Consultation infirmière : nouvel acte clinique, quel modèle de prise en charge ?

Consultation infirmière : nouvel acte clinique, quel modèle de prise en charge ? La parution, au Journal officiel du 26 décembre 2025, du décret n° 2025-1306 relatif aux activités et compétences de la profession d’infirmier acte un tournant : la « consultation infirmière » entre dans le droit positif avec une définition, un contenu et des attendus de coordination et de traçabilité.[1] Pour les professionnels de santé, l’enjeu dépasse l’affichage : il s’agit désormais de bâtir un modèle de prise en charge qui clarifie la frontière avec la consultation médicale, sécurise les responsabilités, et rende soutenable l’intégration de cette activité dans la pratique quotidienne, notamment en ville.[1][2]

Une consultation décrite comme une démarche clinique complète

Le décret inscrit la consultation infirmière au cœur du raisonnement clinique. L’article R. 4311-3 prévoit que « l'infirmier peut réaliser une consultation infirmière » et précise qu’elle comprend, « par l'analyse de la situation de la personne et de son environnement, et par la mise en œuvre, à partir d'un raisonnement clinique, d'une démarche préventive ou thérapeutique », plusieurs séquences structurées : entretien clinique, observation, recueil et analyse de données, détermination d’actions et d’objectifs, réalisation et adaptation des soins, et organisation des interventions « dans le cadre d'une collaboration pluriprofessionnelle ».[1]

Cette formulation crée un cadre plus exigeant que la simple « prise en charge » informelle. Le texte détaille explicitement l’« élaboration et la détermination d'actions et d'objectifs de soins infirmiers », ainsi que « l'évaluation ou l'adaptation des soins infirmiers ».[1] Dans une logique de parcours, la consultation est conçue comme un acte d’évaluation, d’orientation et de suivi, susceptible de mieux articuler prévention, éducation thérapeutique et coordination, au-delà de l’acte technique isolé.[1]

Un contenu qui relie soins, coordination et dossier patient

Le décret pose, en filigrane, une condition de réussite : la traçabilité. Il insiste sur l’organisation et l’évaluation des soins et, dans le rôle propre, sur la capacité à définir, planifier et adapter les interventions, en contribuant, le cas échéant, à un projet de soins personnalisé.[1] Autrement dit, la consultation infirmière appelle une documentation structurée, à la fois pour la continuité des soins et pour la sécurisation médico-légale.

Le texte évoque aussi la possibilité d’« établissement de prescriptions infirmières de produits de santé et d'examens complémentaires » lorsque cela est nécessaire, mais uniquement pour ce qui figurera sur une liste définie par arrêté au titre de l’article L. 4311-1.[1][2] Cette articulation consultation–prescription, encore suspendue aux textes d’application, pèsera sur le modèle de prise en charge : la consultation infirmière sera-t-elle prioritairement un acte d’éducation et de coordination, ou un acte clinique incluant, dans certains cas, des prescriptions encadrées ?[1][2]

Frontière avec la consultation médicale : clarifier sans enfermer

Dès la loi du 27 juin 2025, le législateur a posé un principe clair : « Dans l'exercice de sa profession, l'infirmier entreprend, réalise, organise et évalue les soins infirmiers. Il effectue des consultations infirmières et pose un diagnostic infirmier ».[2] La consultation infirmière est donc reconnue comme un acte propre, sans ambiguïté sur sa légitimité.

Pour autant, plusieurs organisations professionnelles rappellent la ligne de crête. Convergence infirmière souligne : « la consultation infirmière n’est pas une consultation médicale et ne se substitue pas au diagnostic médical et ne le concurrence pas. Elle intervient une fois le diagnostic médical posé ».[3] Cette position vise à prévenir un double risque : la confusion auprès du public et la crispation interprofessionnelle. Elle rappelle aussi que le décret, en décrivant une démarche « préventive ou thérapeutique » relevant des domaines de compétence infirmiers, entend borner l’acte au champ infirmier et à l’organisation du parcours.[1][3]

Un diagnostic infirmier qui structure la consultation

La consultation s’adosse à la notion de diagnostic infirmier, défini par le décret comme « l'identification des besoins de santé relevant du champ de compétences infirmier ».[1] Là encore, la discussion ne se joue pas seulement en termes de vocabulaire, mais de gouvernance clinique : qui fait quoi, à quel moment, et selon quels outils partagés.

