Après la publication d’une tribune dénonçant l’essai sauvage de Didier Raoult, l’ANSM envisage de saisir la justice
Dans une tribune parue dans Le Monde, 16 sociétés savantes dénoncent le déroulement de ce qu’elles qualifient comme « le plus grand essai thérapeutique sauvage jamais réalisé » et demandent des sanctions contre le professeur Didier Raoult, ancien directeur de l’Institut hospitalier universitaire (IHU) Méditerranée Infection, à Marseille. L’ANSM déclare son intention de saisir la justice.
16 sociétés savantes dénoncent l’essai sauvage du Pr Raoult
Le professeur Didier Raoult est une figure controversée de la communauté médicale française en raison de ses recherches et de ses déclarations sur l’hydroxychloroquine, un médicament antipaludéen, comme traitement potentiel pour le COVID-19. Au début de la pandémie, l’IHU Méditerranée Infection a proposé l’hydroxychloroquine comme remède et a traité plus de 30 000 patients avec ce médicament entre mars 2020 et décembre 2021.
Cette prescription à grande échelle est considérée par plusieurs sociétés savantes comme « le plus grand essai thérapeutique sauvage connu à ce jour ». Les médecins, pharmacologues, infectiologues et cardiologues signataires de la tribune dénoncent plusieurs aspects du traitement de l’hydroxychloroquine administré par l’IHU Méditerranée Infection.
Traitement systématique
Les signataires de la tribune affirment que les règles élémentaires ont été largement enfreintes par certains biologistes et cliniciens de l’IHU, notamment au plus fort de la crise sanitaire. Ils dénoncent un traitement administré de manière systématique à plus de 30 000 patients atteints du COVID-19, même s’ils étaient asymptomatiques. Les ordonnances étaient standardisées, le médecin n’avait qu’à cocher des cases ou rayer un médicament.
« La prescription systématique aux patients atteints du Covid-19, quels que soient leur âge et leurs symptômes, de médicaments aussi variés que l’hydroxychloroquine, le zinc, l’ivermectine ou l’azithromycine, sur des ordonnances préimprimées, s’est d’abord effectuée sans bases pharmacologiques solides, et en l’absence de toute preuve d’efficacité… ces prescriptions systématiques ont été poursuivies, ce qui est plus grave, pendant plus d’un an après la démonstration formelle de leur inefficacité »
Consentement des patients
Les signataires s’interrogent également sur le consentement éclairé des participants à cette étude clinique « sauvage », réalisée sans l’aval de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Ils demandent si les patients de l’IHU étaient informés de leur participation à une étude clinique.
Risques liés à l’hydroxychloroquine
Le professeur Drici, cardiologue au CHU de Nice, explique sur France3 comment la toxicité cardiaque de l’hydroxychloroquine a été rapidement décelée via une trentaine de centres de pharmacologie.
« Dans le mois qui a suivi l’utilisation, nous avions 103 cas. Aux alentours de l’été, nous avions 180 cas liés à l’hydroxychloroquine, dont 8 arrêts cardiaques, 4 ayant pu être récupérés. »
Selon le Pr Molimard, la motivation sous-jacente de cette approche serait la volonté de publier. En effet, le système Sigaps (Système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques) permet de générer des revenus pour les institutions à travers les publications scientifiques, créant un modèle économique basé sur la recherche plutôt que sur le soin.
Silence des autorités et protection présidentielle
Les signataires de la tribune s’étonnent du silence des autorités de tutelle face à ces manquements. Ils estiment que les textes juridiques encadrant la recherche clinique ont été « largement et systématiquement bafoués, sans réaction des autorités administratives, ordinales ou judiciaires à la hauteur de la gravité de ces anomalies. »
Au Sénat, le Dr Jomier (écologiste, apparenté PS) a interpellé le ministre de la Santé sur ce sujet qui lui a répondu que le gouvernement a saisi le parquet de Marseille en septembre et réclamé un « plan de redressement » à la nouvelle direction et aux administrateurs de l’IHU. Pour le ministre, la justice suit son cours et des sanctions administratives pourraient être envisagées contre une partie des signataires de cette étude.
Mais le sénateur peu satisfait de cette réponse a avancé une autre hypothèse pouvant expliquer l’inertie des autorités sanitaires.
