cette dernière et ne pas être dès lors en mesure de la commenter.

Les griefs sont nombreux, et ont été abondamment cités dans les différents journaux, allant pour faire simple d’une communication non conforme aux règles déontologiques, à des pratiques dangereuses, et au manquement à la confraternité.

Chaque journal, chaque éditorialiste y est allé de son commentaire et de sa spéculation sur les peines qu’encourait le Professeur RAOULT devant la Chambre Disciplinaire, maniant à souhait l’art désormais acquis des projections, des probabilités et des statistiques.

Mais la vérité que personne n’a cru devoir retenir est qu’en l’état, l’infectiologue le plus populaire de France ne risque rien, absolument rien, ou disons pour être honnête, très probablement rien, et ce en raison de l’irrecevabilité de la plainte de la SPILF, dont j’ai encore bien du mal à saisir quel était l’intérêt, autre que médiatique, s’entend.

La presse s’est largement fait l’écho du schéma classique de la plainte disciplinaire, mais il convient sans doute de la reprendre d’un mot, l’occasion étant donnée de pouvoir faire un rappel utile du mécanisme particulier de la déontologie et de ses manquements.

L’auteur d’une plainte disciplinaire saisit l’Ordre Départemental des Médecins.

L’article L4123 — 2 du code de la santé publique expose :

« Lorsqu’une plainte est portée devant le Conseil Départemental, son président en accuse réception à l’auteur, en informe le médecin (…) mis en cause et les convoque dans un délai d’un mois à compter de la date d’enregistrement de la plainte en vue d’une conciliation. En cas d’échec de celle-ci, il transmet la plainte à la Chambre Disciplinaire de Première Instance avec l’avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d’enregistrement de la plainte, en s’y associant le cas échéant ».

Le premier élément à retenir est le fait que le plaignant n’a pas accès direct à la Chambre Disciplinaire à ce stade de la procédure, et ce en raison de la nécessité d’organiser une conciliation entre les parties, aux fins de tenter un indispensable rapprochement.

D’une façon générale, les institutions ordinales considèrent que le dialogue est source d’apaisement et doit être privilégié en toute circonstance, raison pour laquelle chaque Ordre est tenu d’instaurer en son sein une commission de conciliation, dont le rôle, précisément, est de recevoir les plaintes et d’organiser une rencontre entre les parties.

En effet, selon l’article R 4123-20 du code de la santé publique, « les parties au litige sont convoquées à une réunion et entendues par le ou les membres de la commission pour rechercher une conciliation ».

Ne pas se présenter à une telle conciliation constitue per se une faute déontologique, en vertu de l’article R4127-56 du code de la santé publique selon lequel :

« Les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité. Un médecin qui a un différend avec un confrère doit rechercher une conciliation, au besoin par l’intermédiaire du Conseil Départemental de l’Ordre ».

S’y présenter ne saurait cependant signifier accepter un accord, et les parties restent pleinement libres : pour l’une, de maintenir sa plainte, pour l’autre, le cas échéant, de refuser toute idée de conciliation.

En cas de conciliation, l’Ordre Départemental rédige un procès-verbal de conciliation reprenant les points d’accord, et qui engage les parties, au point qu’en cas de violation de celui-ci, des poursuites disciplinaires seraient susceptibles de pouvoir être engagées à l’encontre de l’auteur de cette dernière, sans préjudice d’une éventuelle action en responsabilité civile.

La conciliation peut être totale ou partielle et alors ne porter que sur une partie des éléments de la plainte, ne mettant fin au litige que sur ces derniers.

À l’issue de la réunion de la conciliation, l’Ordre Départemental se réunit en assemblée plénière aux fins de transmission de la plainte à la Chambre Disciplinaire.

Et ici, nait une particularité propre à la discipline des professions de santé.

En effet l’Ordre Départemental est tenu de transmettre la plainte à la Chambre Disciplinaire, avec son avis motivé. Il ne s’agit pas d’un droit, mais d’un devoir, et ce quoiqu’il pense des mérites de cette dernière. En d’autres termes, il ne dispose d’aucun pouvoir de filtre, et n’est pas, dans ce contexte, une autorité de poursuite, comme pourrait l’être le Ministère Public en cas de poursuites pénales par exemple.

En réalité, la vraie question n’est donc pas celle de savoir s’il transmet la plainte à la Chambre Disciplinaire, puisqu’il y est légalement tenu, mais s’il s’associe à cette dernière, signifiant par là qu’il estime les manquements suffisamment graves pour reprendre à son compte les termes de la requête dont il a été saisi, se les appropriant, et décidant à son tour de poursuivre le praticien initialement mis en cause.

