Un kit d'auto-renouvellement similaire à celui des cellules souches embryonnaires sommeille dans certaines cellules immunitaires.

Le renouvellement de nos organes usagés est normalement assuré par un pool de cellules souches. Contrairement aux cellules matures, ces dernières ont la capacité de se multipler mais aussi de se différencier c'est à dire de donner naissance à des cellules spécialisées.

Aujourd'hui, une équipe de recherche franco-allemande du Centre d'Immunologie de Marseille Luminy (CNRS, Inserm, Aix Marseille Université) et du Centre de Médecine Moléculaire Max Delbrück de Berlin-Buch, a cependant découvert que certaines cellules immunitaires matures, les macrophages, sont en réalité capables de se multiplier presque à l'infini et donc de s'auto-renouveler.

Comme les chercheurs le démontrent dans l'édition en ligne de la revue Science du 21 janvier, elles activent à cette fin un réseau de gènes partagé avec celui des cellules souches embryonnaires. Cette découverte inattendue pourrait ouvrir de nouvelles perspectives en matière de médecine régénératrice et de thérapies.

Les cellules de notre corps sont en perpétuel renouvellement : de nouvelles cellules remplacent en permanence les cellules spécialisées contribuant ainsi au maintien de l'homéostasie de nos tissus (peau, intestin, sang...) mais aussi à leur réparation lorsque ces derniers sont endommagés. Jusqu'à présent, il était entendu que le renouvellement cellulaire d'un tissu était le domaine réservé des cellules souches spécifiques de ce dernier; incapables de se diviser, les cellules différenciées ne semblaient pas en mesure d'assurer une telle prouesse. Progressivement, les chercheurs ont cependant révélé quelques exceptions à cette règle : à l'instar de leurs progéniteurs, certaines lignées de cellules immunitaires déjà différenciées sont dotées de propriétes d'auto-renouvellement. Ainsi, les macrophages, acteurs clefs de la réponse immunitaire et de la régénération tissulaire, sont capables de se multiplier sans l'aide des cellules souches.

Il y a quelques années, une équipe du CIML et du MDC dirigée par Michael Sieweke, immunologiste et spécialiste des cellules souches, a montré que, sous certaines conditions, les macrophages pouvaient se divisertout en conservant leurs propriétés spécifiques. Chez la souris, les chercheurs ont ainsi démontré que des facteurs de transcription (des « interrupteurs » à gènes), dénommés MafB et c-Maf, jouent un rôle décisif dans ce processus. Grâce à des manipulations génétiques, ils étaient parvenus à "éteindre" les gènes en charge de la fabrication de ces protéines dans les macrophages ce qui avait déclenché en retour "la mise en route" de ce qui semblait bien être un mécanisme d'auto-renouvellement. Une fois « réveillés », ces macrophages avaient pu se multiplier en culture quasi indéfiniment ce qui semblait impensable au vu de leur statut de cellules différenciées.

Dans cette nouvelle étude, l'équipe de Michael Sieweke franchit une nouvelle étape en démontrant cette fois qu'on peut reproduire le même phénomène dans des macrophages issus de souris n'ayant subi aucune manipulation génétique (à condition toutefois que les concentrations de MafB et c-Maf soient naturellement faibles ou que ces protéines aient été au préalable inhibées pendant une courte période)

« La question que nous nous sommes posée a été de savoir comment tout cela était possible, en d'autres termes, quels étaient les mécanismes et les gènes qui permettaient aux macrophages de s'auto-renouveler? » rappelle le Dr Michael Sieweke, Directeur de Recherche CNRS à la tête de cette équipe de recherche INSERM-Helmholtz. Pour cela, les chercheurs ont comparé les macrophages aux cellules souches embryonnaires dotées des mêmes propriétés d'auto-renouvellement. « Nous avons alors découvert que les macrophages renferment un pool de gènes silencieux qui peut être "révéillé" et ansi confèrer aux cellules la capacité de s'auto-renouveler » déclare Michael Sieweke.