« Il y a deux ans, les alertes étaient déjà nombreuses… Si l’ensemble des institutions de notre pays et les ministres se sont tus et ont fait preuve de faiblesse, c’est peut-être parce que le chef de l’État est allé couvrir de sa chaleureuse immunité le patron de l’IHU. Et c’est un dysfonctionnement grave de nos institutions ».
J’ai déposé ce jour une question écrite à la Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche relative à la recherche manifestement illégale menée sur 30 000 personnes par l’IHU Méditerranée pendant l’épidémie #Covid_19 👇 pic.twitter.com/XdCmG1LhTn
— Bernard Jomier (@BernardJomier) May 30, 2023
Une "tribune d’imbéciles" selon le Pr Raoult
Le professeur Raoult a répondu aux critiques en dénonçant une « tribune d’imbéciles » et en demandant que les autorités fassent leur enquête sur l’hydroxychloroquine. Il affirme également que l’étude publiée par l’IHU n’est pas un essai thérapeutique, mais une étude rétrospective.
Ce que semble confirmer Pierre-Édouard Fournier, nouveau directeur de l’IHU pour lemonde.fr : « La décision de réaliser cette étude a été prise bien longtemps après que les patients ont été traités, indique Pierre-Edouard Fournier. Donc il n’était pas nécessaire de porter tout cela devant un comité de protection des personnes ou devant l’ANSM. D’ailleurs, l’ANSM, dont c’est le rôle, n’a pas relevé d’anomalies lors de sa dernière inspection. »
L’ANSM déclare qu’elle s’apprête à saisir la justice
L’ANSM a effectué une étude approfondie du programme de recherche et a conclu que celui-ci pouvait être classifié comme une « recherche impliquant la personne humaine (RIPH) de catégorie 1". En d’autres termes, il aurait dû recevoir l’approbation d’un Comité de protection des personnes (CPP) et une autorisation de l’ANSM avant d’être mis en place. Vendredi soir, Didier Raoult a déclaré qu’il avait retiré l’étude concernée.
Pour donner suite aux précédents rapports de l’ANSM, le parquet de Marseille avait ouvert une enquête judiciaire le 14 juillet 2022 sur des essais cliniques menés à l’IHU. Ces derniers étaient suspectés de « faux en écriture », « usage de faux » et de « recherche interventionnelle non justifiée par sa prise en charge habituelle sans obtenir l’avis du comité de protection des personnes et l’autorisation de l’ANSM ».
Dans le contexte de cette enquête, les gendarmes de l’Oclaesp (Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique) ont effectué une perquisition à l’IHU de Marseille le mercredi 31 mai, afin de recueillir des documents liés à ces essais cliniques réalisés entre 2021 et 2022.
Une étude retirée sous la pression
Face à l’insistance de la direction des hôpitaux marseillais, Didier Raoult et ses co-auteurs ont pris la décision de retirer leur étude. « Par solidarité envers le Pr Lagier, menacé par la direction, tous les auteurs (dont moi) de l’avant-projet qui suscite tant de craintes en démontrant la possibilité de soigner, ont opté pour le retrait du pré-print afin d’éviter toute suspicion de trahison de sa part et de préserver les plus jeunes », a déclaré Didier Raoult dans un tweet le vendredi 2 juin au soir.
C'est nous les gentils !
— Didier Raoult (@raoult_didier) June 2, 2023
Tous les auteurs (dont moi) du preprint qui fait si peur en montrant que l'on pouvait soigner,ont décidé ,par solidarité avec le Pr Lagier menacé par la direction, de retirer le preprint pour ne pas laisser croire à une trahison de sa part et pour…
Un peu plus tôt, les hôpitaux marseillais (AP-HM) avaient révélé, toujours via Twitter, que « suite à des discussions avec la Direction Générale, le Pr Jean-Christophe Lagier, co-auteur et responsable du service dans le pôle des maladies infectieuses, a annoncé ce jour le retrait du pré-print ».
Descripteur MESH : Infection , Thérapeutique , Intention , Patients , Recherche , Personnes , Essais , Sociétés savantes , Sociétés , Ordonnances , Hôpitaux , Santé , Publications , Lutte , Auteur , Gouvernement , Santé publique , Médecins , Pharmacologie , Immunité , Mars , Rôle , Motivation , Zinc , Sécurité , Face
2 réaction(s) à l'article Après la publication d’une tribune dénonçant l’essai sauvage de Didier Raoult, l’ANSM envisage de saisir la justice
tahar benkanoun| 07/06/2023-
Etienne Tournoux| 08/06/2023-