Il n’est pas tenu de le faire, cela va de soi, mais c’est une possibilité qui lui est offerte, et dont il ne se prive d’ailleurs pas, lorsqu’il estime que l’atteinte à la déontologie est suffisamment grave pour qu’il doive symboliquement avoir la qualité de partie devant la juridiction disciplinaire et disposer de la qualité de partie, pour faire valoir ses arguments.

D’ailleurs, on note que même en cas de conciliation totale, l’Ordre Départemental a parfaitement le droit de décider de poursuivre lui-même directement le praticien concerné par la plainte.

Pour le dire autrement, la conciliation à laquelle parviennent éventuellement les parties n’interdit pas à l’Ordre Départemental des Médecins de poursuivre lui-même et en son nom l’auteur de faits qu’il estime contraires à la déontologie. Dans ce cas, il défendra seul sa plainte devant la Chambre Disciplinaire, puisque le plaignant initial a mis fin à l’instance par une conciliation.

Après cette phase initiale, l’affaire est renvoyée devant la Chambre Disciplinaire Régionale de l’Ordre, présidée par un magistrat de l’Ordre Administratif, assisté de membres de la profession à laquelle appartient la personne mise en cause.

Juridiction de l’Ordre Administratif : la procédure devant elle est principalement écrite au travers de mémoires échangées entre les parties par l’intermédiaire du greffe, jusqu’au moment où l’instruction est close et une audience publique se tient, pour notamment répondre aux questions posées par les membres de la Chambre.

L’exercice est rude et il convient de se montrer d’une grande prudence, en ce que la particularité de la procédure disciplinaire est que la juridiction n’est pas saisie d’une plainte, mais d’un comportement professionnel, signifiant que, sous réserve de respecter le principe du contradictoire, le praticien mis en cause peut être condamné pour des faits qui ne lui étaient pourtant pas reprochés par le plaignant, mais qui seraient par exemple apparus en cours d’instance.

Le jugement rendu est motivé en droit et en fait, et soit conclut au rejet de la plainte, soit accueille celle-ci et condamne la personne poursuivie à une peine pouvant aller de l’avertissement à l’interdiction définitive d’exercer la médecine, précision faite que dans ce cas, une levée d’interdiction peut être demandée tous les trois ans.

Un appel est possible devant la Chambre Disciplinaire Nationale, celui-ci présentant un caractère suspensif.

En substance, les informations ci-dessus évoquées se retrouvent presque toutes dans la presse, et grâce au Professeur RAOULT et à la SPILF, presque plus personne n’ignore les grandes lignes de la procédure disciplinaire des professionnels de santé.

Mais dans l’affaire du Professeur RAOULT, cette procédure… n’est juste pas applicable, et on regrette que l’ensemble des médias, y compris les plus spécialisés n’aient guère pris le temps de le rappeler.

En effet, s’il est tout à fait exact que la plainte va donner lieu à une conciliation ordinale, dès lors que, comme vu précédemment, il s’agit d’une obligation, et s’il est encore exact que cette même plainte fera l’objet d’une transmission automatique à la Chambre Disciplinaire de l’Ordre, celle-ci n’a cependant aucune chance d’aboutir, puisqu’irrecevable.

En effet, l’article L4124-2 du code de la santé publique dispose :

« Les médecins, les chirurgiens-dentistes ou les sages-femmes chargés d’un service public et inscrits au tableau de l’Ordre ne peuvent être traduits devant la Chambre Disciplinaire de Première Instance, à l’occasion des actes de leur fonction publique, que par le Ministre chargé de la Santé, le représentant de l’État dans le département, le Directeur Général de l’Agence Régionale de Santé, le Procureur de la République, le Conseil National ou le Conseil Départemental au tableau duquel le praticien est inscrit ».

Cet article instaure une protection des praticiens chargés d’une mission de service public, en restreignant le nombre de personnes susceptibles de pouvoir les traduire devant la Chambre Disciplinaire, puisqu’on le constate, ni les patients, ni les confrères, ni les organisations associatives ou syndicales ne peuvent espérer obtenir la condamnation de ces derniers.

Un tel droit est conféré uniquement au Ministre de la Santé, au Préfet, au Directeur de l’ARS, au Procureur de la République, et enfin au Conseil Départemental et au Conseil National de l’Ordre.

On observe le caractère cumulatif des conditions posées par le texte : le praticien doit être chargé d’une mission de service public, et les manquements qui lui sont prêtés doivent avoir été commis dans l’exercice de sa fonction publique.

