Les molécules de guidage des fibres nerveuses: des molécules à (presque) tout faire pour les neurones.

Pendant le développement embryonnaire, les neurones du cerveau établissent des milliards de connexions en émettant de longs prolongements appelés axones. Leur croissance n'est pas aléatoire, mais précisément orientée, guidée par des molécules situées dans l'environnement cellulaire que traverse l'axone. Deux équipes du CNRS [1] associées à deux équipes américaines [2] viennent de réaliser des avancées importantes dans la compréhension de ces mécanismes de guidage. Elles montrent en particulier sur deux exemples différents que les molécules de guidage des axones peuvent intervenir à d'autres niveaux dans la plasticité cérébrale. Ces résultats donnent lieu à trois publications dans Nature Cell Biology et dans Neuron, parues en juillet 2004. Ils ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques pour les lésions traumatiques du système nerveux.

Notre cerveau est constitué de milliards de cellules qui établissent entre elles des connexions très précises. C'est la présence de molécules de guidage qui permet aux fibres nerveuses de s'orienter correctement vers les centres cérébraux, soit par attraction, soit par répulsion, et d'établir ainsi un réseau entre cellules nerveuses.

Les équipes d'Alain Chedotal (CNRS - Université Paris 6) et de Patrick Mehlen (CNRS – Université Lyon 1) et leurs collaborateurs américains se sont intéressés à deux aspects de ce processus de guidage.

Le premier concerne le développement du système visuel. Chez les vertébrés, les fibres nerveuses issues des cellules de la rétine se projettent vers une région du cerveau appelée toit optique, en respectant une organisation topographique précise. C'est une protéine exprimée dans le toit optique, la protéine RGM (Repulsive Guidance Molecule), qui guide les connexions finales dans les zones appropriées, en émettant un signal de répulsion aux terminaisons axonales. Les auteurs publient dans Nature cell biology deux articles qui identifient la néogénine comme la protéine “récepteur” de RGM dans les fibres nerveuses, et caractérisent le mode de fonctionnement du couple ligand-récepteur. Leurs résultats indiquent que le couple RGM-néogénine contrôle également la survie cellulaire. En perturbant l'expression de RGM ou de néogénine dans les cellules du système nerveux en formation de l'embryon de poulet, les auteurs montrent que l'excès de néogénine ou le déficit en RGM provoquent la mort des cellules (apoptose). Pour empêcher l'apoptose, les cellules exprimant la néogénine doivent fixer le ligand RGM et sont donc dépendantes de cette molécule pour leur survie. Ainsi, la néogénine est un “récepteur à dépendance”, dont la fonction varie selon la présence ou l'absence de son ligand. A un stade précoce du développement, la néogénine, en absence de RGM, en provoquant la mort cellulaire de certaines cellules, va moduler le nombre de neurones “habilités” à se développer. Ultérieurement, la néogénine reçoit le signal de “répulsion” délivré par la protéine RGM, et fonctionne alors comme une molécule de guidage.

Le second système de guidage étudié est celui de la traversée, par les axones, de la ligne médiane qui sépare les deux hémisphères cérébraux. Dans la plupart des espèces animales, les moitiés droite et gauche du système nerveux sont presque parfaitement symétriques, organisées en miroir de part et d'autre d'un axe longitudinal appelé aussi ligne médiane. Une des premières décisions que va prendre un axone en croissance est de traverser ou de ne pas traverser la ligne médiane. En outre, un axone qui traverse (on parle alors d'axone commissural) ne sera capable de le faire qu'une seule fois. Des protéines de guidage “répulsif”, les protéines Slits, synthétisées par les cellules de la ligne médiane sont impliquées dans ce processus. En se fixant sur leur récepteur Roundabout (Robo), ancré à l'extrémité des axones, elles contraignent les axones à s'éloigner de la ligne médiane.

Les équipes d'Alain Chédotal et de Marc Tessier-Lavigne ont analysé la structure cellulaire du cerveau de souris déficientes pour Robo3, l'un des récepteurs Robo. Ces souris présentent de nombreuses malformations du système nerveux, qui sont dues à un blocage de la traversée de la ligne médiane pour certains prolongements axonaux, mais aussi à des défauts de migration de certains neurones au cours du développement. Il apparaît en particulier que certains neurones n'ont pas traversé la ligne médiane comme ils le font chez les animaux normaux. Les molécules de guidage axonal sont donc également impliquées dans le guidage de la migration des neurones eux-mêmes et donc dans la mise en place des différentes régions du cerveau.

Au-delà de leur intérêt évident pour comprendre le développement et le fonctionnement du cerveau, ces travaux apportent aussi d'importantes perspectives thérapeutiques.

Le gène robo3 est muté dans un syndrome humain rare associant une paralysie des mouvements oculaires horizontaux à une forte scoliose (horizontal gaze palsy with progressive scoliosis). Diverses analyses indiquent que les patients atteints de ce syndrome présentent à la fois des atrophies de certains types de neurones et des anomalies de transfert d'informations à travers la ligne médiane du cerveau.

Par ailleurs, les auteurs montrent que le maintien d'une surexpression de RGM induit un phénomène similaire à la tumorigénèse. La néogénine semble impliquée dans le cancer du sein. De plus il n'est pas exclu que l'expression de RGM et de néogenine dans de nombreux tissus autres que le cerveau représente un mécanisme de limitation du développement des tumeurs.

De manière générale comprendre les mécanismes de la survie des neurones, et de la croissance et de la régénération de leurs axones, est essentiel pour toute stratégie de réparation dans le système nerveux après des lésions traumatiques ou ischémiques.

Notes :

[1] Alain Chedotal, Laboratoire de neurobiologie des processus adaptatifs (CNRS – Université Paris 6) et Patrick Mehlen, Centre de géntique moléculaire et cellulaire (CNRS – Université Lyon 1).

[2] Stephen Strittmatter (Yale University, New Haven), Marc Tessier-Lavigne (Genentech, Californie)

Références :

RGM and its receptor neogenin regulate neuronal survival,.Matsunaga E, Tauszig-Delamasure S, Monnier PP, Mueller BK, Strittmatter SM, Mehlen P, Chedotal A. Nat Cell Biol. 2004, 6, 749-755.

Neogenin mediates the action of repulsive guidance molecule. Rajagopalan S, Deitinghoff L, Davis D, Conrad S, Skutella T, Chedotal A, Mueller BK, Strittmatter SM. Nat Cell Biol. 2004, 6, 756-762.

The slit receptor Rig-1/Robo3 controls midline crossing by hindbrain precerebellar neurons and axons. Marillat V, Sabatier C, Failli V, Matsunaga E, Sotelo C, Tessier-Lavigne M, Chedotal A. Neuron. 2004, 43:69-79.

Contacts chercheurs :

Patrick Mehlen, 04 72 44 81 90,

mehlen@univ-lyon1.fr

Alain Chedotal, 01 44 27 34 47,

chedotal@infobiogen.fr

Contact département Sciences de la vie :

Jean-Pierre Ternaux, 01 44 96 43 90,

jean-pierre.ternaux@cnrs-dir.fr

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