Le THM qui « donne » le cancer du sein : fantasme ou réalité ?

Le bureau du GEMVI apporte ses commentaires après la parution dans le cahier Science et Techno du Monde du 25 /10 d’un article intitulé : « Cancer : les chiffres qui inquiètent ».

On pouvait notamment y lire :

« L'ampleur de la baisse d'incidence du cancer du sein constatée chez les femmes de plus de 50 ans dès cette date est frappante. D'autant plus que le dépistage organisé de la maladie ciblant les 50-74 ans est devenu pleinement opérationnel en 2004. " Or, on attend d'un dépistage organisé à l'échelle d'une population qu'il augmente temporairement l'incidence, puisqu'on va chercher des petites tumeurs qui se seraient manifestées plus tard, voire pas du tout ", rappelle Mme Fervers. Il n'en a rien été, au contraire. " Cela suggère que l'effet des THM sur l'augmentation globale des cancers du sein a été important ", dit Suzette Delaloge, chef du service de sénologie de l'Institut Gustave-Roussy (IGR). Pour Jérôme Viguier, directeur du pôle Santé publique et soins de l'Institut national du cancer (INCa), l'absence de pic après le début du dépistage organisé n'est cependant pas étonnante. " 2004 n'est pas le temps zéro du dépistage, mais l'année de la généralisation à tous les départements du dispositif de dépistage organisé, qui a commencé en 2000, précise-t-il. Avant cela, treize départements étaient déjà couverts par un programme -pilote. Et avant le dépistage organisé, 30 % des femmes réalisaient déjà un dépistage individuel. »

Les membres du GEMVI sont très inquiets des conséquences de publications comme celles-là affichant sans discussion des risques « importants » de cancer du sein liés à l’utilisation de traitements hormonaux, affirmations provenant de médecins référents et instruits. La conséquence de tels propos est que les femmes de France et d’autres pays n’osent plus utiliser de traitement de la ménopause quand elles en ont besoin et se privent de leurs bénéfices notamment en termes de qualité de vie souvent très altérée. Outre les bénéfices des traitements hormonaux sur les symptômes de la ménopause et sur la qualité de vie, il existe d’autres bénéfices majeurs, notamment en mortalité chez les femmes de moins de 60 ans : diminution de 30% (1)) et de la prévalence du diabète de type 2, baisse des cancers du côlon, baisse des fractures ostéoporotiques (2). Le bénéfice sur la mortalité est rapporté par deux méta analyses (Mayo Clinic et Cochrane) (1) dont les sources sont des références de sérieux pour le monde scientifique. La conséquence est que nous voyons en consultation des femmes dans un état pitoyable qui n’ont pas trouvé de médecin pour les traiter par peur ou ignorance. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le Dr JA Manson, une des co-investigatrices de la fameuse étude américaine qui a fait changer les pratiques, la Women Health Initiative, a publié dans un numéro de mars 2016 du New England Journal of Medicine, un éditorial alertant sur le fait que les médecins ne traitaient plus la ménopause !


Nos commentaires :
a) Ce qu’il faut savoir sur le traitement hormonal de ménopause (THM) et cancer du sein : il est indéniable que le THM associant estrogènes et progestatifs peut augmenter à long terme (>5-10 ans d’utilisation) l’incidence du cancer du sein par un effet promoteur sur des lésions préexistantes, habituellement de bon pronostic. Cet effet stoppe progressivement à l’arrêt du traitement. L’augmentation dans l’étude américaine de la Women Health Initiative (WHI) associant estrogènes (conjugués équins non utilisés en France) et progestatif de synthèse (medroxyprogestérone acétate peu utilisé en France) était de 8 cas supplémentaires pour 10000 femmes/an mais n’apparaissant qu’après 7 ans de traitement au moins (2). Les femmes ayant pris 5 ans de traitement n’avaient pas de sur risque. De plus, une fois ajusté sur les facteurs de risque, le sur risque disparaissait. Les femmes qui l’utilisent au début de la ménopause au moment où les symptômes sont prégnants n’ont donc pas de sur risque. De plus dans l’étude WHI avec le traitement combiné, dans la tranche d’âge des femmes de 50-60 ans la mortalité globale était plus faible dans le groupe traité que non traité (3).

b) Par ailleurs, dans l’étude américaine WHI avec les estrogènes conjugués équins seuls il y a eu diminution significative du nombre de cancers du sein, diminution des décès par cancers du sein et par cancers en général (3,4).

c) Les traitements français par estradiol et progestérone ou dydrogestérone sont associés à un risque faible et plus tardif et qui disparait dès l’arrêt du traitement comme cela a été observé dans la cohorte de la MGEN E3N (5).

d) Un certain nombre de précautions peuvent aussi aider à diminuer le risque de cancer du sein : perte de poids, exercice physique, arrêt de l’alcool, sélectionner les femmes à plus faible risque.

e) Une étude très récente (à partir de données de registres en Finlande ) suggère une baisse de mortalité par cancers du sein chez les femmes traitées par THM (6).