La mise en avant, par Convergence infirmière, d’une « classification internationale de référence » comprenant « 267 diagnostics infirmiers » donne une indication sur l’ambition : inscrire la consultation dans une démarche structurée, plutôt que dans un “entre-deux” improvisé.[3] Pour autant, l’ancrage précis de ce chiffre dans un référentiel international gagnera à être documenté par des sources primaires dédiées, afin d’éviter les lectures divergentes au sein des équipes.

Modèle économique : le risque d’une consultation “sans temps”

La consultation infirmière existe désormais juridiquement ; sa valorisation financière, elle, demeure un chantier distinct. Les négociations conventionnelles ouvertes à la Caisse nationale de l’Assurance maladie (CNAM) en juillet 2025 et prolongées fin 2025, telles que rapportées par la presse spécialisée, placent la traduction de la réforme (consultation, diagnostic, accès direct, prescription limitée) parmi les sujets attendus côté nomenclature et rémunération des infirmiers libéraux (IDEL).[4]

Le sujet n’est pas marginal : la consultation, telle que définie par le décret, implique du temps clinique (entretien, collecte et analyse de données, définition d’objectifs), du temps de coordination (orientation, échanges pluriprofessionnels) et du temps de traçabilité (inscription au dossier).[1] Si cette charge n’est pas reconnue, le risque, déjà formulé dans la presse professionnelle à l’été 2025, est celui d’un déploiement “à effectifs et honoraires constants” : « Si c’est pour faire plus avec les mêmes honoraires, ça ne tiendra pas ».[5]

Concrètement, trois scénarios de fragilisation sont régulièrement redoutés par les IDEL lorsqu’un nouvel acte s’ajoute sans modèle économique lisible :

– un acte réalisé “en marge”, au détriment du temps de coordination et de traçabilité, alors même que le décret les érige en pivots ;[1]
– une consultation concentrée dans les structures déjà dotées en organisation (maisons de santé pluriprofessionnelles, équipes coordonnées), laissant les exercices isolés en difficulté ;
– une hétérogénéité territoriale, où la consultation existe sur le papier mais peine à changer d’échelle faute de cadres pratiques et de financement.

Ces risques ne sont pas des fatalités, mais ils renvoient à un point simple : la consultation infirmière ne se résume pas à un geste technique additionnel. Elle constitue une séquence clinique complète, difficile à “comprimer” sans en altérer la qualité et la sécurité.

Accès direct : une promesse conditionnée aux arrêtés et à la continuité des soins

Le décret relie explicitement la dynamique de consultation à l’accès direct. Dans le cadre du rôle propre, l’IDE peut « prendre en charge directement les patients » et « initier, accomplir et évaluer » des actes et soins qui figureront sur une liste fixée par arrêté.[1] Tant que ces listes et conditions ne sont pas publiées, une part de la réforme demeure théorique : le décret fixe l’architecture ; les arrêtés diront ce que l’IDE peut initier, prescrire et selon quelles modalités.[1][2]

Au-delà du calendrier, l’accès direct pose une question d’organisation : comment éviter qu’une nouvelle porte d’entrée n’ajoute une étape au lieu d’en retrancher une ? Les débats autour de la loi de juin 2025 avaient mis en lumière cette vigilance sur le risque de doublonnage et sur la nécessité d’une coordination robuste du parcours.[6]

Doublonnage et discontinuité : deux risques à anticiper

Deux écueils, fréquemment évoqués dans les discussions interprofessionnelles, peuvent fragiliser l’accès direct s’ils ne sont pas anticipés :

– le doublonnage, lorsque l’évaluation infirmière n’est pas suffisamment partagée, conduisant à une répétition d’étapes (réévaluations successives faute de dossier commun ou de règles d’adressage) ;
– la discontinuité, lorsque l’orientation vers un autre professionnel ne s’accompagne pas d’une boucle de retour et d’une traçabilité harmonisée (notamment en l’absence de médecin traitant identifié).