Or, un praticien hospitalier, au surplus Professeur des universités est bien en charge d’une mission de service public, de sorte que s’agissant de la première condition, s’agissant du professeur RAOULT, il est difficilement contestable de considérer celle-ci comme n’étant pas remplie.

Reste la deuxième question qui est donc de savoir si les manquements qui lui sont reprochés sont liés à l’exercice de sa fonction publique et plus encore, commis à l’occasion de cette dernière.

La réponse dépend évidemment de chaque grief, et l’analyse ici présentée ne se base que sur la plainte telle que présentée par la presse, faute de disposer du texte original.

Le 1er reproche concerne la prescription de son protocole, la plainte étant ainsi libellée :

« Le professeur Didier RAOULT a délibérément prescrit de l’hydroxychloroquine souvent associée à de l’azithromycine à des patients atteints de Covid-19 sans qu’aucune donnée acquise de la science ne soit clairement établie à ce sujet, et en infraction avec les recommandations des autorités de santé ».

On voit donc que le reproche est directement lié à l’exercice de son art médical, et dès lors, à supposer cette prescription comme contraire à la déontologie, il ne fait aucun doute qu’elle est intervenue à l’occasion de sa fonction publique, rendant le plaignant irrecevable à pouvoir lui en faire grief.

Le second grief, toujours à en croire la presse, serait ainsi libellé :

« On peut se demander si ses prises de position très tranchées (…) n’ont pas contribué à nuire au message de prévention et de santé publique et donc à la protection de la population, en décrédibilisant ces mesures de prévention sur des bases scientifiques infondées ».

Il est assez difficile d’articuler un grief autour de cette phrase, qui ressemble plus à un commentaire qu’à un réel reproche au sens juridique du terme, mais on devine qu’il s’agit, in fine, de la communication faite autour du traitement dont il est le promoteur.

En somme, on lui reprocherait d’avoir présenté comme salutaire un traitement non encore éprouvé.

Le point de savoir si cette communication a été faite dans l’exercice de sa fonction publique peut être objectivement débattu, mais il apparait difficile de soutenir l’inverse, au moins s’agissant de ses vidéos YouTube, lesquelles ont été faites au sein de l’IHU, et visent, in fine, une information du public.

La problématique nous semble différente s’agissant de ses interventions télévisées sur les plateaux des chaines nationales par exemple, ou dans la presse écrite.

On aurait pu imaginer de soutenir que tenus hors de l’enceinte de l’IHU et ne se rapportant pas directement à l’exercice de la médecine, ils échappaient à la règle de l’irrecevabilité.

Mais, sans entrer dans des détails techniques qui perdent les meilleurs étudiants en droit, il faut retenir qu’est considéré, d’une façon générale, que depuis maintenant un siècle et demi, la jurisprudence du Conseil d’État considère que la faute qui se détache du service, est celle « d’une gravité exceptionnelle, et inexcusable, ou n’ayant aucun rapport avec l’activité publique ».

D’une façon générale, on considère, par emprunt au contentieux de la responsabilité administrative, qu’est une faute de service, celle qui n’est pas dépourvue de tout lien avec le service.

Il parait, dans la situation du Professeur RAOULT, difficile de considérer que ses propos sont dépourvus de tout lien avec le service public qu’il exerce, alors qu’ils n’en sont, en réalité que le prolongement.

La question n’est pas celle de savoir si la communication était ou non conforme au code de déontologie, mais juste de savoir si celle-ci, ayant été faite en dehors du service, peut se rattacher à celui-ci, et à ce titre, bénéficier de la « protection » de l’article L4124-2 du code de la santé publique.

La réponse semble, au regard de la jurisprudence, largement positive, tant il est constant qu’il est de tradition administrative de privilégier la faute de service par rapport à la faute personnelle.

Au regard de ces considérations, la plainte de la société savante d’infectiologie semble largement vouée à l’échec, avec une irrecevabilité que la Chambre Disciplinaire pourra relever d’office.

La seule option pour que le Professeur RAOULT puisse potentiellement être condamné à une peine quelconque, serait que l’Ordre Départemental des Médecins ou une instance quelconque visée à l’article L4124-2 du code de la santé publique dépose lui-même une plainte, mais il s’agirait alors d’une procédure totalement distincte de celle engagée par la SP.

Plainte de la SPILF : pourquoi le Professeur RAOULT ne risque-t-il (probablement) rien ? Maître Fabrice Di Vizio, avocat spécialiste des médecins libéraux

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Crédit Photo pour l'illustration : IHUMI

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