La baisse des cancers du sein après l’arrêt des THM :
C’est un sujet qui a été largement débattu dans la littérature nationale et internationale dans les années 2010. Un certain nombre de pays ont rapporté une baisse de l’incidence des cancers du sein « après » l’arrêt massif des prescriptions de traitement hormonal de ménopause (THM) à l’issue des publications des études américaines de la Women Health initiative (WHI) en 2002. Radvin et al (7) ont été les premiers à rapporter une diminution aux USA et à mettre cette baisse en lien de causalité avec l’arrêt massif des traitements de ménopause.

Puis, plusieurs publications (8-12) ont analysé de manière plus fine les composantes possibles de cette diminution montrant notamment que l’ observance du dépistage avait aussi diminué dans les mêmes populations, suggérant qu’au moins une partie de cette baisse d’incidence était liée à d’autres facteurs que l’arrêt des THM. Il est aussi apparu que certains pays comme la Norvège, où l’utilisation du THM était importante avant la publication de la WHI, n’observaient pas cette baisse ceci car le dépistage en place depuis longtemps faisait que l’incidence était parfaitement stable. La mise en place du dépistage est en effet associée à une augmentation du diagnostic de cancers augmentant ainsi l’incidence liée à ces diagnostics sans doute plus précoces qu’en l’absence de dépistage.

Puis, cet effet s’épuise et on assiste à une « baisse d’incidence » liée à l’effet dit de « saturation du dépistage » (12,13). Nous avions, avec d’autres, analysé en détail les composantes de ces baisses d’incidence et pu montrer comme d’autres publications (Anglaises, Canadiennes, Norvégiennes) que les courbes de variation d’incidence étaient en grande partie liées à l’effet de saturation du dépistage en France (12,13). C’est d’ailleurs ce que souligne le Dr Viguier de l’Institut National du Cancer: la mise en place du dépistage organisé (DO) en France a été progressive et a démarré bien avant 2004 d’autant que avant que le DO ne se développe, il existait un dépistage dit opportuniste individuel prescrit par les gynécologues auquel
s’est rajouté le DO qui a débuté dans certaines régions de France en 2000 et qui concernait au total environ 50/60% des femmes de 50-60 ans. Selon des sources non publiées que nous avions consultées à l’époque, 10 à 15% de femmes surtout plus âgées concernées par le DO, ont eu leur première mammographie dans ce programme mis en place en 2004. La courbe publiée indiquant le dépistage comme débutant en 2004 est inexacte. Il ne s’agissait pas du tout d’une population naïve de dépistage. Ceci explique en partie les courbes actuelles de diminution dans lesquelles d’ailleurs nous ne nions pas un effet possible de l’arrêt des THM mais qui n’est surement pas massif comme le suggère le Dr Delaloge. Cette poursuite de la baisse qui est d’ailleurs une très bonne nouvelle est sans doute un effet de cohorte comme le souligne d’ailleurs le texte beaucoup mieux balancé de l‘lNVS accompagnant la publication de ces chiffes analysés dans l’article du Monde, où le parti pris « anti THM » est choquant. Ceci suggère que des facteurs de risque propres à cette cohorte des femmes nées en 1950 pourraient être différents de ceux de cohortes précédentes.

