Déserts médicaux et soins primaires : la Cour des comptes fustige les politiques de Santé
La Cour des comptes vient de publier le 13 mai dernier un rapport sur l’organisation des soins primaires en France. Le constat est clair : les déserts médicaux s’étendent malgré un empilement de plans, d’aides et de mesures mises en œuvre sans vision à long terme, sans évaluation, et au global sans efficacité. Pour la Cour, les politiques de santé devraient avant tout être gérées comme une véritable politique publique, assorties d’objectifs quantifiables et mises en œuvre et suivies au niveau de chaque département voire de chaque territoire.
Des soins primaires contraints par un effet ciseaux
Les soins de premier recours, essentiels à la santé publique et définis par l'article L. 1411-11 du Code de la santé publique, englobent une large gamme de services médicaux, allant des médecins généralistes aux soins infirmiers ou dentaires, en passant par la kinésithérapie, la psychologie et le conseil des pharmacies. L'augmentation des pathologies chroniques et le vieillissement de la population ont significativement alourdi la charge de travail des médecins généralistes, qui représentent désormais 70% de leur activité. De plus, la Cour pointe que le nombre de médecins généralistes a diminué de 11,1% entre 2012 et 2022. Démographie médicale en berne et hausse de la demande de soins, l’effet ciseaux est redoutable tant pour les professionnels de santé qui peinent à accueillir de nouveaux patients et à gérer les urgences non programmées que pour les patients qui ont de plus en plus de difficultés d’accès aux soins.
Des politiques de santé inefficaces et peu évaluées
Depuis les années 1990, divers plans ont été initiés pour améliorer l'organisation des soins de premier recours, allant de la valorisation du rôle de médecin traitant à la création de réseaux de soins et de maisons de santé pluriprofessionnelles. Pour la Cour, ces initiatives restent dispersées, insuffisamment ciblées et peu évaluées. Malgré l'introduction de plusieurs lois significatives au cours de la dernière décennie, notamment la loi Touraine en 2016, la loi Buzyn en 2019, ainsi que la mise en œuvre de la stratégie nationale de santé 2017-2022, les efforts pour structurer les soins de premier recours restent superficiels. Les bilans, souvent réduits à un simple comptage des dispositifs déployés, ne parviennent pas à capter les difficultés rencontrées sur le terrain ni à relier les résultats obtenus aux ambitions initialement proclamées. À titre d’exemple, l’institution questionne l'efficacité des 125 millions d’euros dépensés par l’assurance maladie pour les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). Pour elle il s’agit moins de savoir si l’objectif des 4000 sera atteint en 2027 que de déterminer dans quelles mesures ces structures permettent elles de mieux couvrir le territoire en termes d’accès à un médecin traitant ou de délais de rendez-vous ? Mieux encore au regard des rémunérations supplémentaires reçues, ces structures sont-elles réellement efficientes dans leurs territoires respectifs ?
« L’organisation des soins de premier recours n'a pas encore été structurée comme une politique publique »
Des politiques de moins en moins ciblées face à des inégalités persistantes
Malgré diverses aides financières pour encourager l'installation de médecins dans les zones sous-dotées, la répartition géographique des professionnels de santé reste inégale. Par exemple, dans certaines régions, jusqu'à 25% des patients n'ont pas de médecin traitant, et les visites aux urgences pour des cas non urgents peuvent représenter jusqu'à 40% du total des passages.
La Cour des comptes critique l’élargissement du champ des bénéficiaires des aides destinées à combattre les déserts médicaux, signalant une baisse des critères de sélectivité. Actuellement, les zones d'intervention prioritaire (ZIP) et les zones d'action complémentaire (ZAC) concernent 72% de la population française, alors que seulement entre 6% et 20% de cette population souffre réellement d'un accès insuffisant aux soins selon la Drees. En dépit d'investissements significatifs, environ 32 millions d'euros en 2020, l'impact de ces aides sur l'installation des médecins généralistes dans les zones sous-dotées reste limité. La part des médecins dans ces zones a même légèrement diminué, passant de 13% en 2015 à moins de 12,5% en 2021. Bien que le nombre de nouvelles installations de généralistes dans ces zones ait légèrement augmenté, de 11% en 2015 à 13% en 2021, cela n’a pas suffi à stabiliser leur proportion globale.
La Cour suggère une refonte de la distribution des aides, recommandant que 50% de celles-ci soient spécifiquement allouées aux territoires les plus touchés, suivant des critères de priorité territoriale clairement définis. Cette approche vise à rendre les interventions plus efficaces et à mieux répondre aux besoins réels des zones défavorisées.
Recommandations de la Cour des comptes pour améliorer l'accès aux soins de premier recours
1. Inscription de missions claires dans les schémas territoriaux
La Cour des comptes recommande d'inscrire explicitement dans les schémas territoriaux de santé la mission de réduction des inégalités sociales et territoriales. Cette mesure vise à ancrer les objectifs de santé publique dans la planification régionale.
2. Suivi national annuel
Il est proposé d'établir un suivi annuel au niveau national de la politique d'amélioration de l'accès aux soins de premier recours. Ce suivi serait piloté par le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales, assurant une coordination et une évaluation régulières.
3. Aides ciblées pour la création d'emplois d'assistants médicaux
La Cour suggère que, lors des négociations conventionnelles entre la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM) et les médecins libéraux, une part des aides à la création d'emplois d'assistants médicaux soit allouée sur des critères de priorités territoriales, pour mieux soutenir les zones défavorisées.
4. Conditionner l’aide aux structures de soins coordonnées à l’établissement de protocoles
Pour encourager la coopération entre différents professionnels de santé, la cour propose de conditionner l'aide apportée aux structures d'exercice coordonné à la signature de protocoles clairs, ciblés et vérifiables.
5. Conditionner le conventionnement des médecins en zones sur-denses à l’établissement de cabinet secondaires en zones sous-denses
La Cour des comptes a sensiblement assoupli sa position sur le conventionnement sélectif des médecins. Reconnaissant la difficulté d'augmenter les installations dans les zones sous-denses tout en renouvelant le personnel médical dans les zones mieux fournies, elle propose une nouvelle forme de régulation moins restrictive. Le rapport suggère en effet de conditionner l'installation des médecins dans les zones densément peuplées à des engagements de présence dans des cabinets secondaires en zones défavorisées, à hauteur d'une journée par semaine, ce qui équivaudrait à 40 jours de travail médical par an. Cette mesure nécessiterait un soutien logistique et financier pour l'établissement des cabinets secondaires et le remboursement des frais de déplacement. De plus, cette initiative pourrait favoriser l'expansion de la téléconsultation, avec la possibilité d'augmenter le plafond autorisé pour cette activité, conditionné à un contact préalable avec les équipes locales de soins.
6. Des centres de santé gérés par les GHT avec des médecins hospitaliers rémunérés à l’acte
La Cour des comptes suggère de pallier le déficit de médecins dans les zones les plus démunies, où l'établissement de cabinets libéraux est improbable, en encourageant la mise en place de centres de santé dirigés par les hôpitaux. Ces centres seraient administrés par les groupements hospitaliers de territoire (GHT) et bénéficieraient de financements dédiés, considérés comme une "mission d'intérêt général". Toutefois, la Cour souligne un potentiel déficit de gestion dans ces centres, en comparaison avec les cabinets libéraux, prenant pour exemple la faible productivité au centre hospitalier d’Issoudun. Pour éviter cet écueil, elle propose une rémunération mixte pour les médecins hospitaliers de ces centres, qui serait partiellement basée sur leur activité, afin de stimuler une gestion plus performante.
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