Ces risques sont précisément ceux que la réforme entend contrer ; ils justifient donc, paradoxalement, un investissement accru dans les outils et règles de coordination.

Des conditions de réussite plus concrètes : exemples de déploiement possible

Le décret place la consultation dans une logique de raisonnement clinique et de collaboration pluriprofessionnelle.[1] Pour rendre ces principes opérants, des scénarios d’intégration peuvent être esquissés, sans préjuger des arrêtés à venir ni de la future nomenclature.

En ville : consultation ciblée et boucle d’adressage

Dans un exercice libéral, la consultation pourrait se déployer sur des séquences à forte valeur ajoutée clinique et organisationnelle (prévention, éducation thérapeutique, réévaluation d’objectifs, repérage de fragilités), à condition de sécuriser la boucle : traçabilité au dossier, critères d’adressage, et retour d’information au médecin traitant lorsqu’il est identifié.[1]

En structure coordonnée : protocole commun et triage clinique

Dans une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) ou une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), la consultation pourrait s’inscrire dans des protocoles locaux : orientation selon motifs, comptes rendus standardisés, messagerie sécurisée, et articulation avec la filière médicale. Ici, l’enjeu principal est moins la légitimité que l’harmonisation : qui reçoit, sur quels critères, avec quels délais et quelle traçabilité.

À l’hôpital : sécuriser les transitions (entrée, sortie, suivi)

En établissement, la consultation infirmière pourrait prendre place aux interfaces : préparation de sortie, suivi post-hospitalisation, prévention des réhospitalisations, éducation thérapeutique. La valeur ajoutée dépendrait alors de la circulation des informations entre services, médecine de ville et dispositifs territoriaux, afin que la consultation ne soit pas un “sas” isolé mais un maillon de continuité.

Liens utiles

Pour une mise en perspective du décret et de la consultation infirmière : consultation infirmière, diagnostic et prescription entrent dans le droit.[7]

Pour l’arrière-plan ville et IDEL : loi infirmière 2025 : une nouvelle ère pour les IDEL ?.[5]

Pour le volet rémunération et calendrier : négociations conventionnelles 2025, une traduction encore incertaine.[4]

Références

[1] Légifrance, « Décret n° 2025-1306 du 24 décembre 2025 relatif aux activités et compétences de la profession d'infirmier », JORF n°0302 du 26 décembre 2025 (texte n° 85), 26/12/2025 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000053165854

[2] Légifrance, « Loi n° 2025-581 du 27 juin 2025 sur la profession d'infirmier », 27/06/2025 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051806032

[3] Convergence infirmière, « Publication du décret infirmier : une étape structurante pour l’exercice infirmier et la consultation infirmière », 26/12/2025 : https://convergenceinfirmiere.com/publication-du-decret-infirmier-une-etape-structurante-pour-lexercice-infirmier-et-la-consultation-infirmiere/

[4] Caducee.net, « Revalorisation des infirmières libérales : où en sont les négociations conventionnelles 2025 ? », 16/12/2025 : https://www.caducee.net/actualite-medicale/16726/revalorisation-des-infirmieres-liberales-ou-en-sont-les-negociations-conventionnelles-2025.html

[5] Caducee.net, « Loi infirmière 2025 : une nouvelle ère pour les IDEL ? », 08/07/2025 : https://www.caducee.net/actualite-medicale/16609/loi-infirmiere-2025-une-nouvelle-ere-pour-les-idel.html

[6] Le Monde, « La refonte du métier d'infirmier en passe d'être actée », 04/06/2025 : https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/06/04/la-refonte-du-metier-d-infirmier-en-passe-d-etre-actee_6610472_3224.html

[7] Caducee.net, « Décret infirmier : consultation, diagnostic et prescription entrent dans le droit », 26/12/2025 : https://www.caducee.net/actualite-medicale/16731/decret-infirmier-consultation-diagnostic-et-prescription-entrent-dans-le-droit.html

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