De plus et de manière très intéressante, un article publié en Février 2016 dans la revue Maturitas a ré analysé l’incidence des cancers du sein dans 11 pays d’Europe possédant de registres nationaux de cancers (pas la France qui ne possèdent des registres qui ne couvrent qu’une partie du territoire)(14). Dans cette analyse mettant en parallèle utilisation entre 2003–2013 du THM et l’incidence du cancer du sein chez les femmes de 45-69 ans, il apparait qu’on observe une baisse modérée de l’incidence en Belgique, Norvège, Suisse et Suède, , une augmentation importante au Danemark, Allemagne et Irlande, une augmentation modeste en Angleterre, Finlande et Hollande et une incidence stable en Autriche. Aucun lien statistique, aucune relation n’a pu être établie entre la baisse d’utilisation des THM calculée par les ventes de produits dans ces différents pays et l’incidence. Mettre en relation l’observation de deux variables telles que THM et incidence de cancer du sein, ce qui s’appelle de l’épidémiologie écologique, crée un lien causal unique et dénie tous les autres facteurs impliqués dans les variations d’incidence. Il s’agit alors d’une simplification du discours forcément inexacte. Nous avions aussi pu montrer dans notre article de 2010 qu’ il existait une variation d’incidence des facteurs de risque du cancer du sein au cours du dernier siècle, notamment une réduction de l’alcool et de la nulliparité, une augmentation de l’obésité, facteurs de risque du cancer du sein. La résultante des variations d’incidence n’est surement pas simple à prédire compte tenu de l’interaction et du nombre de facteurs de risque impliqués dans la genèse et la promotion des cancers du sein. On peut en faire une religion qui a le mérite d’offrir une réponse simple à une question complexe.

 

Par le Pr Anne Gompel,
Université Paris Descartes, responsable de la Gynécologie Endocrinienne Hôpital Port Royal Cochin (Paris)
Pour le bureau du GEMVI, Groupe d’étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal

 

Références
1. gVM, Abu Dabrh AM, Zúñiga Hernández JA, Prokop LJ, Murad MH.Menopausal Hormone Therapy and Mortality: A Systematic Review and Meta-Analysis. J Clin Endocrinol Metab. 2015 Nov;100(11):4021-8

2. Rossouw JE et al . Risks and benefits of estrogen plus progestin in healthy postmenopausal women: principal results From the Women's Health Initiative randomized controlled trial. JAMA 2002; 288: 321-33

3. Manson JE, et al Menopausal hormone therapy and health outcomes during the intervention and extended poststopping phases of the Women's Health Initiative randomized trials.JAMA. 2013 Oct 2;310(13):1353-68.

4. Anderson GL, et al Women's Health Initiative Steering Committee.Effects of conjugated equine estrogen in postmenopausal women with hysterectomy: the Women's Health Initiative randomized controlled trial.JAMA. 2004 Apr 14;291(14):1701-12


5. Fournier A, et al. Unequal risks for breast cancer associated with different hormone replacement therapies: results from the E3N cohort study. Breast cancer research and treatment. 2008; 107: 103-11.

6. Ravdin PM, et al. The decrease in breast-cancer incidence in 2003 in the United States. N Engl J Med. 2007; 356: 1670-4.

7. Jemal AW, E.Thun, M. J. Recent trends in breast cancer incidence rates by age and tumor characteristics among U.S. women. Breast Cancer Res. 2007; 9: R28.

8. Li CI and Daling JR. Changes in breast cancer incidence rates in the United States by histologic subtype and race/ethnicity, 1995 to 2004. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2007; 16: 2773-80.

9. Glass AG, Lacey JV, Jr., Carreon JD and Hoover RN. Breast cancer incidence, 1980-2006: combined roles of menopausal hormone therapy, screening mammography, and estrogen receptor status. J Natl Cancer Inst. 2007; 99: 1152-61.

10. Caan B, Habel L, Quesenberry C, Kushi L and Herrinton L. Re: Declines in invasive breast cancer and use of postmenopausal hormone therapy in a screening mammography population. J Natl Cancer Inst. 2008; 100: 597-8; author reply 9.

11. Gompel A and Plu-Bureau G. Is the decrease in breast cancer incidence related to a decrease in postmenopausal hormone therapy? Ann N Y Acad Sci. Sep 2010; 1205: 268-76.

12. Gompel A, Santen RJ.Hormone therapy and breast cancer risk 10 years after the WHI. Climacteric. 2012 Jun;15(3):241-9.

13. Mikkola TS, et al Reduced risk of breast cancer mortality in women using postmenopausal hormone therapy: a Finnish nationwide comparative study.Menopause. 2016 Nov;23(11):1199-1203

14. Antoine C, Ameye L, Paesmans M, de Azambuja E, Rozenberg S. Menopausal hormone therapy use in relation to breast cancer incidence in 11 European countries. Maturitas. 2016 Feb;84:81-8

 

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