Peu de temps après, les chercheurs ont effectué une autre découverte surprenante : dans les macrophages, le réseau fonctionnel établi par ces gènes est très similaire à celui que mettent en œuvre les cellules souches embryonnaires lorsqu'elles se divisent. « Nous pouvons donc en conclure que les cellules différenciées ont les moyens d'accéder à ce réseau silencieux de gènes responsable de la prolifération des cellules souches » explique Michael Sieweke.

Bien que les réseaux actifs de gènes soient similaires dans les deux types de cellules, leur gestion diffère de bien des façons : ils sont controlés par des facteurs de transcription et des éléments dits régulateurs spécifiques de chacun de ces types de cellules. « En réalité, c'est plutôt une bonne nouvelle de constater que des cellules mature comme les macrophages peuvent activer les mêmes gènes d'auto-renouvellementque les cellules souches en utilisant leurs propres facteurs de régulation » souligne Michael Siweke. Et d'ajouter « En clair, cela signifie que nous pouvons amplifier ces cellules sans changer leur identité ».

Michael Sieweke est convaincu que ces découvertes trouveront un jour des applications utiles dans le domaine de la médecine régénérative. « Si des cellules différenciées pouvaient être produites directement, ildeviendrait alors envisageable de remplacer des tissus malades en s'affranchissant des cellules souches embryonnaires ou des cellules souches induites, c'est à dire issues de la reprogrammation génétique decellules adultes" déclare Michael Sieweke. Il ajoute que ce réseau de gènes silencieux pourrait aussi être activé dans d'autres familles de cellules différenciées comme les cellules hépatiques par exemple, qui elles aussi sont capables de s'auto-renouveler sous certaines conditions.

Les macrophages eux-mêmes pourraient aussi être utilisés pour stimuler la régénération tissulaire, puisqu'au delà de combattre les infections, ils contribuent également au maintien de l'homéostasie de nos tissus. La transplantation des macrophages pourrait ainsi s'avérer très utile pour stimuler la régénération dans des indications où des protocoles à base de cellules souches ont déjà été envisagés ou testés comme l'infarctus du myocarde ou certaines maladies pulmonaires ou musculaires. L'équipe a déjà démontré que les macrophages cultivés en laboratoire conservaient leurs propriétés : une fois reinjectés  dans des souris, ils réintègrent sans incident les tissus et remplissent normalement leurs fonctions. « De part leur fonctions spécifiques dans la maintenance et la régénération des tissus, les macrophages sont en quelque sorte les jardiniers et les gardiens de nos tissus »conclut Michael Sieweke.

À propos de l'équipe "biologie de la cellule souche et du macrophage"

 Créé au CIML en 1999 par le Dr Michael SIEWEKE, membre de l'EMBO et chercheur invité à la fondation Einstein de Berlin, l'équipe bénéficie aujourd'hui de la collaboration entre le Centre d'Immunologie de Marseille-Luminy (CNRS, Inserm, Aix-Marseille Université) et le Centre de Médecine Moléculaire Max Delbrück de Berlin-Buch, inititée conjointement en 2012 par l'Inserm et la société Hermann-von-Helmholtz.

 Ses travaux se situent à l'interface de l'immunologie et de la biologie des cellules souches, des cellules capables de se renouveler et se différencier en de nombreux types cellulaires. Aux yeux des scientifiques et des médecins, ces dernières constituent ainsi le principal espoir de la médecine dite régénératrice qui vise à remplacer des cellules dégénérées ou malades par des cellules « neuves ». En travaillant sur les cellules souches hématopoïétiques, les ancêtres de toutes nos cellules sanguines, l'équipe a découvert que ces dernières ne s'engageaient pas de façon aléatoire dans telle ou telle voie de différenciation mais « décidaient » de leur destin sous l'influence de facteurs externes. À terme, l'objectif est de parvenir à stimuler leur production dans des situations d'urgences ou lors de transplantations de cellules souches hématopoïétiques.

 

Récemment, l'équipe a remis en cause l'un des dogmes de la biologie qui veut qu'une fois spécialisée la cellule perde sa capacité à de diviser. Grâce à une petite modification génétique, ils sont parvenus à cultiver à l'infini des cellules adultes fonctionnellement efficaces. La médecine régénératrice pourrait ainsi franchir une nouvelle étape en amplifiant directement des cellules matures sans passer par l'intermédiaire de cellules souches !

 

À propos du CIML

 

Fondé en 1976, le Centre d'immunologie de Marseille-Luminy est un institut de recherche internationalement reconnu dans la discipline. Le CIML est aussi un centre d'avant garde en matière d'organisation qui, dès sa création, a développé des pratiques et des usages propres à favoriser la créativité et la prise de risque de ses chercheurs.

 

Du ver à l'homme, de la molécule à l'organisme entier, du physiologique au pathologique, le CIML aborde, sur nombres de modèles et d'échelles, tous les champs de l'immunologie contemporaine: la genèse des différentes populations cellulaires, leurs modes de différenciation et d'activation, leurs implications dans les cancers, les maladies infectieuses et inflammatoires et les mécanismes de la mort cellulaire.

 

Membre fondateur du cluster Marseille Immunopôle, le CIML est une Unité Mixte de Recherche du CNRS, de l'Inserm et d'Aix-Marseille Université. Dirigé par le Professeur Eric Vivier, il comprend 17 laboratoires et un effectif de 250 personnes. Le CIML célébrera son 40ème anniversaire en 2016, qui sera également l'année de l'immunologie.

 

Plus d'informations sur : www.ciml.univ-mrs.fr

 

Source

 

Activation of Self-Renewal Gene Network on a Macrophage-Specific Enhancer Platform

Erinn L. Soucie*#1,2,3,4, Ziming Weng#5, Laufey Geirsdóttir#1,2,3, Kaaweh Molawi#1,2,3,6, Julien Maurizio1,2,3, Romain Fenouil1,2,3, Noushine Mossadegh-Keller1,2,3, Gregory Gimenez1,2,3, Laurent VanHille1,2,3, Meryam Beniazza1,2,3, Jeremy Favret1,2,3, Pierre Perrin1,2,3, Nir Hacohen7, J.-C. Andrau1,2,3,8, Pierre Ferrier1,2,3, Patrice Dubreuil4, Arend Sidow*5,9, Michael H. Sieweke*1,2,3,6

 

1 Centre d'Immunologie de Marseille-Luminy (CIML), Université Aix-Marseille, UM2, Campus de Luminy, Case 906,  13288 Marseille Cedex 09, France

2 Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), U1104, Marseille, France

3 Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), UMR7280, Marseille, France

4 Centre de Recherche en Cancérologie de Marseille, INSERM (U1068), CNRS (U7258),

Université Aix-Marseille (UM105), Marseille, France

5 Department of Pathology, Stanford University, Stanford, CA 94305-5324, USA

6 Max-Delbru??ck-Centrum fu??r Molekulare Medizin (MDC), Robert-Rössle-Str. 10, 13125 Berlin, Germany

7 Broad Institute of Harvard University and MIT, Cambridge, MA02142, USA

8 IGMM, CNRS UMR5535, 1919 Route de Mende, 34293 Montpellier, France

9 Department of Genetics, Stanford University, Stanford, CA 94305

Descripteur MESH : Cellules , Cellules souches , Cellules souches embryonnaires , Macrophages , Gènes , Médecine , Tissus , Régénération , Biologie , Berlin , Génétique , Homéostasie , Recherche , Cellules souches hématopoïétiques , Médecine moléculaire , Urgences , Réseau , Prise de risque , Risque , Rôle , Sang , Temps , Tête , Transplantation , Personnes , Peau , Mort cellulaire , Mort , Médecins , Médecine régénérative , Maintenance , Laboratoires , Infarctus , Édition , Créativité , Cellules sanguines

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